Une tribune pour les luttes

Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM)

Un monde d’esclavage maquillé au goût de notre temps

Pauline Imbach – CADTM

Article mis en ligne le samedi 9 mai 2009

Un monde d’esclavage maquillé au goût de notre temps [1]

En France, les journées du 10 et du 23 mai ont été choisies pour honorer
le souvenir des esclaves et commémorer l’abolition de l’esclavage décrétée
en 1848. Depuis 2006, le Comité pour la mémoire de l’esclavage avait fixé
au 10 mai les cérémonies officielles du souvenir. Mais les associations
regroupant les Français d’outre-mer ont toujours boycotté et contesté
cette date. Cette année, une deuxième journée officielle a été ajoutée,
celle du 23 mai. Pour la plupart des associations d’outre-mer, c’est cette
date qu’il faut retenir, car c’est le 23 mai 1848 que les esclaves
martiniquais ont vécu leur premier jour de liberté, c’est le 23 mai 1998
que plus de 40 000 descendants d’esclaves ont marché silencieusement dans les rues de Paris, et c’est le 23 mai 2001 qu’a été publiée la loi
"Taubira" au journal officiel [2].

L’histoire officielle, celle sur laquelle on légifère, est faite de dates
commémoratives durant lesquelles la récupération politique est de mise.
Ainsi, par exemple, le 10 mai prochain à l’occasion de la journée de « 
commémoration de l’abolition de l’esclavage », le président Sarkozy
présidera une cérémonie pendant qu’Alain Juppé, ancien Premier ministre,
Maire de Bordeaux, Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’intérieur, de
l’outre-mer et des collectivités territoriales, Christine Albanel,
Ministre de la culture et de la communication et Yves Jégo, Secrétaire
d’état chargé de l’outre-mer inaugureront les nouvelles salles permanentes
« Bordeaux, le commerce atlantique et l’esclavage » au Musée d’Aquitaine.
Améliorer l’image de son gouvernement en dénonçant le passé esclavagiste
de la France, tout en perpétuant une politique française intérieure et
extérieure de domination et d’exploitation, quelle belle hypocrisie !

Un siècle et demi après l’abolition officielle de l’esclavage,
pouvons-nous affirmer que celui-ci a disparu ? Les pouvoirs politiques
peuvent-ils le commémorer comme s’il appartenait seulement au passé ?
Depuis l’abolition officielle de l’esclavage, bien d’autres formes de
domination et d’exploitation similaires ont pris le relais, c’est pourquoi
son abolition constitue aujourd’hui encore un enjeu majeur.

La dette du Tiers Monde ou comment fabriquer les conditions d’exploitation et d’esclavage

Les grandes puissances, les institutions financières internationales (FMI
et Banque mondiale), les entreprises multinationales, notamment à travers
le mécanisme de la dette, sont responsables du pillage de l’économie des
pays du tiers-monde et des libertés des peuples du Sud. La dette des Pays
en voie de développement est estimée à 3 360 milliards de dollars. Elle
maintient 85% de l’humanité dans la misère : les pays pauvres payent plus
pour leur dette que pour leurs budgets de santé et d’éducation réunis. Ces
pays ont remboursé l’équivalent de 102 fois ce qu’ils devaient en 1970,
mais entre temps leur dette a été multipliée par 48 [3]. La dette est un
des mécanismes du maintien et de fabrication des conditions d’exploitation
et d’esclavage. Abolir la dette de manière totale et sans condition,
constituerait un premier pas important pour l’abolition de l’esclavage.

Tant que les droits humains fondamentaux ne seront pas garantis,
l’esclavage existera

La souveraineté politique et économique des pays du Sud est bafouée et les
droits humains fondamentaux ne sont pas garantis. Un être humain qui n’a
pas d’accès à l’eau, à la nourriture et à d’autres droits et besoins
fondamentaux n’est pas libre. Il faut 80 milliards de dollars par an
pendant 10 ans pour assurer à la totalité de la population les services
sociaux essentiels (éducation primaire, santé, eau, assainissement). Ainsi
il suffirait d’un prélèvement de 2 millièmes sur le patrimoine cumulé des
10,1 millions de millionnaires en 2007 (estimé à 40 700 Milliards de $)
pour trouver les 80 milliards de dollars nécessaires [4]. Le refus du
partage des richesses (le revenu des 500 individus les plus riches de la
planète dépasse les revenus cumulés des 416 millions de personnes les plus
pauvres) et le maintien délibéré de populations entières dans des
conditions de vie contraires aux droits humains est une forme d’esclavage.

Capitalisme et esclavage font bon ménage

On peut aussi se demander si les travailleurs soumis aux Accords de
Partenariat Économique (APE) visant à libéraliser les échanges, sont
libres. Si les migrants obligés de quitter leurs pays, leurs familles,
leurs amis dans l’espoir de pouvoir vivre, sont libres. Si les sans
papiers que l’Europe fabrique pour fournir une main d’œuvre bon marché à
ses entrepreneurs, ne sont pas des esclaves. Si les enfermer dans des
camps de la honte avant de les « déporter », n’est pas le signe d’une
société qui considère que les êtres humains ne sont pas tous libres et
égaux. Et si les enfants qui travaillent dans les usines, aux quatre coins
du monde pour alimenter le Nord en gadgets ne sont pas eux aussi des
esclaves. La liste serait longue, les esclaves modernes du système
néocolonial et capitaliste sont nombreux. Mettre le profit au cœur du
système engendre inévitablement exploitation et esclavage, c’est le
système actuel qui crée les conditions d’exploitation et d’esclavage des
populations. Il faut sortir du capitalisme pour abolir l’esclavage et
prôner un système centré sur les besoins humains fondamentaux. On ne peut pas crier au tout profit et s’insurger contre l’esclavage.

Ainsi, commémorer l’abolition de l’esclavage, c’est aussi mettre en
lumière que le système capitaliste est le vecteur d’un nouvel esclavage
dont l’abolition doit mobiliser les consciences à l’échelle
internationale. La liberté se conquiert, il n’est pas encore temps de la
commémorer.

Pauline Imbach – CADTM


Site Web : http://www.cadtm.org

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Notes

[1Expression de Thomas Sankara, discours devant l’assemblée générale
des Nations unies. La liberté se conquiert. 4 octobre 1984.

[2La loi Taubira du 21 mai 2001, est une loi française concernant la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’Humanité. Aux termes de l’article premier, la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.

[3Eric Toussaint et Damien Millet, les chiffres de la dette, CADTM, 2009.

[4Eric Toussaint et Damien Millet, les chiffres de la dette, CADTM, 2009.

[5Expression de Thomas Sankara, discours devant l’assemblée générale
des Nations unies. La liberté se conquiert. 4 octobre 1984.

[6La loi Taubira du 21 mai 2001, est une loi française concernant la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’Humanité. Aux termes de l’article premier, la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.

[7Eric Toussaint et Damien Millet, les chiffres de la dette, CADTM, 2009.

[8Eric Toussaint et Damien Millet, les chiffres de la dette, CADTM, 2009.

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