Une tribune pour les luttes

Ficher la précarité ou traquer la fraude fiscale, ils ont choisi

Article mis en ligne le jeudi 17 septembre 2009

By numerolambda

Avec les illustrations et les liens sur :

http://numerolambda.wordpress.com/2...

Victoire, le fisc affirme avoir donc identifié 3.000 comptes en Suisse, avec les noms et les montants, mais sans déclencher la moindre poursuite. On leur offre même le café s’il viennent se dénoncer. Au même moment, mais sans faire autant de bruit, le fichier du Revenu de solidarité active (RSA) commençait tout juste sa basse besogne. Pendant qu’on joue au poker avec une poignée de planqués pour amuser la galerie, on entreprend la plus vaste opération de fichage obligatoire et minutieux sur les populations les plus fragiles, le tout au service de la “solidarité active”. Ce mégafichier de (potentiellement) 4 millions de personnes (baptisé “@RSA” pour donner l’illusion de la modernité), a été créé par un décret du 18 juin 2009. Le bébé du soldat Hirsch s’est fait disséquer façon bouchère par un collectif de travailleurs sociaux.

Ça sonne comme la précédente ritournelle du trésorier en chef Eric Woerth pour redresser les finances publiques. D’un côté, il lâche la grappe aux crimes et délits économiques en démantelant la direction de la répression des fraudes (DGCCRF), de l’autre il fait la chasse aux “fraudeurs aux allocations”, en organisant un méticuleux contrôle social à l’aide d’un répertoire national commun au sein de l’administration (primé aux derniers Big Brother Awards). Cette fois, ce sont donc les allocataires du RSA qui doivent se résoudre à l’inquisition.

Le Collectif unitaire anti-délation (CUAD) http://antidelation.lautre.net/spip..., créé par des travailleurs sociaux en 2003 pour dénoncer la loi de prévention de la délinquance qui sera votée quatre ans plus tard (mars 2007), a publié fin août une étude minutieuse du fichier @RSA (disponible sur le site en PDF).

Premiers éléments : « la création est confiée par l’Etat à la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales) en fichier national, dans le seul objectif de le mettre à disposition des départements ». La CNAF, primée elle aussi lors des derniers BBA pour, notamment, avoir voulu former ses agents à une méthode crapuleuse de « détection de la présomption de fraude » (sic), la méthode IGGACE, issu de recherches policières…

Les départements sont destinataires finaux de ces informations, puisqu’ils gèrent la plupart des aides sociales. En 2005, déjà, le Conseil général de la Marne se faisait épingler pour un questionnaire hyper-intrusif qui devait concerner toute personne, et sa famille, réclamant une aide sociale (cf image ci-contre – d’autres infos ici). Et dernièrement, dans l’Isère et l’Essonne, l’informatisation obligatoire de l’action sociale commence à faire des remous. Dans un précédent billet, nous nous faisions l’écho d’un travailleur social de Nice, licencié pour faute grave après avoir refusé tout haut d’utiliser le fichier du Conseil général des Alpes-Maritimes.

Exemplaire du fichier des précaires envisagé dans la Marne

Le CUAD indique ensuite que le fichier de Martin Hirsch comprend deux modules :

- un module « instruction » : la demande du RSA
- un module « aide à l’orientation » pour : « préparer la décision d’orientation des bénéficiaires du RSA prise par le président du conseil général »…

Autres éléments inquiétants :

- Le numéro de sécurité sociale, le NIR, pourra être utilisé pour l’interconnexion par le Conseil général (fichier social), Pole emploi (fichier emploi), l’ASP, et la CAF et MSA (fichier administratif).
- Un droit d’accès et de rectification est prévu mais il n’y a pas de droit d’opposition possible de la personne fichée.
- Les nouvelles données personnelles entrées au fichier, seront conservées par la CNAF au niveau national durant 5 mois maximum, et redescendues au niveau départemental où elles seront gardées 3 ans par la CAF ou MSA.
- Pour les Conseils Généraux, aucune limite de durée de conservation n’est fixée. Le décret est muet sur ce point.

