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EDUCATION- Vers une école du 3ème Type

L’école rurale : une école performante pour les enfants d’aujourd’hui et une école nouvelle pour l’école de demain

article - JM Calvi - Mai 2010

Article mis en ligne le mardi 18 janvier 2011

L’école rurale : une école performante pour les enfants d’aujourd’hui et une école nouvelle pour l’école de demain

Durant la IIIème République, on ne se posait pas de questions sur la nécessité de l’école rurale ou sur son efficacité. Elle devait apprendre les rudiments de la culture à tous les petits paysans et surtout faire en sorte qu’ils parlent tous le français et non le patois local., quitte à tuer d’ailleurs les langues régionales et autres particularités locales.
Au moment de l’exode rural, les écoles se sont vidées comme les villages, mais le plein emploi aidant et dans la lignée des mesures politiques et sociales d’après guerre, la continuité du service public était respectée, pour l’école et les autres services.
Depuis une trentaine d’années, avec les différentes crises économiques, la montée du chômage et une vision libérale de la société qui s’impose, les services publics sont remis en cause, surtout en milieu rural, et l’école n’échappe pas à cette remise en cause. Cette tendance s’est accélérée depuis une dizaine d’année. On a donc assisté à une fermeture systématique des écoles à classe unique qui, grossièrement, sont passés en 20 ans de 25 000 à 4 000, puis il y a eu une politique de regroupement des petites écoles sous différentes formes. Les récents articles de presse montrent que le gouvernement actuel veut encore accentuer les fermetures des petites écoles pour récupérer les postes d’enseignants qu’il supprime depuis trois ans et qui commencent à manquer sérieusement.

Pour masquer les raisons purement économiques de ces fermetures, il fallait bien tirer à boulet rouge sur l’école rurale et lui imputer des défauts majeurs. On a donc entendu que les élèves de ces écoles n’avaient pas de bons résultats scolaires, qu’ils n’étaient pas formés correctement au monde actuel, que ces écoles n’avaient pas les moyens de fonctionner, que les maîtres isolés ne pouvaient pas s’appuyer sur une équipe pour progresser et d’ailleurs que plus personne ne voulait des postes à la campagne, que la pauvreté culturelle pénalisait l’ouverture des enfants, que ceux-ci manquaient d’émulation du fait du petit nombre d’élèves, etc, etc...

Lorsque nous avons créé la FNDPER à l’époque du rapport Mauger qui développait tous ces arguments négatifs sur l’école rurale, nous avons voulu, au contraire, montrer que les aspects positifs de l’école rurale étaient très nombreux et que ses défauts pouvaient trouver des solutions facilement. Nous avons démontré que le travail pédagogique qui pouvait y être fait, non seulement permettait aux enfants de faire les apprentissages nécessaires, mais aussi permettait une bonne structuration de leur personne, une meilleure formation humaine et sociétale. Quand on parle de l’école rurale, il faut immanquablement parler de l’école en général, et mettre en parallèle tous les maux de l’école, les problèmes qu’elle rencontre et ce que les qualités de l’école rurale apportent comme réponse à ces maux et problèmes.

Parler de l’école rurale aujourd’hui, c’est parler de l’école et de l’enfant dans sa globalité. C’est aussi parler de ruralité, d’aménagement du territoire et de choix de société. Je suis ici parmi vous aujourd’hui au titre des CREPSC et mon propos portera essentiellement sur l’école et l’enfant puisque d’autres interviendront sur la problématique du territoire. Je note simplement que de part mes fonctions au sein de la FNDPR dans ses premières années et de mes fonctions d’élu communal et intercommunal durant de nombreuses années, j’ai beaucoup travaillé sur cette problématique aussi, et que, souvent, tout est mêlé.
L’école rurale peut se définir comme une petite structure hétérogène ancrée dans son territoire. Cette formule résume ses trois qualités principales que je vais mieux expliciter.

_ L’école rurale est une petite structure


La caractéristique principale de l’école rurale est bien sûr sa taille. Les effectifs et le nombre de classes sont réduits.

