Une tribune pour les luttes

Manifestation et provocation
et générations sacrifiées.

Patrick Mignard

Article mis en ligne le dimanche 24 octobre 2010

Le pouvoir actuel a trouvé un excellent, mais très classique moyen pour déconsidérer les manifestations qui, depuis des semaines, battent le pavé de nos villes.

Usant à profusion de tout un langage adapté pour susciter l’indignation : pillards, casseurs, violents, prise d’otages, blocage… il essaie de compenser le rejet qu’il inspire aux yeux d’une opinion publique qui lui échappe, en détournant l’attention sur des évènements qu’il provoque.

L’ART SUBTILE DE LA PROVOCATION

De tout temps et quelle qu’ait été, la police, elle a toujours été un instrument de répression mais aussi de provocation.

Provoquer c’est, pour le pouvoir, déclencher une action illégale, qu’il ne peut assumer ouvertement, qu’il attribue publiquement à l’adversaire et dont il espère le rejet par l’opinion publique.

Montrer la violence, arrêter, juger, condamner,… a une double fonction :

- punir celles et ceux qui osent,

- dissuader toute action de contestation,

Une action non violente, massive et qui dure est parfaitement insupportable pour le Pouvoir, surtout si elle est populaire… il faut absolument la détourner et la dénaturer. C’est là qu’intervient la provocation.

La provocation policière c’est, utiliser soit des membres de la police « déguisés » en manifestants (vous en avez un excellent exemple dans la photo en fin de texte) et qui « agressent leurs collègues » en espérant entraîner de vrais manifestants, soit c’est s’acheter – pécuniairement - des provocateurs – non membres de la police – ou faire en sorte, en exerçant un chantage sur de petits délinquants (remises de peines, abandon de poursuites,…), qu’ils jouent le rôle de provocateurs.

Seuls les naïfs peuvent croire qu’une police qui se dit «  républicaine » n’aura jamais recours à ce genre de procédé… L’Histoire – et même l’Histoire de ces derniers jours - nous éclaire abondamment sur ce dont elle est capable.

Une fois la provocation accomplie, la violence consommée, le cœur des «  bien- pensants » a beau jeu de jouer les vierges effarouchées devant une opinion publique qu’elle essaye de manipuler.


PROVOCATION ET VIOLENCE SOCIALE

Mais va-t-on me dire, il n’y a pas que des provocateurs-policiers qui provoquent des incidents violent. C’est tout à fait exact !

Il est vrai que les jeunes, dits «  des banlieues », exclus, méprisés, socialement désintégrés, victimes du racisme, de l’exclusion de l’emploi, traqué par les flics, victimes des contrôles au faciès, « accidentellement » renversés par la Police… qui se débrouillent comme ils peuvent pour survivre, sont tout à fait disposés à ne prendre aucun gant avec une société qui leur réserve un tel sort. Un moment de mobilisation sociale est aussi pour eux un moment d’expression qu’ils font avec « ce qu’ils savent faire »,… on peut même dire un « moment d’exister socialement ». Il n’est pas question de justifier la forme de leur expression,… d’un point de vue politique, absurde,… mais d’en comprendre le sens profond,…ce qu’elle exprime,… ce à quoi se refuse le Pouvoir.

Et même si ces faits étaient – en partie - l’œuvre de ces jeunes (ce qui n’est pas toujours le cas) – quel sens y a-t-il de les présenter systématiquement comme des personnage « hors scénario » social, des «  extra sociaux » qui n’appartiennent finalement pas à la société des gens ordinaires (donc «  respectables »)… une manière de les «  surexclure » ? Jeter l’anathème sur eux c’est faire preuve d’une incompréhension totale, ou d’un refus de reconnaissance, du degré de décadence de notre société, de notre système,… car ils sont aussi un symptôme de la dégradation sociale que nous vivons aujourd’hui.

La violence policière s’articule parfaitement avec cette violence sociale, celle des exclus, des méprisés, des ghettoïsés … et les mercenaires du pouvoir ne s’y sont pas trompés quand ils se « déguisent en jeunes de banlieues » (voir photo). La provocation policière exploite cette fracture sociale.

