Une tribune pour les luttes

Immigration, La guerre des chiffres est déclarée

Marie Barbier

Article mis en ligne le mercredi 19 mai 2010

L’Humanité :
http://www.humanite.fr/2010-04-27_S...

Article paru
le 27 avril 2010

Alors que des parlementaires réclament la transparence sur le coût de la politique d’expulsion menée par la France, Éric Besson répond en demandant une étude chiffrée sur le coût de l’immigration irrégulière.
_ Une façon, pour le ministre, de réorienter le débat sur un terrain volontairement glissant.

Avoir tous « les chiffres sur la table » pour « en parler calmement ». Tel est l’objectif d’Éric Besson en annonçant le lancement d’une étude sur le coût de l’immigration irrégulière. « Je vais demander à un expert indépendant de mettre tous les chiffres sur la table pour que tous nos citoyens, qui sont aussi des contribuables, sachent tout en la matière, et on verra que beaucoup de bêtises sont racontées », a indiqué le ministre de l’Immigration. Et d’anticiper illico sur les résultats de cette étude en déclarant que « l’immigration irrégulière coûte cher ».

Éric Besson détournait ainsi le débat engagé au début du mois par quinze parlementaires, de gauche comme de droite, qui ont annoncé leur volonté de réaliser un audit informel sur le « coût réel de la politique d’immigration » : moyens policiers considérables, gestion des centres de rétention, expulsions… Combien coûte à l’État la machine à expulser ? Depuis la création du ministère de l’Immigration, en 2007, la question est récurrente, mais n’a jamais obtenu de réponse précise. Les chiffres en la matière sont extrêmement variables…

L’association Cette France-là, à l’origine de l’initiative des parlementaires, a déjà compilé les différents coûts relatifs aux interpellations, à la rétention et aux éloignements. D’après ses calculs, le total s’élèverait à plus de 2,05 milliards d’euros par an…

Un chiffre colossal, dix fois supérieur aux estimations officielles. Selon le ministère, «  le coût global de la politique d’éloignement peut être estimé à 232 millions d’euros, sans compter les coûts afférents aux différentes juridictions qui n’ont pu être évalués, soit un montant par reconduite de l’ordre de 12 000 euros ». Une moyenne bien en deçà de toutes les estimations. Ainsi, la commission des Finances du Sénat évalue le coût des expulsions à 415,2 millions d’euros, soit 20 970 euros par personne reconduite. Ce montant, précisent les sénateurs, « ne prend pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l’aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux ».

Autant d’éléments que Damien de Blic a, lui, décidé de prendre en compte dans ses calculs. Maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris-VIII, il additionne l’ensemble de la chaîne de l’expulsion, en aval et en amont des centres de rétention, et arrive à un total de 700 millions d’euros, soit 26 000 euros par expulsion. « Expulser des dizaines de milliers d’étrangers par la force suppose en effet la mise en place de moyens administratifs et policiers considérables », conclut-il.

Si plusieurs tentatives ont été faites pour chiffrer le prix de la politique de répression à l’égard des sans-papiers, le calcul du coût de l’immigration irrégulière, comme le demande le ministre, paraît en revanche beaucoup plus délicat. Au-delà de l’idéologie sous-tendue par la démarche («  Démontrer à quel point les étrangers en situation irrégulière coûteraient cher à la société française et par conséquent aux citoyens français », dénonce SOS-Racisme), la réalisation même de cette étude n’est pas sans poser des questions. Comment, en effet, calculer le coût des sans-papiers ? Par définition, l’immigration clandestine est très difficilement quantifiable. Le ministère lui-même paraît incapable de les 
dénombrer, se contentant de répéter invariablement que 200 000 à 
400 000 sans-papiers vivraient en France. Une fois le public précisé, comment calculer leur coût ? Calcule-t-on aussi les recettes, les rendements ? L’affaire n’est pas simple.