En terme de vie en collectivité, un petit groupe permet des relations humaines plus apaisées. Hubert Montagner dit qu’un groupe, au-delà d’un certain nombre d’enfants le composant, n’est plus un groupe mais un troupeau, avec tout ce que cela sous-entend en terme de comportement (compétition, violence, bandes, leader...). Nous retrouvons le même phénomène avec les adultes. Chacun a pu sans doute le constater par ses expériences, mais regardons la vie dans les grandes villes, dans les grands ensemble, voyons les phénomènes de foule et cela paraît évident. Je suis passé, au cours de ma carrière d’enseignant, d’une classe unique à une école à quatre classes, puis à 9 puis à 15 classes. Il y a des conflits et des actes de violence verbales ou physiques que je n’avais jamais vus en classe unique, et la tension, notamment en récréation, augmente considérablement avec le nombre d’élèves. L’école a un rôle de sociabilisation et c’est dans un petit groupe qu’elle se réalise le mieux à l’âge des enfants du primaire, avec d’autres critères que la domination, la compétition et la violence.
Il faut toutefois moduler cette notion de nombre d’enfants en fonction de l’espace, notion très importante pour tout groupe, et encore plus à l’école. Dans une école rurale, souvent (mais pas toujours), l’espace existe du fait de la fermeture de classes au cours des dizaines d’années de son existence. Paradoxalement, on retrouve plus ce problème dans une construction neuve. Vus les coûts élevés de construction, les communes ont tendance à calculer au plus juste. Il ne faut pas. Les enseignants, les enfants ont besoin d’espace pour travailler correctement, avec, par exemple, une salle atelier entre deux classes, une cour assez grande avec de la verdure, des locaux de cantine spacieux et insonorisés...
Lorsqu’on regroupe des petites écoles pour en constituer une plus grande (regroupement concentré), on crée volontairement des conditions plus difficiles pour les enfants, sans tenir compte du confort qu’apporte la sécurité affective, relationnelle, sociale d’un petit groupe, confort nécessaire et indispensable pour une bonne et solide structuration personnelle des enfants. On réduirait déjà de beaucoup les problèmes de violence dans les grands groupes scolaires des villes en cassant ceux-ci et en reconstituant des petites écoles ou des petits collèges de quartier, au lieu de n’avoir qu’un langage sécuritaire.

La critique la plus courante par rapport à cette taille est le manque d’ouverture des enfants, le manque de rencontres avec un plus grand nombre, le manque d’émulation. Mis en balance avec des rapports plus apaisés et une absence de violence, cela paraît assez minime, surtout de nos jours où les habitants des zones rurales sortent beaucoup plus qu’avant et que les médias sous toutes formes occupent une plus grande place. Un outil pédagogique bien simple à mettre en place vient contrecarrer cette critique : l’ouverture de l’école, non seulement sur son environnement proche, mais vers « le monde », avec la correspondance scolaire, les voyages échanges, la mise en réseau informatique avec d’autres écoles. Quant à l’émulation, il faut réfléchir à autre chose pour qu’un enfant ait la motivation d’apprendre, et non plus faire reposer cette motivation sur la comparaison, la compétition avec les autres ou la menace d’une vie difficile. On ne fait que renforcer un individualisme forcené, ce qui va à l’encontre du devoir de sociabiliser les enfants, et ce qui amène parents et enseignants à utiliser l’échec des uns pour motiver la nécessité de travailler des autres et donc rendre indispensable l’échec scolaire, ce qui est pour le moins un paradoxe. Dans une petite structure, l’émulation peut reposer beaucoup plus sur la coopération et l’entraide, le désir personnel et collectif qui se manifeste avec le travail sur projet dont l’émergence provient de la vie. C’est autrement plus efficace et porteur d’avenir pour tous. Les difficultés de plus en plus fréquentes ressenties par les enseignants pour faire travailler leurs élèves, et les nombreux enfants qui sont en échec plus ou moins grand dans leur parcours scolaire, prouveraient d’ailleurs que cette émulation au sein d’un grand groupe ne marche pas vraiment.

Dans une petite structure, les enseignants ont une possibilité accrue à porter attention à chaque élève pendant la classe et en dehors, à mieux tous les connaître, mieux les suivre tout au long de leur scolarité, mieux respecter leur rythme propre. Le climat général plus apaisée les aide dans leur travail. La concertation entre enseignants de l’école est facilitée et, s’il existe une bonne stabilité dans le temps, des habitudes de travail en commun, des programmations, des harmonisations se mettent en place, les projets communs sont plus facilement discutés et mis en action. L’école a une meilleure lisibilité pour les parents.
La même critique que pour les enfants est faite pour les enseignants, ceux-ci n’étant pas suffisamment nombreux pour avoir des éléments de réflexion sur la classe. Cela reste à prouver, mais rien n’empêche les enseignants de travailler en étroite collaboration avec d’autres équipes proches en organisant des conseils de cycle ou de maîtres en commun, en mettant en place des actions communes (rencontres de sport, ateliers, marchés des connaissances, sorties...). Rien ne les empêche aussi d’intégrer des réseaux d’école ou d’enseignants pour une réflexion sur leurs pratiques.