Une fois accepté socialement, médiatiquement le terme générique de «  casseur », alors on peut faire impasse sur l’essentiel et ne s’en tenir qu’à l’écume de la réalité sociale,… écume largement entretenue par les médias.

L’OMERTA SOCIALE

De tous ces faits, que chacun peut facilement constater, rien dans les médias, rien dans la classe politique, rien dans les syndicats. Rien bien évidemment dans les organisations syndicales policières, grandes donneuses de leçon de civisme… sauf quelques rares individus que l’on fait vite taire et que l’on marginalise.

Il y a comme une sorte de consensus visqueux, un «  républicanisme » naïf qui attribue à la Police les valeurs – tout à fait théoriques – attribuées à la République (?). La République est devenue une sorte de mythe, dont on oublie un peu rapidement qu’elle « couvre » et légitime un système d’exploitation, d’exclusion, et que pour se faire « respecter » elle utilise des mercenaires qui sont sa force de frappe…

Que la classe politique fasse silence sur de telles pratiques, on peut le comprendre. Parasite de la société elle a tout intérêt à ce que l’ordre actuel soit par tous moyens assuré. Mais que dire de l’attitude du bon peuple, de nous ?

De même que pendant des siècles il se rendait dévotement à la messe, craignait Dieu et faisait confiance au clergé, aujourd’hui il adopte la même attitude à propos de ce que l’on veut lui faire croire : il vote, croit les politiciens et est persuadé que la Police est là pour le protéger. Il va même jusqu’à être compréhensif à l’égard des « robocops » qui le brutalisent en disant qu’ «  ils ne font qu’obéir aux ordres »… grandeur charitable des âmes simples !. Quand à ceux qui les commandent, les politiciens, il – le peuple - est prêt à revoter pour eux… ce qui se reproduit d’ailleurs à chaque élection… grandeur et servitude du masochisme !

Un tel aveuglement, entretenu par tout ce qui constitue les «  faiseurs d’opinion » ne peut aboutir qu’à un désastre social, à une impasse illustrée aujourd’hui par des manifestations à répétition dont le pouvoir se fout totalement et donnant lieu à de ridicules polémiques sur les chiffres, de vaines protestations et à terme à un écœurement général générateur de… violence sociale.

Ainsi la boucle est bouclée mais… rien n’est résolu.

Octobre 2010

Patrick MIGNARD

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GENERATIONS SACRIFIEES

La condescendance démagogique, teintée, de mépris avec laquelle le pouvoir actuel traite la «  jeunesse », à propos des retraites, est dans la pure tradition des craintes que ressent tout pouvoir qui sait qu’il met, pour ses intérêts immédiats, en péril l’avenir.

Les conséquences dramatiques des décisions politiques prises aujourd’hui par le pouvoir néo conservateur, seront payées au prix fort par les générations futures.


DE LA CHAIR A CANON A… LA PAUPERISATION

Le capitalisme, et de manière générale tous les systèmes exploiteurs, ont su faire un usage immodéré des jeunes pour servir leurs intérêts.

Jouant à la fois sur, et pour cause, le manque d’expérience des jeunes, leur enthousiasme, leur vitalité, parfois même, pour les très jeunes, leur immaturité et naïveté, les profiteurs n’ont pas hésité à les transformer en instruments mis au services de leurs intérêts.

De l’exploitation massive des enfants, à partir de huit ans, dans les mines à l’aube d’un capitalisme triomphant, au 19 siècle en Europe, jusqu’à l’exploitation, aux limites de l’esclavagisme, de ces mêmes enfants, dans les « pays ateliers » de notre époque – dont nous sommes les clients - le Capital, libre d’exercer sa domination, n’a eu de cesse de dominer et asservir.

Les guerres bien sûr – et la Première Guerre Mondiale plus particulièrement, de même que les guerres coloniales – sont le symbole du sacrifice de générations entières pour le bénéfice des profiteurs et autres marchands de canons.

Les régimes, complices de tels crimes – et la République n’est pas en reste – ont toujours su manipuler les jeunes pour qu’il aillent donner leur vie pour des raisons qu’ils ignoraient. Les morts ayant droit à l’honneur suprême de voir leurs noms sur un Monument aux Morts, les survivants recevant des médailles et autres breloques dérisoires.

