Une tribune pour les luttes

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8 mai, Cité Michelis, Marseille

Marie-Ange Patrizio

Article mis en ligne le dimanche 9 mai 2010

Par mail

Bonsoir,

êtes-vous allés à la commémoration du 8 mai ? Dans mon quartier il y en a une à la Cité Michelis, appelée avant (qu’il y ait 30 % de vote FN) la Cité rouge, construite en 1934. Une partie des gens qui viennent à la cérémonie habitent là depuis sa construction. Ils y sont nés ou sont venus y habiter, petits, et ont connu ceux dont les noms sont inscrits sur la plaque du monument « aux morts de la guerre 1939-1945 » : le « monument » est ici la plaque scellée sur la façade d’un des immeubles de la cité, derrière une très belle statue. Sobre, sans doute en pierre de Rognes, claire : un homme debout, un peu plus grand que nature. Il paraît que c’est un étudiant des Beaux-Arts qui l’a faite après la guerre, me dit chaque année Henri, parce que chaque année je lui dis que je la trouve superbe ; c’est lui qui m’a parlé cette cérémonie il y a plusieurs années, on s’était rencontré à la boulangerie, on avait parlé « politique » à partir d’une réflexion bien sentie qu’il avait faite sur un sujet apparemment banal. C’est lui qui me parle, d’une année sur l’autre, de ceux dont les noms sont sur la stèle et qu’il a tous connus : Noël Coll, fusillé au Fort Saint Nicolas, à la libération de Marseille, 19 ans (la rue porte son nom). Paul Lucchesi, mort à 18 ans, (d’après ce que m’a dit Henri ; il n’y a pas les dates de naissance et de mort sur cette plaque). Dix-huit ans… Mort en Espagne (Brigades internationales). Ceux qui sont morts déportés à Auschwitz, un enfant de 12 ans et sa mère Juliette Sultan, «  israélites » me dit Henri ; le mari est mort récemment, avant il était toujours là. Les autres, morts au STO ou dans les combats de la libération. Le discours de celui qui, je pense, représente la cité, est toujours saisissant et émouvant, il dit l’essentiel : le souvenir de ceux qui sont tombés, il les nomme, le sens de leur combat, la nécessité de continuer la lutte.

Les enfants de l’équipe de foot US Michelis sont de part et d’autres de la statue, au début ils rigolent un peu après ils écoutent. Je vais aller faire une photo de la statue. Henri est fier du fait que c’est la seule cité à Marseille qui ait sa plaque, et une statue : il ne faut rien imaginer de plus qu’une cité ouvrière, des petits immeubles, bien faits, quelques arbres, de la verdure. Il y a toujours le lavoir, au centre de la cité.

La sœur d’un des deux jeunes combattants est là ; elle m’a dit ce matin 81 ans : elle était petite quand son frère a été fusillé. L’an dernier on avait un peu bavardé, juste quelques mots de son enfance avec la douleur de sa mère. Je ne connais pas les autres, de vue seulement, dans le quartier.

Ces cérémonies ne sont pas tristes, chacun est content d’être là, on écoute d’abord, ensuite on bavarde, les femmes viennent le porte-monnaie à la main ; dans le groupe de ceux qui ont un certain âge, je remarque ce matin qu’il y a à peu près autant de femmes que d’hommes. Je me dis ce matin que c’est peut-être une marque des groupes de vieux communistes, cette présence en nombre égal des femmes et des hommes. Ou c’est une marque de cette cité, à l’époque ?

Devant la stèle, la statue et la gerbe entourées d’une petite haie de thuyas.

On a tué celui qui disait,
« Vert, c’est toi que j’aime vert
Vert du vent et vert des branches
Le cheval sur la montagne
Et la barque sur la mer. »

Il aimait les jardins secrets de Grenade,
Il aimait le vent, les oliviers.
Il avait dit :
« Je suis et je serai toujours du côté de ceux qui ont faim ».
Il avait dit :
« Si je meurs,
laissez la fenêtre ouverte. »
Il avait dit :
« Non, ce sang je ne veux pas le voir. »

[Mourir à Madrid,
Frédéric Rossif, Madeleine Chapsal, Paris, 1963, Seghers, p. 20.]

Verrons-nous des photos des commémorations de Sétif ?

m-a

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Vos commentaires

  • Le 9 mai 2010 à 03:05, par messaouda benraad En réponse à : 8 mai, Cité Michelis, Marseille

    marie ange, ton temoignage est encore plus poignant dit sur le mode du recit. tu y es, tu le vis, je me demande comment se fait-il que tu temoignes ET je me demande comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’autres marie-ange. En meme temps tu portes un prenom certain pour ne pas dire un certain prenom. Et quand a la fin du recit tu evoques setif, alors je t’invite a voir la serie de temoignages de survivants de setif et environs. c’estait aujourd’hui pour la deuxieme edition, la commemoration de ceux et celles mortes le 8 mai 45 en l’algerie fransaise. il y aura sans doute une 3eme edition. Parfois le temps est plus long, on le souhaite toutes plus court en ces circonstances qui nous separent deja de 65 annees.
    je serai ravie de te rencontrer, je suis membre active de mille babords.
    messaouda

  • Le 10 mai 2010 à 07:10 En réponse à : 8 mai, Cité Michelis, Marseille

    Bonjour,
    il a plusieurs erreurs dans mon récit que j’ai constatées en allant faire des photos de la statue hier. Merci de votre message, je vous répondrai ce soir en corrigeant mes inexactitudes et en ajoutant quelque chose qui me semble important sur la statue, et en transmettant quelques éléments et une information reçus hier d’une amie qui était à la cérémonie.

    Et les noms de la plaque "A la mémoire des habitants de la Cité Michelis morts victimes de la Guerre 1939-1945",

    marie-ange

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