Très souvent, chaque enfant peut utiliser le matériel de façon plus fréquente, par exemple les ordinateurs, dans la mesure où la commune a investi suffisamment (Conseils municipaux, n’hésitez pas à donner à vos écoles de bons moyens de fonctionner !). Lorsque 15 classes se partagent une salle informatique, cela donne une toute petite heure par semaine par élève, par forcément effective. Dans une petite école bien équipée, les enfants peuvent utiliser les ordinateurs plusieurs fois par semaine, voire par jour. Il en est de même pour certains fichiers et tout le matériel de travail en autonomie.

Un lien plus étroit peut se tisser entre l’école et l’ensemble des parents qui eux se sentent souvent plus concernés et participent plus à la vie de l’école. Là aussi, j’ai pu mesurer le degré de participation des parents suivant la taille de l’école, dans les réunions de classes, les conseils d’école, les fêtes, certaines activités. A l’heure où des grands discours sont faits sur l’implication des familles dans la scolarité de leurs enfants, que des moyens répressifs sont évoqués (allocations familiales) et qu’il n’est pas rare de lire dans la presse des incidents violents entre enseignants et parents, il faudrait que les responsables ouvrent les yeux sur la place et l’implication des parents dans une école rurale.
Et n’oublions pas que c’est souvent par ce biais que des nouveaux habitants peuvent participer à la vie du village et s’y intégrer.

L’école rurale est un modèle, non parce qu’elle est rurale (le tissu social du monde rural est maintenant très diversifié et il n’y a pas que des enfants « sages »), mais parce qu’elle est une petite structure.

Ecole rurale et classes multi-âges

L’autre caractéristique forte de l’école rurale est qu’elle est composée très souvent de classes multi-âges : de la classe unique aux classes à 2 ou 3 cours. Des enfants d’âges et de niveau scolaire différents se retrouvent dans la même classe. Malgré les inquiétudes que ces classes multi-âges peuvent provoquer dans un premier abord chez les parents et les enseignants, elles ont des avantages très intéressants.

En éducation, la notion de temps est primordiale. Dans ces classes, les élèves et les enseignants peuvent se donner le temps des apprentissages parce qu’un enfant reste plusieurs années dans la même classe avec le même enseignant. La notion de cycle prend tout son sens. On peut beaucoup plus respecter le rythme propre des enfants, et c’est un atout majeur. Je vois tous les jours des enseignants dans des classes à un seul cours courir après le temps pour finir tel ou tel travail, pour « finir le programme ». Une telle course n’est pas propice à des apprentissages durables, surtout pour des enfants fragiles, lents ou qui ont des difficultés de tous ordres. On finit par ne voir principalement que ce que l’enseignant a enseigné et non ce que les enfants ont réellement retenu durablement. En classe unique ou dans des classes à plusieurs cours, chacun peut prendre le temps qu’il lui faut et aller son chemin.
Avec le temps et la continuité, une classe se construit une histoire qui, en donnant des repères, permet aussi aux apprentissages d’avoir un sens, une visibilité et un ancrage plus durable. On fait référence aux années précédentes, à des projets déjà réalisés. Les traces sont sur les murs, visibles à tout instant, aussi bien pour les enfants que pour les visiteurs éventuels. L’histoire de la classe se recoupe avec l’histoire de chacun, toujours visible, et les progrès, eux aussi, sont observables par tous. On fait sans cesse référence à la nécessité de connaître l’histoire avec un grand H pour mieux construire le présent et l’avenir. Pourquoi considère-t-on alors que l’histoire,même de quelques années, de chacun et celle du groupe auquel on appartient n’a pas une grande importance dans la construction du présent et du futur de chaque personne, et là de chaque enfant ?

Chacun peut trouver sa place et apporter sa contribution au groupe, certains ayant besoin pour cela de temps, de sécurité, d’habitudes sûres. Des pratiques comme le tutorat, l’entre-aide, « les experts », peuvent être organisées facilement pour le plus grand bien des enfants qui peuvent être tous valorisés à un moment ou un autre. Ce n’est plus le lieu de la compétition mais de la coopération. D’une manière générale, l’hétérogénéité des âges multiplie les possibilités de trouver des situations riches pour permettre au groupe de fonctionner et de jouer un rôle important dans les processus d’apprentissages et de structuration de chacun.

