Une tribune pour les luttes

Une justice d’exception !

14ème chambre correctionnelle – Tribunal de Grande Instance de LYON -

Témoignages sur les audiences des 20, 21, 22 et 25 octobre 2010

Article mis en ligne le mercredi 27 octobre 2010

Par mail

Suite aux manifestations des 19, 20 et 21 octobre, de nombreuses interpellations ont eu lieu à Lyon. De nombreuses images circulent sur internet. On voit des garçons et des filles, des hommes et des femmes qui courent dans tous les sens, qui se protègent des gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre, et qui évitent les tirs de flashballs. On en voit qui cassent vitrines des boutiques et récupèrent les marchandises. On en voit qui enjambent des voitures etc. On voit aussi des policiers de la BAC déguisés en faux syndicalistes. Nous avons voulu mettre un visage, des mots, une histoire sur ces « casseurs » qui défraient la chronique lyonnaise et nationale, qui font peur à la population et dont le pouvoir se sert pour rendre le mouvement social impopulaire. Nous avons suivi les audiences de la 14ème chambre correctionnelle du TGI de Lyon où ont été présentés 33 jeunes majeurs – dont une fille en comparution immédiate.

Ils ont entre 19 et 28 ans, 5 ont un casier judiciaire.

Les chefs d’accusation retenus sont :

Violences sur fonctionnaires, rébellion, violences avec armes, vol sans violence

Modes d’interpellation : après repérage par l’hélicoptère, par les caméras de surveillance de la ville de Lyon, par les caméras ou les yeux des policiers, par les CRS, par la BAC (Brigade Anti Criminelle). Dans tous les cas ils sont maîtrisés et remis entre les mains de la BAC (voiture avec gyrophare bleu qui roule en hurlant à grande vitesse). Police Nationale, CRS, GIGN marchent la main dans la main avec la BAC.

Que les forces de l’ordre se soient ou non portées partie civile, les peines sont lourdes pour rassurer l’opinion publique. « Ils seront arrêtés, retrouvés » avait déclaré le chef de l’état Sarkozy.

Dans les auditions établies par les policiers, les « individus » sont identifiés par type : type méditerranéen, type européen (blond), type maghrébin, type négroïde, type métis, type nord-africain.

En milieu de semaine, une des plus lourdes peines est infligée à une élève de terminale d’un lycée professionnel pour avoir alimenté un feu de poubelle devant son lycée, endommagé un panneau et placé des barrières devant le lycée pour en bloquer l’accès. Les témoignages du CPE (Conseiller Principal d’Education) et d’un professeur d’EPS (Education Physique Sportive) sont décisifs concernant cette élève qui est en conflit avec l’équipe éducative. « Les trois dames de l’enfer », c’est ainsi que le procureur dans son réquisitoire qualifie cette lycéenne ainsi que deux autres mineures. Il réclame un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis. L’avocat dit que sa cliente ne doit pas endosser l’émeute toute seule, qu’elle ne veut pas payer pour l’intégralité de la grève, que la peine ne doit pas servir de règlement de compte entre l’administration du lycée, les enseignants et elle. Délibération : UN MOIS FERME alors que le parquet avait demandé un an dont six mois avec sursis.

Un jeune père de famille sans histoire qui vient d’être licencié de son entreprise vient à Lyon pour manifester avec plusieurs personnes. Celles-ci tentent d’arrêter ceux qui envoient des projectiles. Après avoir reçu plein de gaz lacrymogènes, il jette à son tour quelques pierres. Le procureur juge ces scènes archaïques et demande cinq mois avec sursis.

«  Je ne savais pas qu’une pierre allait m’amener ici pour la première fois », déclare un lycéen de vingt ans originaire d’Algérie et récemment arrivé en France. Des «  policiers en tenue bourgeoise » l’ont interpellé en train de lancer au sol un caillou qui a rebondi contre les vitres/ ou le mur d’un commissariat. Selon leur déposition ils l’auraient suivi depuis le début…

Un étudiant est vu en train de taguer sur le socle de la statue équestre de la place Bellecour « Non à l’état policier ». Les policiers à qui il résiste pendant son arrestation et la ville de Lyon se portent partie civile. La ville réclamera 344 euros pour frais de nettoyage et jugera cette inscription injurieuse. Ensuite les policiers réclament 400 euros par fonctionnaire et justifient ce préjudice moral du fait qu’ils ont eu de la difficulté à le maîtriser et qu’ils ont dû « éradiquer des actes de virulence par des techniques légales et efficaces » plus 300 euros par fonctionnaire de police au titre de l’article 475-1 du code pénal. Le procureur demande 2 mois d’emprisonnement, 70 heures de travail d’intérêt général et 500 euros d’indemnisation.

