Une tribune pour les luttes


Entretien avec Pierre STAMBUL de l’UJFP pour Algérie News


Article mis en ligne le dimanche 3 octobre 2010

1. 1. Malgré les appels de la communauté internationale exhortant Israël à prolonger son moratoire sur les nouvelles constructions dans les colonies, la colonisation a repris en Cisjordanie alors que c’était la condition exigée par l’Autorité palestinienne du « dialogue de paix » avec Israël. Quelles réflexions vous inspirent cette situation ?

La notion de «  dialogue de paix » est totalement infirmée par la réalité. La colonisation n’a jamais cessé. Déjà entre la signature des accords d’Oslo (1993) et l’assassinat d’Itzhak Rabin, un an et demi plus tard, 60000 nouveaux colons avaient été installés. Aujourd’hui, il y a 500000 colons en ajoutant ceux de Jérusalem Est et ceux de Cisjordanie. La colonisation n’est pas rampante, elle se veut définitive. La communauté internationale est d’une hypocrisie totale. Au lieu de dire : « puisqu’Israël continue la colonisation, nous allons sanctionner ce pays », elle exige, comme toujours une capitulation palestinienne sur ses droits fondamentaux. Si ces discussions continuent alors que la colonisation se poursuit, de quoi va-t-on discuter ? De la « sécurité » de l’occupant ? De la taille des bantoustans ?

1. 2. On sait qu’au moins 500.000 constructions existent déjà en Cisjordanie. Pouvez-vous nous retracer ce processus et les enjeux à la fois géostratégiques et même mythologiques qui l’entourent ?

La colonisation était prévue avant la guerre de 1967. Immédiatement après les conquêtes de 1967, le gouvernement de l’époque (Mapaï, c’est-à-dire travailliste) a décidé la colonisation. C’est le plan Igal Allon (du nom d’un ministre de l’époque) qui est appliqué. Il prévoyait l’annexion de nombreux territoires dont la vallée du Jourdain. Comme la « gauche sioniste » n’avait pas le personnel politique pour coloniser, ils sont allés chercher les religieux et ils ont créé le courant « national-religieux » qui représente aujourd’hui près d’un quart de la société israélienne. Pour les sionistes, il faut «  finir la guerre de 48 » pour reprendre le slogan sur lequel Sharon s’était fait élire après sa provocation sur l’esplanade des mosquées. Finir cette guerre, cela veut dire réaliser le « transfert » (l’expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain) ou les marginaliser à l’image de la marginalisation des peuples indigènes en Amérique du Nord ou en Australie. La colonisation et son extension sont centrales dans ce processus. Pour les sionistes religieux, «  Dieu a donné cette terre au peuple juif », ce qui justifie les pires exactions contre les Palestiniens (voir les 400 colons vivant sous «  protection » militaire dans le centre historique d’Hébron). Les religieux font une interprétation intégriste du texte biblique. Pourtant, il y a un consensus total chez les historiens et les archéologues, y compris israéliens, pour dire que les épisodes bibliques invoqués par les sionistes religieux (la conquête sanglante de Canaan, le royaume unifié) sont largement légendaires.

1. 3. Ne peut-on dire que d’ores et déjà qu’en raison d’incessantes opération de colonisation et de confiscation, le projet d’un Etat palestinien souverain avec des frontières recoupant la fameuse «  ligne verte » avant l’’invasion et l’annexion de la Cisjordanie et Ghaza en 1967 est caduque. Sans parler du fameux « Mur » de séparation que l’on évoque de moins en moins dans les médias occidentaux…

Il m’est arrivé d’animer des réunions publiques avec Hind Khoury, ancienne représente de l’Autorité Palestinienne en France et elle a toujours expliqué que la colonisation, le Mur, les check-points, le blocus de Gaza … tuaient la possibilité de la création palestinien sur 22% de la Palestine historique (les territoires occupés en 1967). Créer un tel Etat signifierait que les 500000 colons accepteraient, soit de partir, soit de devenir des citoyens palestiniens. Bien sûr, aucun phénomène n’est irréversible, mais il faut rappeler que les précédentes évacuations de colons (le Sinaï ou Gaza) concernaient 8000 à 10000 personnes. Là on n’est pas dans la même échelle, et on ne voit pas quel dirigeant israélien pourrait vouloir imposer une solution sur la base de la frontière internationalement reconnue. Négocier sur cette base est irréaliste. Les Israéliens exigeront de garder tous les territoires où il y a des colons et donc de « légaliser » le fait accompli.

