Une tribune pour les luttes

Migrants en Europe, l’effroyable inhumanité

Dr Olivier BERNARD, Président MDM France Pierre SALIGNON, Directeur général action humanitaire

Article mis en ligne le samedi 6 mars 2010

http://www.medecinsdumonde.org/fr/P...

La manière dont nos sociétés européennes abordent la question de la migration en ce début de XXIe siècle restera probablement, au regard de l’histoire, une tragédie.

Comment comprendre nos silences face aux renvois vers leur pays en guerre de jeunes Afghans venus chercher refuge en Europe et qui, confrontés à une gestion des flux migratoires exclusivement répressive, se retrouvent dans la plus grande précarité à survivre dans des taudis, sur les plages de la Manche ou, dans les squares publics de Paris ou d’autres villes de France ?

Comment accepter que des hommes, des femmes et des enfants meurent dans l’indifférence générale, alors qu’ils ont pris place, pour fuir la pauvreté, sur des embarcations de fortune pour rejoindre Tenerife, Lampedusa ou d’autres points de débarquement sur les côtes occidentales de la Méditerranée ?

Comment admettre enfin les incarcérations massives dans des camps de rétention installés en Europe mais aussi au Maroc ou en Libye, et les humiliations dont sont les victimes ces migrants originaires de zones frappées de plein fouet par la récession économique, la sécheresse ou la guerre ?

Les migrations ne sont pas un phénomène nouveau en France. Depuis 1980, la part de la population immigrée dans la population totale se situe autour de 8%. En 2010, un quart des enfants de moins de 18 ans ont un grand parent maternel né à l’étranger. La France est donc riche de ces diverses origines et l’immigration stable.

« La criminalisation de l’entrée et de la présence irrégulières des migrants en Europe porte atteinte aux principes établis du droit international. Elle est aussi à l’origine de nombreuses tragédies humaines sans pour autant atteindre sa finalité, qui est de maitriser réellement l’immigration », a affirmé début février 2010 Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, alors qu’il présentait un document thématique sur ce sujet. Il ajoutait : « Les Etats ont effectivement un intérêt légitime à contrôler leurs frontières, mais la criminalisation est une mesure disproportionnée, qui peut entrainer davantage de stigmatisation et la marginalisation des migrants ».

Loin des représentations des hordes de migrants déferlant sur l’Europe, un autre rapport du programme des Nations Unies pour le développement (« lever les barrières : mobilité et développement humains »*), publié récemment et passé relativement inaperçu, bouscule aussi d’autres idées reçues. Les flux de population des pays pauvres vers les pays riches restent minoritaires.

Si chaque année, 5 millions de personnes franchissent des frontières internationales pour aller vivre dans un pays développé, elles sont bien davantage à migrer vers un pays en développement ou à se déplacer dans leur propre pays. Ainsi, ce sont bien les pays en développement qui assument la majeure partie des flux migratoires. De plus comme le souligne le rapport : « il n’existe aucune preuve d’impacts négatifs de l’immigration sur l’économie, le marché du travail ou le budget, alors que les bénéfices ne sont plus à démontrer dans des domaines comme la diversité sociale et la capacité d’innovation ».

Médecins du Monde, présent auprès des migrants dans les 22 centres de soins de l’association en France, mais aussi dans des programmes mobiles auprès des personnes sans papiers comme à Calais ou Paris (1) complète désormais ce rapport du Pnud avec des données spécifiques relatives à l’immigration pour des raisons médicales. Ces données viennent contredire l’idée, répandue, que les personnes qui émigrent du Sud vers le Nord pour bénéficier des soins médicaux de qualité des pays Européens sont toujours plus nombreuses.

Un travail mené par les équipes de MDM dans onze pays européens et publié en septembre 2009 (« L’accès aux soins des personnes sans autorisation de séjour dans onze pays d’Europe ») a étudié les principales raisons invoqués pour expliquer la décision de migration : les personnes évoquent majoritairement des raisons économiques pour plus de la moitié d’entre elles. Seuls 6% ont cité comme motif de migration vers l’Europe des raisons de santé. Ces données sont quasiment identiques de celles contenues dans les rapports régulièrement produits par le Comede ou l’Institut de Vieille Sanitaire. Elles infirment donc l’idée de l’immigration pour raisons médicales et le lien entre immigration et déficit des comptes de la sécurité sociale.