« C’est mon fils », me chuchote la mère d’un des jeunes majeurs qui comparaît devant la cour, il est « de type européen avec des boucles blondes » (selon la déposition de la police). Son fils aurait été identifié par l’hélicoptère en train de casser un kiosque … et de jeter des pierres. Il rappelle comme le feront les autres, que ce jour-là l’atmosphère est oppressante sur la place, il y a beaucoup de monde : les tirs incessants de lacrymos, les charges régulières des policiers, la surveillance continue de l’hélicoptère contribuent à créer un climat d’ »insécurité » et donnent envie de se défendre pour se protéger. Le procureur déclare que l’état a le monopole de la légitime défense (et non de la violence légitime c’est bien ce qui est pire). Il demande pour ce jeune apprenti luthier 3 mois dont 2 mois avec sursis contre violences sur fonctionnaire de police. Son avocat dit que son client s’est senti pris au piège et menacé. Un autre prévenu accusé lui aussi de violences commises sur fonctionnaires a rétorqué que les petits cailloux ne pouvaient blesser les forces de l’ordre étant donné leurs protections !

Celui qui a écopé de TROIS MOIS FERME est au chômage depuis deux ans. Agé de 21 ans, il est accusé d’avoir blessé un policier à la cheville avec une pierre provoquant une ITT (Indemnité de Travail Temporaire) d’une journée. Le parquet demandait 12 mois dont 6 mois fermes. Parce que cette pierre « a failli tuer »... L’avocate rétorque que des choses anodines peuvent aussi tuer. Qu’on n’est pas sur des régimes d’exception. Et qu’il y a une solidarité entre les manifestants.

En fin de semaine les peines prononcées par la cour sont plus sévères… Est-ce un effet Hortefeux ?

3 mois fermes pour celui qui est sans travail et qui voulait s’engager dans l’armée. C’est un des rares dossiers qui contient des preuves, des photographies. Il n’a pas de casier.

2 mois fermes (sans mandat de dépôt) pour celui qui est «  de type métisse » (selon l’OPJ = Officier de Police Judiciaire qui auditionne les plaignants), d’après celui-ci le prévenu se trouve à la jonction des deux groupes là où la stratégie policière a créé deux cercles celui des casseurs et celui des autres. Le procureur demande d’expliquer sa présence dans le cercle des casseurs. Il aurait été vu en train de ramasser 4 fois un caillou pour le jeter sur les forces de l’ordre.

3 mois fermes pour celui qui est en recherche d’emploi après une scolarité en BEP, et qui nie les faits décrits par des policiers qui se sont constitués partie civile. Il a un casier judiciaire (pour faits similaires en 2008).

2 mois fermes (avec mandat de dépôt) et 3 mois avec sursis pour un peintre en bâtiment, en situation d’insertion. Il déclare avoir ramassé des pierres en venant à Lyon pour dire sa révolte contre l’état et pour notre avenir. Son avocate explique que « c’est pour se défendre au cas où ». Et il les lance quand il reçoit des gaz lacrymogènes. Il porte des gants et une cagoule dans son sac. Et aussi il se met du collyre pour moins pleurer… Ce dernier geste signe sa culpabilité de casseur.


Comment on fabrique des casseurs … lanceurs de cailloux

Sur les 30 prévenus déférés devant la 14ème chambre correctionnelle, aucun n’avait plus de 30 ans. Jusqu’à vendredi soir 22 octobre, n’ont donc été interpellés que des personnes de moins de trente ans. Ils sont regroupés sous le terme générique de «  casseurs » puisqu’une fois jugés ils sont classés comme «  délinquants primaires », ayant commis un délit pénal. Le pouvoir avait à cœur de dire à la population – via les media qu’il y avait eu 274 interpellations, dont les 2/3 sont des mineurs.