1. 4. Vous, juif, militant antisioniste pour une paix juste entre les deux peuples, comment appréciez ces pourparlers directs de paix. Jeux de dupes avec l’assentiment de l’Autorité palestinienne, création d’un processus de paix entamé il y 13 ans qui s’avère être maintenant un miroir aux alouettes ?

J’aimerais que dans ce jeu de dupes, la participation de l’Autorité palestinienne ne soit que tactique. Mais j’ai peur qu’il y ait d’autres raisons, beaucoup moins avouables. Je trouve déplorable que les mouvements palestiniens qui déplorent cette comédie soient réprimés. Le désaveu vient aussi bien du Hamas, de la plupart des partis de gauche (le FPLP vient de suspendre sa participation à l’OLP) et même d’une partie du Fatah (Marwan Barghouti). Le piège s’est refermé sur l’Autorité Palestinienne. Non seulement, elle n’est en rien l’embryon d’un futur Etat palestinien, mais elle accepte trop facilement, et la division de la Palestine, et le rôle que l’occupant lui a alloué : assurer sa « sécurité ». En tout cas, négocier sous direction américaine ne peut mener qu’à la capitulation palestinienne, comme on a tenté de l’exiger d’Arafat à Taba et Camp David. Ce n’est pas par hasard que l’Occident soutient, quoi qu’il arrive, la position israélienne. L’Etat d’Israël, surarmé et dépensant l’essentiel de son PIB dans les armes et les technologies de pointe, c’est l’Etat que souhaitent les dirigeants occidentaux. Jamais ils n’impulseront une négociation basée sur le droit international, l’égalité entre les peuples ou la réparation du crime fondateur (la Naqba).

1. 5. Des responsables israéliens font observer maintenait aux Palestiniens : « nous avons négocié par le passé sans arrêter la colonisation ? Pourquoi en faire une condition ? Or l’Onu, la communauté condamnent cette colonisation. Israël est-il un Etat au-dessus du droit international ?

Comme cela s’est toujours fait depuis plus de 60 ans, c’est le fait accompli et la loi du plus fort qui se substituent au droit. Israël n’est pas au-dessus du droit, mais ses dirigeants peuvent se permettre de violer en permanence le droit international puisqu’ils ne sont jamais sanctionnés. L’Onu est hélas totalement incapable. Où sont les sanctions après la condamnation du Mur par la cour de la Haye ? Où sont les sanctions après le rapport Goldstone sur les crimes commis à Gaza ? Pire, après l’attaque de la flottille, l’ONU nomme l’ancien président colombien Uribe pour superviser l’enquête alors que cet homme d’extrême droite a toujours été l’allié d’Israël. C’est parce qu’il y a impunité que le gouvernement israélien a pu se permettre, le jour même de la visite du vice-président américain Biden, d’annoncer la construction de milliers de logements à Jérusalem Est. Nétanyahou savait qu’Obama cèderait sur l’exigence du « gel » de la colonisation et il ne s’est pas trompé.

6. On sent qu’il y a peu de réactions rigoureuses de la part de la communauté internationale ; Dans ces conditions, L’Autorité palestinienne soumises aux pressions de Washington et aux promesses sans suite, a-t-elle, à votre avis, une alternative aux discussions directes ?

