Une tribune pour les luttes

Scientologie : des manoeuvres au parlement ?

Article mis en ligne le mercredi 16 septembre 2009

Le 12 mai 2009, le parlement a définitivement voté une loi dite « de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures », qui compte… 140 articles modifiant le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code civil, le Code de l’organisation judiciaire, le Code de l’environnement, le Code rural, le Code de l’urbanisme, le Code électoral…

C’est hier que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a révélé, après l’avoir découvert dans une revue juridique, que ce texte avait supprimé la possibilité offerte aux tribunaux d’ordonner la dissolution des personnes morales condamnées pour escroquerie, notamment les sectes.

Fort opportunément, cette suppression est intervenue à la veille d’un procès pour escroquerie en bande organisée visant l’Eglise de Scientologie, de sorte que les réquisitions de dissolution prises par le parquet dans ce dossier apparaissent désormais inopérantes…

Face au tollé suscité par cette affaire, le ministère de la Justice tente de se défendre en plaidant l’inattention et « l’erreur matérielle ».

Pourtant, les services du gouvernement ont eu moult occasions de se pencher sur ce texte, du dépôt de la proposition de loi du député UMP Jean-Luc Warsmann le 22 juillet 2008 aux multiples examens de celle-ci en commissions des lois et en séances publiques jusqu’en avril 2009.

Quant à la thèse du vice technique, elle est sérieusement sujette à caution au regard des déclarations conjointes de Jean-Luc Warsmann et du président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer. En effet, ces deux parlementaires revendiquent la suppression de cette peine complémentaire au nom de la « simplification du droit », Jean-Luc Warsmann allant jusqu’à affirmer faussement que la peine de dissolution ferait double emploi avec l’interdiction d’exercer certaines activités…

Surtout, force est de constater que la complexité du parcours législatif de cette disposition a permis de la faire adopter sans débat.

En plus d’être intégrée dans un texte fourre-tout et illisible (ce qui est un peu dommage pour une loi censée simplifier le droit…), cette dépénalisation a été rédigée et présentée de manière à la rendre totalement invisible aux personnes non informées.

En effet, c’est l’article 44 33° du texte initial qui prévoit : « les 4 premiers alinéas de l’article 313-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : « les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39 » ».

Si on ajoute que durant son parcours législatif, cette disposition a fait l’objet de 3 numérotations différentes (article 44 puis 58 et enfin 124 de la loi), on comprend comment elle a pu être votée en catimini.

Normalement, le rapport d’Etienne Blanc, député UMP chargé de détailler les mesures présentées dans le projet de texte, aurait dû permettre d’alerter sur cette disposition scandaleuse, mais il concoure en réalité à la dissimuler. En effet, évoquant la nécessaire adaptation du Code pénal, ce document se contente d’indiquer : « ces dispositions doivent être adaptées pour remplacer l’expression « Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de l’infraction de … et encourent les peines suivantes : 1° l’amende selon les modalités prévues par l’article 131-38 du code pénal ; 2° les peines complémentaires prévues par les x° et y° de l’article 131-39 du code pénal » par l’expression « Les personnes morales déclarées pénalement responsables de l’infraction de … encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 du code pénal, les peines complémentaires prévues par les x° et y° de l’article 131-39 du code pénal ».

Ainsi, il était impossible, même pour un lecteur attentif, d’en déduire que l’alinéa de l’article 131-39 prévoyant la dissolution des personnes morales était supprimé, tant le X et le Y restent forcément abstraits…

Face à ce constat d’un processus parlementaire opportunément opacifié, le Syndicat de la magistrature s’interroge sur les motivations de la majorité.

S’agit-il de la poursuite du processus de dépénalisation rampante du droit des affaires ou est-ce le symptôme d’un lobbying efficace de la Scientologie ?

On se souvient notamment qu’Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, déclarait en février 2008 : « Les sectes sont un non-problème » en France, « la liste établie en 1995 est scandaleuse » et « on peut s’interroger » sur la menace représentée par la Scientologie.

Les questions soulevées par cette affaire ne peuvent rester sans réponse. Le Syndicat de la magistrature demande l’ouverture d’une enquête parlementaire pour que les conditions dans lesquelles cette disposition a pu passer inaperçue soient établies.

Au-delà, il dénonce l’absence de véritable contrôle démocratique et citoyen sur le fonctionnement des institutions républicaines.

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