Tous les prévenus ont été reconnus coupables.

Quand le procureur leur demande d’expliquer leurs gestes, les prévenus répondent sincèrement que c’étaient l’ambiance, la tension, qu’ils se sentaient menacés par les forces de police, qu’ils ont riposté face aux fumigènes.

Il n’entend pas et continue de dénier aux prévenus toute revendication politique quand ceux-ci les formulent clairement. « Vous n’avez pas d’idéal romantique » lancera un des procureurs à un «  individu identifié par les policiers comme un meneur ». C’est le même procureur du roi qui méprise celui qui tague le socle de la statue de Louis XIV « parce qu’elle est au milieu de la place »… Et pas parce que c’est un symbole !

Et reste perplexe quand il a face à lui un étudiant qui réussit ses études, dont le père est enseignant donc issu d’une famille respectable. Il se met lui aussi à jeter des pierres face aux forces de l’ordre qui occupent son établissement scolaire. « Pourquoi prendre de tels risques pour pourvoir chercher du travail avec un casier ? » s’exclame le procureur, « C’est faire tout et n’importe quoi « soupire-t-il à l’encontre de ce « brave garçon de classe moyenne dont le père est effondré ! »

Le procureur s’ingénie à établir des catégories et à émettre des jugements, en qualifiant un tel de lâche parce qu’il a donné un coup de pied dans une canette vide…, en disant que ceux qui ne travaillent pas n’ont rien à faire là sauf à en découdre avec les forces de l’ordre, ou bien que ce sont des opportunistes qui sont venus là pour commettre des méfaits, pour se cacher derrière un mouvement social, ou encore que des lycéens en profitent pour jeter des pierres etc

On demande aux prévenus de s’excuser devant la cour, et donc de renier les raisons pour lesquelles ils sont dans ces manifestations. On les rend irresponsables et non conscients de leurs actes. D’un côté le procureur déclare que ces individus n’ont rien à voir avec les manifestations et de l’autre il déclare que ces individus ne savent pas ce qu’ils sont venus faire ici mais dans tous les cas, ce sont des « casseurs » qui doivent payer pour le délit commis.

À l’audience du lundi 25 octobre, est présenté un jeune majeur de 22 ans interpellé place Bellecour le jeudi noir et accusé d’être un meneur. Aucune partie civile n’est représentée. Il est décrit comme étant oisif, dans une grande errance. Il est formellement reconnu – grâce à sa tenue vestimentaire mais il maintient qu’il n’a pas jeté de pierres, «  il est venu voir le bordel ». « Ce qui n’est pas une infraction pénale » plaide son avocat. Après 72 heures de garde à vue et de détention provisoire, son client continue à nier les faits, il n’avoue pas avoir jeté les pierres, il ne reconnaît pas qu’il est un idiot et ne regrette pas un geste non commis. « Parce que l’aveu ça marche bien » déclare son avocat… Parce qu’on leur dit en garde à vue que jeter des pierres ce n’est pas grave ». Le procureur demande (en fonction de ses antécédents) 6 mois fermes. Il écope de 3 mois ferme sans mandat de dépôt.

Etre déclaré coupable, avec sursis, c’est être mis à l’épreuve entre 2 et 5 ans, c’est se voir enlever le droit d’expression pendant 2 ou 5 ans, le droit de manifester, le droit de voter…

On juge un individu et non le contexte dans lequel il agit.

Les avocats soulignent tous que la cour ne doit pas juger le contexte mais seulement ce qu’a fait l’individu. La cour refuse que le procureur verse au cours de l’audience du mercredi 20 octobre des images filmées par les caméras de la ville de Lyon qui permettent de resituer le contexte des débordements ; Même s’il reconnaît qu’il est difficile de suivre un individu, le ministère public voulait par là montrer que la plupart de ces violences n’ont rien à voir avec les revendications.

Les avocats rappellent que c’est une épreuve pour leurs jeunes clients qui n’ont jamais eu affaire à la justice de subir les 24 ou 48 heures de garde à vue et d’être présentés en comparution immédiate. La légitimité de la contestation ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de la justice.

Pourquoi encombrer la 14ème chambre correctionnelle par ces comparutions immédiates ?

