Une tribune pour les luttes

Collectif Respect Vérité Justice

Le procès de Villiers était écrit,
À propos d’un verdict infâme

Article mis en ligne le samedi 24 juillet 2010

http://lmsi.net/spip.php?article1076

22 juillet 2010

Je suis le collectif RVJ (Respect, Vérité, Justice) de Villiers-le-Bel. Quand un seul sentiment envahit de nombreuses personnes, ce sentiment a le droit de dire «  je ».

J’attendais ce procès avec impatience. On entend dire souvent : « la justice tranchera » ou « je m’en remets à la justice » comme on dirait «  je m’en remets à Dieu » et « la vérité tranchera ».

Le 21 juin, je me rends au tribunal, pour assister à ce que je crois être un procès public. Je suis arrêté par une haie de CRS. On me demande qui je suis. La salle est pleine parce que la plupart des places sont réservées aux policiers et à la presse. On me dit qu’il reste 15 places pour les familles, « priorité aux familles », dit un monsieur du tribunal. Tous les jours le même cirque. On voudrait que la sœur dise au cousin qu’il n’a pas à entrer parce qu’il est moins de la famille qu’elle, et que la sœur et le cousin se retournent pour dire au à l’ami, au simple citoyen qu’ils n’ont rien à faire ici. Cela ne s’appelle pas un procès public, c’est un huis-clos médiatisé.

Quand je parviens à entrer dans la salle d’audiences, j’entends des policiers déclarer qu’ils n’ont pas pris la peine de vérifier la véracité des témoignages anonymes recueillis, parce qu’ils avaient le «  sentiment » que les témoins étaient sincères (le ministère de l’Intérieur n’a pas été aussi sincère que les témoins, parce que ceux-ci ont appris trop tard qu’ils ne toucheraient pas un sou de la rétribution financière qu’on leur avait publiquement promise). J’entends d’autres policiers qui expliquent sans rire et sous serment qu’en garde à vue la moindre parole qu’ils adressent aux gardés à vue est inscrite au procès-verbal à l’exception des formules d’usages comme :

« Bonjour Monsieur, avez-vous passé une bonne nuit ?
 » (sic).

Je vois la présidente de la cour qui ne fait aucun effort pour cacher sa partialité, à tel point que cela semble fait exprès. Je vois des gens qui reconnaissent des coupables sur des vidéos toutes noires que même la police scientifique déclare inutilisable, des témoins-surprises fabriqués la veille et encore un peu mal cuits, d’autres qui, au milieu d’exposés fumeux sur les diverses «  races » africaines, ont soudain des « flashs » remontant de leur «  inconscient », j’assiste à beaucoup de miracles et à beaucoup d’événements farfelus.

Sur la foi de ces miracles, les accusés seront jugés coupables et ne prendront «  que » quinze, douze, neuf, ou trois ans de prison. Le décor est planté depuis trop longtemps, les rôles trop bien distribués, pour que cette mascarade se trouve affectée par de simples faits. Que vaut ma parole, contre celle d’un policier ? On a trop fabulé sur la vie des quartiers pour que personne ne doute a priori du scénario, qui sera toujours assez vraisemblable. La défense a beau démontrer que l’accusation ne repose sur rien, la simple hypothèse selon laquelle les inculpés sont innocents est irrecevable. Elle ne satisfait pas à la demande.

La demande était de venger coûte que coûte l’honneur de la police, et de faire un exemple. Avec les gens de mon espèce, on ne fait pas de détail. On ne s’embarrasse pas de distinctions. Les châtiments sont collectifs. « Si ce n’est pas toi, c’est ton frère, on vous connaît, vous êtes de la même farine. » Face à nous, les magistrats peuvent prendre des poses d’anges exterminateurs. Les lois sur les bandes, et « l’opinion publique », les y autorisent. Le reste est «  dommage collatéral » et se passe loin des regards, derrière les murs des tribunaux et des prisons.

On m’avait dit que la violence n’était pas une solution. Qu’il fallait respecter les formes, et laisser la justice travailler. J’ai pris rendez-vous avec le maire. J’ai monté une association. On m’a fait de fausses promesses et on m’a mis des bâtons dans les roues. J’ai été jusqu’au ministère. J’ai organisé des collectes, des concerts pour payer de bons avocats, une manifestation, une tournée, un tournoi de football et des débats. Comment me défendre de l’impression que tous ces efforts étaient voués à l’échec ? Comment éviter que certains finissent par en conclure que ce qui « n’est pas une solution » est malgré tout la seule ? Un rappeur l’a bien dit :
« J’ai voulu prendre le droit chemin, mais il y avait des péages. »

Comble de la provocation, deux jours après ce verdict condamnant lourdement cinq personnes sans preuves, la Garde des sceaux Michelle Alliot-Marie défend son ami Eric Woerth en prétendant que
« l’innoncence se présume et la culpabilité se prouve ».

Croit-on par ce genre de procès, m’inculquer le respect des lois ? On me montre qu’on peut m’envoyer croupir quinze ans en prison indépendamment du fait que j’ai commis ou non ce dont on m’accuse. N’est-on pas en train de me persuader que quitte à obtenir le châtiment, autant s’autoriser la faute ? Je crois qu’on veut faire de nous des loups. Je crois, que pour garder leur brebis, les bergers ont besoin des loups. Un chien ne leur suffit pas. Il faut le chien d’un côté et les loups de l’autre, sinon les brebis pourraient s’enfuir ou prendre en haine le berger et son chien. En principe, c’est le berger qui décide qui est une brebis et qui est un loup. Moi, je ne veux pas être un loup, mais je ne me laisserai pas mener à l’abattoir comme un mouton.