Déjà, le fait que le fichier ne prévoit aucune durée de conservation est contraire à la lettre de la loi informatique et libertés (LIL). C’est déjà assez énorme pour être souligné. Ensuite, le CUAD a remarqué que le décret ne précise pas comment les personnes seront informés du fichage RSA (finalité, responsable du traitement, modalités pour le droit d’accès, etc.). Le défaut d’information préalable est également un délit prévu par la LIL. Beau tir groupé, Mister Hirsch !

En épluchant les fonctions du module “orientation” du fichier, le CUAD a remarqué que tous les allocataires étaient concernés, même ceux qui dispensés de l’« obligation d’insertion » (ceux qui touchent un SMIC avec enfants, par exemple —groupe appelé “RSA chapeau”). Ils seraient potentiellement 2 millions. « Ni la CNIL ni le décret, n’abordant cette question de l’obligation d’insertion, on peut logiquement penser que le fichier @RSA vise le fichage individuel de tous les demandeurs : ainsi, 2 millions d’allocataires en « RSA chapeau » (SMIC avec des enfants, etc.) sans obligation d’insertion, seront triés-fichés pour rien et l’information conservée sans limitation de durée par leur Conseil Général ». Youpi !

Le CUAD termine son analyse en se penchant sur 4 items créés dans le module “orientation” : « situation antérieure justifiant », « bénéfice d’action d’accompagnement », « endettement », « problèmes de santé ». Les deux premiers seront alimentés en interne, pas par les demandeurs. Comment vont-ils s’y prendre ? « La porte au fichage arbitraire et à la délation générale dans le social est manifestement ouverte. Et si les informations sont extraites non du bouche à oreille, mais d’autres fichiers (…) pour les insérer dans celui-ci, comment cela s’appelle-t-il ? », demande le CUAD. De l’interconnexion, mon capitaine ! Quant aux deux derniers items, cela fleure bon la discrimination ou la stupidité — quel rapport entre les problèmes de santé, l’endettement et l’insertion professionnelle…

Bref :

En 1988, la loi RMI nouvellement créée donnait 3 MOIS, au travailleur social et à l’usager, pour construire ensemble et présenter sa première piste de projet d’insertion sur un projet quelconque qui le motivait. Elle était étudiée anonymement par une commission, la CLI. Les politiques voulaient que le RMI serve à aider les bons pauvres méritants. Le travailleur social était chargé de prendre son temps pour y veiller. La philosophie a changé.

En 2008, le RSA a pour objectif de faire pourvoir par les pauvres les petits boulots pourris, précaires et mal payés, et faire se taire les autres. La loi RSA et ce décret mettent en place un dispositif qui prépare en 5 MINUTES l’orientation d’insertion, par un grand fichier. Le Travail social ni même d’insertion n’est plus sollicité : un fichier informatique national de « tri » arbitraire suffit, peu importe l’humain.

PS – En référence à l’image de Une de cette note, adaptons la réplique culte du film “The good, the bad and the ugly” : «  Tu vois Tuco, le monde se divise en deux catégories. Il y a ceux qui fraudent au fisc, et ceux qu’on fiche. Toi, on te fiche ! ».


Forum :

1. job dit :
12/09/2009

Entre le suivi mensuel obligatoire de Pôle emploi, ses radiations, convocations, la contrainte à l’emploi dégradé, et l’instauration du RSA, nous sommes des millions à subir des contrôles abjects (qui sait que la Caf organise 350 000 visites domiciliaires par an ?). Il faut sans cesse se justifier (voir “Digression sur le “suivi individuel” avec Kafka” : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4410) face à des investigations toujours plus pernicieuses (enquête de voisinage, interconnection des fichiers).

Le fichier RSA organise une gare de triage automatisée, la machine à précariser se perfectionne…

Rien ne sert de courir, il faut tout remettre à plat ! Chômeur(euses), précaires, entrons en résistance !

http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4460

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