Les temps ont heureusement changé et il y a fort à parier qu’aujourd’hui, la «  chair à canon » - du moins en Europe - ne soit pas aussi mobilisable qu’autrefois. Pourtant les jeunes font toujours les frais d’un capitalisme toujours avide, sinon de chair fraîche, du moins de profits.


UN AVENIR PLUS QU’INCERTAIN

La destruction programmée du système de retraites par répartition, et de manière générale, la mise à bas des acquis sociaux issus du programme économique du Conseil National de la Résistance, porte évidemment atteinte aux intérêts des plus jeunes, et mêmes des générations à venir. Ce sont eux les plus exposés,… encore plus que les générations actuelles d’actifs qui seront certes touchées, mais dans une proportion moindre.

La manipulation des politiciens, de droite comme de gauche, qui prétextent un soit disant problème démographique – oubliant en cela, comme par hasard, la compensation de ce « déséquilibre » par les gains de productivité, et donc refusant de poser la question essentielle de la répartition des richesses - va inévitablement aboutir à l’abandon progressif du système par répartition fondé sur la solidarité intergénérationnelle.

Un telle logique, si elle arrive à s’imposer socialement, est lourde de conséquences pour l’avenir. Outre le fait que le prolongement de l’activité professionnelle va encore plus limiter le nombre d’emplois, le financement collectif des retraites – les actifs payant pour les retraités – va peu à peu s’assécher. Le recours au financement par capitalisation de l’épargne salariale – création de fonds de pensions privatisés - devra prendre le relais avec des conséquences catastrophiques :

- seuls, celles et ceux qui auront un emploi, et pourront épargner pour cotiser à un fond pension, auront une pension de retraite,

- la cotisation ainsi capitalisée sera soumise aux aléas des marchés financiers dont on peut apprécier aujourd’hui la fiabilité.

Le grandes compagnies d’assurance sont les premières intéressées à ce pactole des placements de retraites, alléchées par un nouveau marché fondé sur l’abandon de la solidarité et livrant individuellement, isole, chacune et chacun aux appétits insatiables des financiers.

Cette réflexion, ce raisonnement, sont bien sûr, à la portée d’un lycéen et d’un étudiant qui n’ont pas besoin d’être « manipulés » - comme voudrait le faire croire le gouvernement - par une quelconque officine politique pour se rendre à l’évidence. Pourtant, celui-ci, avec une mauvaise foi qui n’a d’égal que sa crainte que les jeunes comprennent, leur dénie le droit de s’exprimer sur ce sujet et d’agir en conséquence.


DEMAGOGIE ET MENACE

Affirmant cette absurdité absolue qu « il faut travailler plus longtemps puisque l’on vit plus longtemps » il déclare sans rire que sa réforme est faite dans l’intérêt des jeunes générations,… prenant ainsi lycéens et étudiants pour de parfaits imbéciles.

La manipulation gouvernementale n’a pas fait long feu. Expression d’un gouvernement discrédité et largement corrompu (des exemples ?) elle a vite cédé la place à la menace de recours à la violence. Livrés aux brutes policières sous la direction d’un Ministre de l’Intérieur condamné pour racisme (on ne prête qu’aux riches), estropiés et blessés commencent à se compter parmi celles et ceux « pour le bien de qui, la réforme des retraites est faite » (sic). Que fait la BAC (Brigade Anti Criminalité) ( ?) dans des cortèges de jeunes ? Que font les « cow boys au flashball » dans des manifestations lycéennes et étudiantes ?

La mobilisation des jeunes est la preuve d’une prise de conscience qui ouvre bien des espoirs afin que le relais soit fait entre les générations qui ont bénéficié, et bénéficient, des acquis sociaux des lendemains de la Deuxième Guerre Mondiale et celles eux qui demain les remplaceront.

La question des retraites est fondamentale. Elle pose la question de la relation de l’homme au travail,… et de manière plus générale du sens de la vie en collectivité. Laisser le Capital régler la question c’est perdre encore un peu plus de sa dignité.

Un échec sur cette question, et la porte est ouverte aux profiteurs pour liquider l’ensemble de la Sécurité Sociale qui sera leur prochaine victime.

Octobre 2010

Patrick MIGNARD

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