En revanche, s’agissant le plus souvent de populations migrantes en situation de fragilité sociale et économique, vivant dans la précarité, le travail de MDM met en évidence à l’échelle européenne un accès aux soins et un suivi médical inadapté et largement insuffisant. Ce qui est clairement inquiétant. Pour ne prendre qu’un exemple, la situation des femmes enceintes dont seule une petite moitié bénéficie dans les faits d’un suivi des grossesses adapté.

Les représentations sécuritaires des phénomènes migratoires masquent les tragédies individuelles des migrants que nos équipes croisent quotidiennement ici, en France et en Europe, là bas, dans les pays dont ils sont originaires ou vers lesquels ils migrent dans l’espoir de lendemains plus humains. C’est pourquoi nous nous attachons à leur redonner un visage et une parole, et nous refusons des logiques sécuritaires qui nient les droits fondamentaux de la personne humaine au risque d’accroitre leur exclusion et leur précarité.

Dr Olivier BERNARD, Président MDM France

Pierre SALIGNON, Directeur général action humanitaire

(1) MDM mène également des actions dans des régions qui voient transiter les migrants, au Maroc, en Algérie, au Mali où encore sur le continent nord-américain à la frontière entre le Mexique et les USA. L’association intervient depuis longtemps dans plusieurs régions d’émigration, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du sud est, l’Amérique Latine, mais aussi des pays actuellement en guerre, Afghanistan et Somalie.


*http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rmdh2009/

Rapport mondial sur
le développement humain 2009

Lever les barrières :
Mobilité et développement humains

Le sens profond du développement humain est de mettre les personnes au centre du développement. Cela signifie que les êtres humains réalisent leur potentiel, élargissent leurs choix et profitent de leur liberté pour mener les vies auxquelles ils tiennent. Depuis 1990, les Rapports annuels sur le développement humain ont examiné les défis tels que la pauvreté, les sexospécifités, la démocratie, les droits de l’homme, la liberté culturelle, la mondialisation, la pénurie en eau et le changement climatique.

Les migrations, à la fois à l’intérieur et au-delà des frontières, sont devenues un thème d’une importance croissante dans les débats nationaux et internationaux, et elles sont le thème central du Rapport mondial sur le développement humain 2009 (RDH09). Le point de départ est que la distribution des capacités à l’échelle mondiale est extraordinairement inégale, et que ceci constitue un facteur majeur d’entraînement incitant les personnes à se déplacer. Les migrations peuvent élargir leurs choix, par exemple du point de vue des revenus, de l’accès aux services et de la participation, mais les opportunités qui s’ouvrent aux personnes varient entre celles qui sont les mieux loties et celles dont les compétences et les atouts sont limités. Ces inégalités sous-jacentes, qui peuvent être aggravées par les distorsions entre les politiques publiques, sont l’un des thèmes du Rapport.

Le Rapport enquête sur les migrations dans le contexte des évolutions et tendances démographiques à la fois en termes de croissance et d’inégalités. Il présente également des expériences individuelles, familiales et au niveau des villages, plus détaillées et nuancées et examine les trajectoires moins visibles que poursuivent généralement les groupes désavantagés, telles que les migrations à court terme et saisonnières.

Il existe toute une série d’éléments d’appréciation à propos des impacts positifs des migrations sur le développement humain, à travers des possibilités telles que l’augmentation des revenus des foyers et l’amélioration de l’accès à l’éducation et aux services de santé. Selon des données supplémentaires, tout porte à croire que les migrations peuvent donner des moyens d’action aux groupes traditionnellement désavantagés, en particulier les femmes. En même temps, les risques qui pèsent sur le développement humain sont également présents là où les migrations constituent une réaction à des menaces et à un déni du choix, et là où les possibilités normales de mouvement sont limitées.

Les politiques nationales et locales jouent un rôle crucial en permettant de mieux atteindre des résultats en matière de développement humain au profit des personnes qui choisissent d’émigrer pour améliorer leur situation comme au profit de toutes celles qui sont forcées de se déplacer en raison de conflits, de la dégradation de l’environnement ou pour d’autres raisons encore. Des restrictions mises en place par le pays d’accueil peuvent à la fois augmenter les coûts et les risques des migrations. Parallèlement, des résultats négatifs peuvent apparaître au niveau des pays dans lesquels les droits civiques fondamentaux, tels que le droit de vote, l’éducation et les soins de santé, sont refusés à ceux qui se sont déplacés à travers les limites provinciales pour travailler et vivre. Le RDH09 montre de quelle manière une approche du développement humain peut représenter un moyen de résoudre certains des problèmes sous-jacents qui fragilisent les avantages potentiels de la mobilité et/ou forcent les gens à la migration.

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