Jusqu’à présent, une seule étude a été écrite sur le « coût réel de l’immigration en France ». Publiée en mars 2008 par l’association les Contribuables associés, elle a été réalisée par Jean-Paul Gourévitch, également auteur de l’Immigration  : ça coûte ou ça rapporte ? qui se présente comme un «  expert en Afrique et en migrations ». Dans sa monographie figurent, pêle-mêle, dans la case des coûts de l’immigration : l’aide juridictionnelle, les zones d’éducation prioritaire, le travail illégal puisque « la part des étrangers auteurs d’infractions ayant trait au travail illégal tend à augmenter fortement » (et peu importe s’ils sont davantage victimes de ce système qu’ils n’en profitent), la fraude dans les transports en commun, puisqu’elle « provient largement des jeunes de banlieue issus de l’immigration », la prostitution puisqu’une majorité des « prostituées professionnelles » sont étrangères et ainsi de suite. Conclusion  : « Chaque année, l’immigration coûte aux contribuables 36,405 milliards d’euros. »

Interrogé par l’Humanité sur sa méthodologie, Jean-Paul Gourévitch se retranche derrière une pseudo-neutralité scientifique, assurant qu’il n’est « pas du tout engagé politiquement d’un côté ou de l’autre ». Il considère que « toute étude peut toujours être instrumentalisée, surtout sur un sujet sensible. Ne pas faire d’étude, c’est encore pire, c’est l’amalgame, la rumeur, la schématisation, le n’importe quoi ». Les travaux de Jean-Paul Gourévitch, pour le moins contestables, sont largement repris par les sites d’extrême droite, qui en font leurs choux gras sur Internet.

« Derrière les chiffrages se cachent toujours des choix idéologiques, analyse Pedro Vianna, rédacteur en chef de la revue Migrations société. Chiffrer l’immigration revient à en avoir une vision utilitariste  : est-ce que ça coûte cher ou pas ? La démarche de l’association Cette France-là est radicalement opposée, elle relève d’une logique législative et budgétaire, et pose la question de l’utilisation de l’argent de la collectivité. »

Officiellement, l’« étude globale » promise par Éric Besson devrait porter sur le « coût du maintien sur le territoire des étrangers en situation irrégulière » : hébergement, soins, scolarité, « manque à gagner pour les services sociaux et fiscaux du travail non déclaré », rétention, etc. Le cahier des charges est en cours d’écriture et l’appel d’offres devrait être lancé prochainement.

Inversement, des économistes travaillent sur les bénéfices de l’immigration pour les pays d’accueil. Ainsi, des études de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque mondiale démontrent que la régularisation des travailleurs sans papiers serait bénéfique pour l’économie française. Au Royaume-Uni, une étude publiée par la London School of Economics, en juin 2009, démontre que la régularisation des 618 000 migrants vivant en situation irrégulière sur le territoire britannique rapporterait quelque 3 milliards de livres (4,6 milliards d’euros) aux caisses de l’État.

Pour la France, des études 
économétriques estiment que 
100 000 immigrés augmentent le niveau de vie des Français de 0,1 %. « Ce bénéfice est faible, précise le démographe Hervé Le Bras, parce que les 100 000 personnes sont à comparer aux 65 millions de Français. Mais si vous ramenez ce chiffre au migrant lui-même, ça veut dire que la moitié de sa productivité ne lui revient pas, mais revient à l’ensemble de la communauté. » Le chercheur revendique sa participation à ce type de calculs : «  En tant que démographe et économiste, j’établis au mieux les chiffres. Sinon, on laisse le champ libre à Le Pen, qui dit que ces gens nous coûtent cher, ce qui est radicalement faux. »

Et de donner un exemple d’actualité  : les retraites. « La plupart des étrangers payent leurs annuités alors qu’ils ne toucheront pas ou très peu de retraite, explique encore Hervé Le Bras. L’État y gagne. » Et pas qu’un peu. L’association Droits devant  !! a, elle aussi, sorti sa calculatrice : 300 000 travailleurs sans papiers vivant en France et gagnant le smic en moyenne versent chaque année dans les caisses de l’État 1,5 milliard d’euros pour les retraites et les Assedic. Des cotisations dont les travailleurs sans papiers ne verront jamais la couleur… « Il faut multiplier ce chiffre par le nombre d’années depuis 1974, début de la surexploitation des sans-papiers, souligne Jean-Claude Amara, de Droits devant  !! On arrive à un chiffre colossal ! Quand on entend Besson dire que l’immigration coûte cher, on a envie de rire… »


Marie Barbier

Si le ministre de l’Immigration souhaite, comme il le dit, mettre « tous les chiffres sur la table », il devra aussi compter sur les bénéfices conséquents apportés par l’immigration irrégulière à la France. Le débat est ouvert.

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