Une tribune pour les luttes

Nous ne serions plus qu’un quart d’antifascistes virtuels ?

" Il faut dénoncer toutes les institutions sociales qui établissent et développent en leur sein cette dynamique perverse de la soumission à une autorité malfaisante"

Article mis en ligne le mardi 9 mars 2010

http://lucky.blog.lemonde.fr/2010/0...

Nous ne serions plus qu’un quart d’antifascistes virtuels ?
“Zone extrême” : est-ce la télé-réalité qui peut nous transformer en tortionnaires ?, par Laurent Bègue et Michel Terestchenko - ( _ Soumission à l’autorité - Stanley Milgram. - Christophe Nick - Le jeu de la mort.)

A propos de ce texte paru dans Le Monde ce matin 9 mars.

Ainsi, lors de la célèbre expérience de Stanley Milgram dans les années 1960, il se trouvait environ plus d’une personne sur trois capable de désobéir à un ordre barbare, il est vrai particulièrement convainquant, et seulement une sur quatre aujourd’hui dans “Le jeu de la mort” ? En seulement deux générations abreuvées de capitalisme télévisuel, le déclin des réflexes d’humanité et de dignité est considérable, même si évidemment les deux expériences évoquées ne sont pas strictement comparables.

Mais cette question philosophique est décidément vertigineuse : transportés sur une île de fiction comme en rêvaient les rousseauïstes, confrontés à une anti-utopie de tortionnaires, impliqués dans un jeu-réalité de néo-nazis ou de néo-staliniens, aurions-nous la lucidité, l’humanité et le courage, pour savoir désobéir à temps ? Nul ne peut le garantir, de même que personne ne peut prétendre avoir été résistant ou sauveteurs de juifs entre 1940 et 1944, sauf ceux qui l’ont fait effectivement.

Je pense personnellement qu’il faut préalablement, pour effectuer de tels choix de résistance, avoir vécu dans sa précédente existence personnelle des expériences d’insoumissions, même très relatives, même et y compris ludiques, et donc avoir bénéficié des rétributions substantielles, y compris morales et psychologiques, qu’elles procurent toujours. Ne serait-ce que la joie profonde du “refus de parvenir”.

Passer de 35% à seulement 25 % d’insoumis potentiels n’est pas rien. Nous ne serions plus qu’un quart d’antifascistes virtuels ? (Et même pas certains d’en être, si l’on se considère sans complaisance ni bonne conscience…). Ce serait donc là le résultat d’un demi-siècle d’avilissement télévisuel, consumériste, précarisant, insécurisant, isolant-désolant, et de marche forcée vers ce “fascisme économique” de la concurrence de tous contre tous ?

Et bien, j’en tirerais encore une conclusion optimiste, malgré l’actuelle phase de glaciation sarkoberlusconienne : Ce qui a été défait peut être refait. Si par défaut, l’expérience tragique de l’absence massive de l’éducation provoque l’insensibilité à autrui, le sommeil de la raison et la déchéance fascistoïde, c’est bien que l’éducation reste une priorité axiale, à la fois transmission solidaire entre classes d’âge et transgression-dépassement créatif des aînés, à la fois but et moyen de la destinée humaine . C’est bien que la perfectibilité laïque de l’être humain reste l’enjeu primordial.

Lucky - Luc D.

http://lucky.blog.lemonde.fr/2010/0...

Voici quelques extraits particulièrement intéressants du point de vue de Laurent Bègue et de Michel Terestchenko, paru ce matin mardi 9 mars, dans Le Monde, page 19.

Mais il faut le lire en intégralité sur :

http://lemonde.fr/opinions/article/...

“Zone extrême” : est-ce la télé-réalité qui peut nous transformer en tortionnaires ?, par Laurent Bègue et Michel Terestchenko

Nul doute que le documentaire réalisé par Christophe Nick, “Le Jeu de la mort”, financé par France 2 et que la chaîne publique doit diffuser les 17 et 18 mars, va constituer un événement médiatique. Il va relancer le débat sur la méchanceté de notre humanité ordinaire.

(…) Près de 80 % des participants (appelés “questionneurs”) à cet exercice, qui n’avait vraiment rien d’un divertissement, se sont transformés, (…) en purs et simples tortionnaires prêts à faire souffrir atrocement, voire à tuer, leur partenaire - du moins est-ce ce qu’ils croyaient.

(…) Christophe Nick et le philosophe Michel Eltchaninoff viennent de publier un ouvrage, L’Expérience extrême (éd. Don Quichotte, 294 p., 18,50 euros), qui dénonce le pouvoir que la télévision exerce sur nos esprits, surtout lorsqu’elle s’abandonne aux dérives perverses de la télé-réalité. Celui-ci reproduit, à un certain nombre de variations près, la fameuse expérience sur la soumission à l’autorité, menée par le professeur de psychologie sociale de l’université de Yale, Stanley Milgram, entre 1960 et 1963, en vue de comprendre les atrocités commises par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. Première conclusion accablante : à bientôt cinquante ans de distance, et malgré tout ce que nous sommes censés avoir appris sur la Shoah, les comportements passifs d’obéissance des individus, lorsqu’ils sont confrontés, même avec une anxiété réelle, aux ordres d’une autorité destructrice à leurs yeux légitimes - ce facteur de la légitimité est déterminant - l’emportent toujours sur le petit nombre (près de 20 % dans l’expérience Zone extrême, autour de 35 % dans l’expérience standard chez Milgram)de ceux qui se comportent, à un moment donné, en individus libres, responsables et, par conséquent, rebelles.

(…) Une fois la duperie révélée, les questionneurs dociles se sont vu expliquer par une équipe de psychologues qu’ils n’avaient pas à se sentir coupables, car seule la situation était en cause ; du reste, les autres avaient agi comme eux.

(…) Qu’en serait-il si l’on devait appliquer aux meurtriers, pris dans des conditions réelles de génocide de masse, une compréhension aussi accommodante ? Reconnaissons que la question est pour le moins délicate.

(…)

Existerait-il un antidote à l’aveuglement de la soumission ? Contrairement à ce que prédirait une position “situationniste” radicale, il est, en effet, possible d’identifier plusieurs variables individuelles liées à l’obéissance. C’est ainsi que les sujets sont d’autant plus incités à obéir qu’ils adhèrent aux valeurs de la coopération sociale et de l’amabilité et qu’ils sont socialement intégrés. Inversement, ceux qui se sentent le moins satisfaits de leur sort ou ont une inclination au refus de statu quo social ont une bien plus grande propension à la rébellion. Il existe une grande différence entre “être pris par les circonstances” et la capacité à leur “faire face”, et cette capacité se rapporte à une manière personnelle de se rapporter au monde et aux autres qui est le propre de ceux qui savent ne rien perdre de leur présence à soi et de la fidélité à leurs principes. Ce que ces résultats indiquent, c’est que l’action désobéissante est plus difficile pour les personnes les plus intégrées dans le système.

(…) Mais ce n’est pas la télévision seulement qu’il s’agit, en l’occurrence, de mettre en cause. Avec elle, il faut dénoncer toutes les institutions sociales qui établissent et développent en leur sein cette dynamique perverse de la soumission à une autorité malfaisante. Et comment ne pas songer à ce qui se déroule quotidiennement dans l’univers clos de bien des entreprises ?

(…)

Laurent Bègue est professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-II ;

Michel Terestchenko est philosophe.

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