Post-scriptum

Pour soutenir financièrement les condamnés et leurs familles, notamment pour préparer le procès en Appel :

Adresser vos chèques à l’ordre de Respect Vérité Justice, à l’adresse suivante : Respect Vérité Justice, c/o Maison de quartier Allende, 10 boulevard Allende, 95400 Villiers-le-Bel.

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Vos commentaires

  • Le 29 juillet 2010 à 17:52, par Christiane En réponse à : POUR LE RESPECT, LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE… VILLIERS-LE-BEL REPASSERA !

    CQFD N°080

    21 juillet 2010.

    Auteur : Nicolas Arraitz.

    " On aurait dit que c’était elle l’avocate générale », raconte Saïd, un des porte-parole du collectif Respect vérité justice, à propos de la présidente de la cour d’assises. « Elle manoeuvrait le jury comme Domenech l’équipe de France.Seulement,là,c’est pas le ballon qui recevait les coups, c’est nos potes.
    On aurait dit un huis clos déguisé. La salle d’audience était investie par les policiers et les journalistes. Les proches ont dû se relayer pour assister aux débats,subissant chaque fois les contrôles, les fouilles
    … »
    Et le ballet des témoins de l’accusation ? « Bien que l’accusation ait dit qu’on n’allait pas faire le procès de la banlieue, on a utilisé tous les clichés pour expliquer que les témoins se rétractent. Au lieu de questionner la fiabilité de leur témoignage, on a évoqué l’omerta, les menaces des caïds…

    Pourtant, les enquêteurs ont reconnu ne pas avoir vérifié leurs allégations. On a cru sur parole des témoins anonymes, même s’ils s’avèrent être un indic des stups ou un coupable de viol sur mineur un peu mytho…
    Exemple : un témoin affirme avoir vu Maka tirer sur la police. Il le décrit en train d’appuyer sur la gâchette avec la main droite,alors que Maka est gaucher. Mais la juge n’a pas relevé l’incohérence. »

    Comment ont été traités les témoins de la défense ?
    «  Plus ou moins mal. M. Sow, le père d’Ibrahima, a semblé convaincre par sa sincérité. Mais ça n’a pas empêché son fils d’en prendre pour neuf ans. »

    Le dossier de l’accusation ?
    «  Le grand vide. Ils ont même appelé les plaignants et leurs témoins à comparaître une deuxième fois tellement leur première audition avait sonné creux ! Un vrai matraquage. Les jurés ont été orientés pour confirmer une décision déjà prise. »

    C’est que Sarkozy avait exigé du « résultat »…
    « Oui,et Alliot-Marie,pour défendre son copain Woerth, a osé dire que “l’innocence se présume, la culpabilité se prouve” ! Alors qu’au même instant, nos copains à nous étaient condamnés sans preuve, sans armes retrouvées, sans traces ADN, sans images fiables.
    On nous a prouvé qu’il y a bien une justice à deux vitesses.

    Faire confiance à la justice ? On a confirmé aux gens de Villiersle- Bel que la seule solution qu’ils ont cru avoir au début, c’est vraiment la seule. On nous a montré que nous ne sommes pas chez nous ici. Faut pas qu’ils s’étonnent après si la Marseillaise est sifflée… Les inventeurs des droits de l’homme regardaient le monde du haut de la tour de Pise, non ? »

    Comment vois-tu la suite ? « 
    Aujourd’hui, on est dans la réflexion. Les condamnés ont jusqu’au 14 juillet pour faire appel. Mais il y a danger : vu l’arbitraire de leur condamnation en première instance, on peut imaginer le pire. Maka, par exemple, n’a aucun intérêt à faire appel : il devrait sortir d’ici peu, puisqu’il a fait presque toute sa peine avec la préventive. Il n’avait aucun antécédent judiciaire, ça a dû jouer en sa faveur. » Et puis, en épargner un sur quatre donne l’impression que la justice est sereine et mesurée, alors que tout ce procès a été mené à charge, pour l’exemple, parce que le pouvoir avait décrété qu’il fallait des coupables à tout prix.

    Article publié dans CQFD n°80, juillet/Août 2010, actuellement en kiosques.

  • Le 3 août 2010 à 13:36 En réponse à : POUR LE RESPECT, LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE… VILLIERS-LE-BEL REPASSERA !

    Merci pour cette retransmission. Je bosse bien loin de Villiers-le-Bel, bien loin des banlieues, et ce n’est pas facile de "connaître" les gens, les situations.
    L’éclairage orienté des médias casse le sens de ces procès, le sens de la justice, et nous place symboliquement... en frères ennemis alors que le problème ne se situe pas entre personne (pelot blanc, citadin ou campagnard, même apeuré, naïf ou couillon et pelot bronzé vivant en banlieue).
    Bref, merci.
    Pour qu’on ait une chance d’avoir une société autre que destructrice, il faudra bien acter la nécessaire convergence des luttes.

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