Passer du temps à savoir ce qu’est un fumigène, de quelle grosseur est le caillou, si on l’appelle pierre, caillou ou encore gadin et comment un porte-drapeau de la CFDT peut se transformer en barre de fer (voir barre à mine) ne semblent pas d’après les avocats présents être sérieusement du ressort de la 14ème chambre correctionnelle. Ca tourne au grand guignol. Quelques-uns rappellent à la cour que tous ces faits retenus contre les prévenus relèveraient en temps ordinaire d’un rappel à la loi.

Toutes les dépositions sont établies par des policiers, gendarmes, agents de la BAC. Il y a tellement d’interpellations que les policiers eux-mêmes déclarent (par l’intermédiaire de leur avocat) ne pas avoir le temps d’établir les procès-verbaux d’interpellation. Les avocats des prévenus n’ont pas le temps de réunir les pièces nécessaires à leur défense. L’un d’entre eux explique qu’il a reçu le dossier à 11heures moins le quart pour une comparution à partir de 14heures … Il doit dans ce délai rassembler toutes les pièces nécessaires pour défendre son client (scolarité, travail ou non, informations sur les parents et la famille etc) Rappelons que la plupart des avocats qui défendent les prévenus sont nommés par le bâtonnier sur la base du volontariat. Un seul jeune majeur a été défendu par un avocat choisi par la famille.

Cette justice est donc rendue sans les preuves suffisantes qui permettraient une inculpation dans le cadre d’un procès. Aucun dossier n’est sérieusement constitué.

Un seul exemple (qui vaut pour beaucoup d’autres) : arrive à la barre un lanceur de fumigène, ce prévenu de 18 ans déclare avoir ramassé un fumigène égaré et à l’approche des forces de l’ordre l’avoir jeté sur le chantier de la place Bellecour et s’être sauvé. Il aurait été filmé par l’opérateur vidéo de l’hélicoptère en train de jeter ce fumigène sur les policiers qui auraient été prévenus et l’auraient interpellé. L’avocat demande à visionner ces images qui ne sont pas disponibles (problème de carte mémoire). Il va dire son étonnement devant l’utilisation de moyens aussi coûteux et disproportionnés pour interpeller un utilisateur de fumigènes. Et demandera à la cour si un fumigène peut être considéré comme une arme…

Face à l’indigence des dossiers, le parquet demande que l’on fasse « des procès d’exception » car le climat est insurrectionnel. Il est relayé par un avocat des parties civiles (police) « la BAC paie un lourd tribut comme les CRS et les gendarmes et les policiers, ils se lèvent plus tôt que les casseurs et se couchent plus tard que les casseurs ». Des avocats rappellent avec vigueur qu’on n’est pas sur des régimes d’exception qui appellent des peines exceptionnelles. Ils constatent une augmentation des peines fermes avec mandat de dépôt (direction Corbas).

De quoi ont peur les organisations syndicales ?

Les syndicats ont aussi leur part de responsabilité en isolant ces personnes des cortèges officiels et en les appelant aussi «  casseurs ». On en a entendu plein depuis mardi dernier. Ils se réfugient derrière leur ficelle du service d’ordre et collent complètement à la stratégie policière qui est de séparer les « casseurs » des manifestants. Le gouvernement est arrivé à ses fins, éviter tout rapprochement entre les syndicalistes officiels légitimes organisés avec service d’ordre et d’autres manifestants plus ou moins organisés, mais qui ont tout autant de légitimité d’être en révolte.

Qu’ils viennent aux comparutions immédiates, 14ème chambre correctionnelle… Et ils comprendront que pourraient y comparaître leurs enfants… qu’ils ne considèrent certainement pas comme des «  casseurs » ! Ils comprendront que ce qui se joue là dans ce tribunal c’est une justice de classe ! Il vaut mieux être issu d’une famille respectable, genre classe moyenne, avoir un travail que d’être au chômage ou même que d’exercer des missions à durée déterminée…(est – il vraiment nécessaire de rappeler les critères discriminatoires professionnels et sociaux ?) Il vaut mieux être engagé dans une voie professionnelle dans laquelle vous réussissez… sinon vous êtes pénalisé ! Vous n’avez alors aucun droit… Même pas celui de manifester !