Je veux espérer que l’Autorité Palestinienne sait que ces négociations ne mènent nulle part. Sauf qu’elles permettent une fois de plus à l’occupant de gagner du temps et de consolider le fait accompli. L’Autorité Palestinienne n’a pas d’alternative. Elle essaie de se persuader qu’un jour, la communauté internationale fera pression sur Israël alors que cet espoir est tout à fait vain. Si les gouvernements occidentaux changent, cela ne se passera pas « à froid ». Ce sera la conséquence du BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) et donc de la pression des opinions publiques pour qu’Israël soit enfin sanctionné politiquement, économiquement, culturellement …

7..Le Hamas considère que "la poursuite de ces négociations est un crime contre le peuple palestinien.. » et Le FPLP a déjà annoncé son retrait du comité exécutif palestinien ? Le consensus palestinien ne risque-t-il cette fois pas de s’effondrer totalement, voire de déboucher sur une guerre civile qui arrangerait les affaires des ultras israéliens ?

La division palestinienne est une gigantesque victoire de l’occupant. En Israël, le slogan a toujours été « nous n’avons pas de partenaire pour la paix » et chaque fois que les Israéliens en ont eu un, ils ont essayé de le liquider. Quand les Palestiniens « laïques » étaient politiquement hégémoniques, ils ont été réprimés, emprisonnés, assassinés. Et quand le Hamas est devenu important, les dirigeants israéliens ont assassiné ses dirigeants. La Palestine n’a pas d’Etat, mais elle a deux gouvernements rivaux. Dans un pays où l’économie réelle a été largement détruite par l’occupation, l’Autorité Palestinienne et ses 160000 fonctionnaires s’est substituée de fait au débat démocratique dans l’OLP. Le consensus palestinien est très menacé par les arrestations d’opposants, mais j’ai un formidable espoir dans la société palestinienne et dans son tissu associatif qui refusent énergiquement cette division.

8. Mahmoud Abbas devait rencontrer des représentants de la communauté juive de France. L’Union juive française pour la paix dont vous êtes l’un des animateurs était-elle concernée. Et quelles sont ses positions sur les enjeux de la paix entre Juifs et Arabes ?

Non, Mahmoud Abbas n’a aucune intention de nous rencontrer. S’il rencontre les dirigeants de la communauté juive organisée (CRIF, consistoire …), c’est peut-être dans l’espoir que ceux-ci fassent pression sur les dirigeants israéliens. Espoir vain : le CRIF se comporte depuis des années en supplétif inconditionnel du gouvernement israélien quoi qu’il fasse. Ils ont tout approuvé : la destruction du Sud-Liban, le massacre de Gaza, l’attaque de la flottille etc… Que peuvent-ils dire à Mahmoud Abbas à part : « si vous capitulez sur le droit au retour des réfugiés, la colonisation, les prisonniers, le blocus de Gaza … etc …, on peut faire la paix ». Si nous pouvions rencontrer Mahmoud Abbas, nous lui dirions notre espoir d’une réunification palestinienne et nous expliquerions qu’une vraie négociation ne peut partir que du droit international.


Un dernier mot ?

La paix, c’est l’égalité des droits, c’est le respect du droit international. Il n’y a rien à attendre du processus actuel. Par contre, plus que jamais, il faut renforcer le BDS. Tant que l’impunité d’Israël se poursuivra, la destruction de la Palestine sera à l’œuvre.

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Vos commentaires

  • Le 6 octobre 2010 à 20:23, par hashek Falastine En réponse à : Entretien avec Pierre STAMBUL de l’UJFP pour Algérie News

    Salam aleykoum

    Il y a de bonnes choses dans ce long propos.

    Mais que répond clairement Pierre Stambul à la question claire suivante, puisqu’il n’y a pas trente six étalons de mesure de la sincérité d’un pro-patriotes palestiniens :

    "Oui ou non êtes-vous, ne serait-ce qu’au nom de l’éthique la plus élémentaire, pour la disparition non violente le plus vite possible de l’entité juive appelée (à l’avant-dernière minute, soit le 12 mai 1948 au soir) Israël , sans nationalité unique, sans constitution, sans frontières, sans .., sans .. et encore sans ... et pour un état palestinien non confessionnel souverain et "démocratique" de la Méditerranée au Jourdain pour le moins, incluant "évidemment" des ex-Israéliens de plus ou moins vieille et prouvée ascendance juive avec très exactement les mêmes droits effectifs que les Palestiniens d’ascendance arabe ?"

    C’est, sans échappatoire, OUI ou NON

    Woudiwan

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