Beaucoup de parents et de famille sont présents et racontent comment ils ont cherché leur enfant majeur pendant deux jours. Aucun service ne veut les informer de la rétention de leur enfant parce qu’il est majeur. Une mère cherche son fils épileptique (qui a besoin de traitements quotidiens) dans tous les hôpitaux et commissariats. Elle est en pleurs lorsqu’elle apprend la condamnation de son fils. Certains sont effondrés, d’autres ne comprennent pas cette justice qui châtie leurs enfants car eux aussi ont manifesté et sont solidaires, ces parents n’acceptent pas les leçons données par le parquet, ils approuvent l’engagement de leurs jeunes majeurs.

Corps mal à l’aise lourds humiliés meurtris
de 24 à 48 heures de garde à vue, de la fouille…
De pressions, d’interrogatoires, Epreuve d’être sous le regard de plusieurs dizaines d’yeux,
Inconnus,
Yeux incrédules qui cherchent des yeux amis,
Epreuve d’être maltraités, traités de débiles, d’inconscients
De devenir des délinquants, rejets de la société
Epreuve de se voir menottés avant de partir en prison pour la première fois ou bien d’être libres … avec une mise à l’épreuve. Incertitude et solitude

Le procureur général va faire appel de toutes ces condamnations

Demandons et exigeons la libération de tous ces jeunes majeurs qui n’ont rien à faire en correctionnelle et qui n’ont pas à répondre à cet appel qui n’est qu’une preuve supplémentaire de l’instrumentalisation de la justice et de sa politisation…


Sur les événements liés à ces arrestations voir entre autres Mille Bâbords article 15421

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Vos commentaires

  • Le 27 octobre 2010 à 17:17, par Christiane En réponse à : Garde à vue des six lycéens de Fontainebleau : un couple pris dans les violences policières

    Mediapart Par drapher

    24 Octobre 2010

    L’un des six lycéens mis en examen pour rébellion et agression contre les forces de l’ordre, le 12 octobre à Fontainebleau, a maintenu devant le juge pour enfants avoir repoussé une grenade lacrymogène pour protéger un bébé dans une poussette. Les parents du bébé, Emmanuel et Myléna, racontent ce qu’ils ont vu et vécu lors de la dispersion de la manifestation lycéenne. Ils confirment ce qu’a dit le lycéen et veulent témoigner devant la justice. Selon eux, sans ce jeune homme, leur bébé aurait dû être blessé ou peut-être pire : les forces de l’ordre ont tiré des grenades lacrymogènes et des flashballs sur la foule, au hasard.

    P.H : Pour quelle raisons étiez-vous présents, votre compagne, votre bébé et vous-même au moment de la dispersion de la manifestation ?

    Emmanuel : « On devait aller en centre ville, à la banque faire des papiers. On s’est retrouvé encerclé au bout de la rue, il y avait les CRS des deux côtés, on ne pouvait pas passer. Ca tirait pas encore, c’était tendu, il y avait des charges de CRS au moment où on est arrivé. Ils couraient contre la foule, au croisement de la rue, on a été obligé de partir, avec la petite. Il y avait des personnes âgées. Un groupe de CRS a fait tomber par terre une personne âgée. »

    P.H : Quand les gaz lacrymogènes ont été lancés, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    « On a été repoussé avec la foule quand ça chargeait. Après on avait des choses à faire, on avait rien à voir avec ça, on a continué, et là, ça a tiré directement dans la foule. La première fois c’est tombé à 2 mètres, deux mètres cinquante de nous. La deuxième grenade c’est un lycéen qui s’est mis devant (ndlr : le lycéen mis en examen), sinon c’est la poussette et notre fille qui la prenait. Quand j’ai vu le premier tir, on a reculé, je suis parti directement voir les CRS. J’avais des preuves que je venais pour aller à la banque, je leur ai montré et on m’a répondu « ferme ta gueule, dégage de là », mot pour mot. Je leur ai dit que ma fille était bloquée dans les gaz lacrymogène, ils m’ont dit de faire le tour. C’est pendant que je discutais avec eux qu’ils ont tiré une deuxième grenade. Quand je suis revenu vers ma compagne c’est là que j’ai vu une veste sur la poussette. »

    Myléna : « Le jeune (ndlr : celui mis en examen) avait mis la veste sur la poussette pour protéger la petite des gaz, il s’est interposé, il a pris un flashball dans la jambe, et a relancé une grenade qui était à côté de la poussette, c’était soit lui soit la petite, il a préféré que ce soit lui. »

    P.H Quand il a repoussé la grenade lacrymogène, il l’a fait comment ?

    Myléna : « Il a fait un geste comme tout le monde l’aurait fait. Il a essayé de la dégager le plus loin possible de la petite.

    Emmanuel : « S’il ne se mettait pas devant la poussette, c’est la poussette qui prenait le tir ».

    P.H : Les CRS étaient à quelle distance ?

    Emmanuel : « Au début ils étaient collés, après ils étaient à quinze, vingt mètres. »

    P.H : Les CRS pouvaient voir la poussette ?

    Emmanuel : « Bien sûr, je leur ai dit, il y avait des lycéens qui leur ont dit « arrêtez, il y a un bébé qui passe ». Quand on a voulu s’en aller, ils nous ont dit : « allez y, allez y, passez, passez, personne fait rien, on bloque », et au moment où on arrivait au milieu de la route, les CRS se sont remis à charger. Ils voyaient bien qu’il y avait une poussette. Et nous, c’est une coiffeuse qui nous a fait rentrer dans son magasin pour nous protéger. »

    Myléna : « Les CRS se sont pris pour des cowboys. Les lycéens ils faisaient leur manifestation, ils étaient par terre, sur la route. C’est là que les CRS ont fait n’importe quoi. On a vu trois policiers qui passaient dans la foule et dès que quelqu’un les regardait à peine, ils leur mettaient des coups de bouclier, ils leur parlaient mal. Ils ont tapé un jeune devant tout le monde et il l’ont menotté. »

    P.H : Est ce que vous témoignerez au tribunal pour le procès des lycéens mis en garde à vue ?

    Emmanuel : « Moi , je viendrai. Si cette personne là n’était pas là ce jour là, ma fille elle se prenait une cartouche. Grâce à lui, on a réussi à empêcher le pire. Je suis obligé, je viendrai. Il a mis en quelque sorte sa vie en danger pour protéger ma fille. Il ne nous connaissait pas, on l’avait jamais vu. Il s’est mis en opposition, il s’est pris une flashball dans la jambe pour la protéger. »

    P.H : Qu’est-ce que vous pouvez dire sur cette manifestation, pour conclure ?

    Emmanuel : « Ils ont tiré sur la foule sans calculer, comme ça, il y avait un deuxième couple avec une poussette, elle est partie tout de suite aux urgences. Ce couple, ils se sont pris des projectiles que la police a jetés. Les jeunes se sont mis devant pour éviter qu’il ait un problème avec la petite, c’est les jeunes qui ont essayé d’aider, les forces de l’ordre, il n’y avait rien à faire. Les jeunes étaient solidaires, ils essayaient d’aider les gens par terre. Il y avait un jeune avec des marques au visage, qui saignait, entouré par un groupe de trente policiers et CRS autour de lui. Il y a une femme policier qui a braqué un lycéen avec son flashball qui venait voir pour son copain par terre, elle lui a dit « tu bouges pas ou je tire ! » Ils sont restés au moins un quart d’heure à le taper. Les trois policiers qui circulaient dans la foule, ils regardaient les jeunes et les agressaient. Il y a un jeune qui ne faisait rien, adossé à un mur, un policier lui a mis un coup de bouclier dans la tête. A un moment les lycéens sont allés voir les policiers qui étaient devant la mairie et d’autres qui sortaient de la mairie, qui étaient derrière les portes de la mairie. Les policiers les ont insultés, leur ont dit "dégage, dégage". Ca tirait dans la foule, j’ai vu des personnes âgées qui pleuraient à cause des gaz. On se serait cru dans un film. On se sentait plus en sécurité avec les jeunes qu’avec les policiers. C’est grâce aux jeunes qu’on a pu rentrer chez nous.

    Témoignage recueilli dimanche 24 octobre 2010 au domicile d’Emmanuel et Myléna, parents de la petite Océane, 12 mois.

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