L’acquisition de l’autonomie, tant recherchée à l’école et parfois à la maison, est favorisée, d’autant plus si l’enseignant aménage sa classe avec des ateliers permanents. Combien de fois n’ai-je pas entendu ou lu des appréciations d’enseignants sur leurs élèves du genre « manque d’autonomie », « peu autonome », « a besoin sans cesse de l’adulte »... ? Mais cette autonomie ne se décrète pas. Il faut bien que l’enfant rencontre de multiples situations qui lui permettent de l’acquérir. Dans une classe multi-âges, l’enseignant doit bien organiser sa classe avec ces moments d’autonomie plus ou moins guidés, pour pouvoir s’occuper des différents cours en particulier.
Je reviendrai tout à l’heure sur les possibilités que donnent ces classes multi-âges aux enseignants pour une profonde réflexion pédagogique, une recherche sur leurs pratiques et une remise en cause d’un certain fonctionnement de l’école.

Quant aux résultats proprement scolaires, la plupart des études, depuis de nombreuses années, ne montrent pas de différences notables entre ceux des classes à cours unique et celles qui sont multi-âges. Au début des années 90, Françoise Oeuvrard, de la DEP, avait fait une étude montrant même que les élèves des classes uniques avaient de meilleurs résultats. On peut simplement affirmer que les enfants ne sont pas pénalisés pour leurs acquisitions scolaires d’être dans ces classes. Mais quel poids cela a-t-il réellement ? A quoi bon faire des comparaisons de ce genre puisque, malgré ces résultats, les classes uniques ont été laminées, un grand nombre de regroupements d’écoles ont été réalisés et que la volonté de fermer des petites structures reste affichée ? D’autres critères que le bien des enfants rentrent en ligne de compte. Une vision très parcellaire à très court terme semble dicter la règle là où il faudrait une analyse systémique et des préoccupations à long terme.
De plus, toutes ces études ne mesurent que les résultats aux évaluations nationales qui restent contestables. Elles ne mesurent pas le durabilité des apprentissages et donc la manière par laquelle un enfant s’est approprié ces connaissances, ni le degré d’autonomie, ni la capacité de réflexion et de recherche, ni la socialisation, ni la structuration de chaque enfant. La balance serait largement en faveur de l’école rurale si l’on mesurait ces critères de réussite.

L’école rurale peut être un modèle, non parce qu’elle est rurale, mais parce que l’hétérogénéité de ses classes est un atout pour le développement des enfants et leur éducation citoyenne, sans compromettre nullement leurs apprentissages. Elle peut être aussi un véritable laboratoire pour montrer ce que doit être l’école de demain.

L’école rurale est une école de proximité

Cela peut paraître banal de dire cela. On parle de l’école du village, comme de la mairie ou de l’église. L’école est une partie structurante de son village. Elle est sous les regards de tous ses habitants qui vivent souvent à son rythme, avec le bruit des récréations par exemple.

Elle est proche de l’habitation des enfants. Il n’y a pas de rupture avec leur lieu de vie à un âge où la sécurité affective (toujours elle) est importante. Au cours d’activités de l’école faites en dehors de son périmètre propre, il n’est pas rare que la classe rencontre des habitants du village, quelqu’un de la famille d’un enfant, un animal familier ou simplement passe devant la maison de quelques uns. Ils sont en pays connu, leur territoire. On veut saucissonner un enfant en différents espaces/temps : la maison, l’école, le club de foot... et on veut mettre des barrières infranchissables entre eux, souvent par peur qu’un intrus ne vienne envahir cet espace et le pouvoir de son responsable. Et on veut que l’enfant mette tout seul de l’unité dans tout cela. Mais par contre, chaque clan critique l’autre : « à la maison, il n’est pas comme cela... », « chez elle, ils lui laissent tout faire... », « Vous êtes bien pénibles, ils ne vous dressent pas à l’école... ». La continuité est source de stabilité. Chaque structure a son rôle, mais l’enfant est unique et indivisible.

Les enfants peuvent former un groupe dans l’école et en dehors, tisser des liens entre eux et faire des activités ensemble hors de l’école : jeux, balades, exploration de leur espace, anniversaires... Non seulement ils vivent avec des copains, toujours dans la continuité, mais ils font vivre le village.

Cette école de proximité peut et doit être liée à son territoire. Le terme école communale a tout son sens. L’ouverture de l’école sur ce territoire, aussi bien par des actes ponctuels que par des actions durables est d’une richesse formidable : recherches diverses, rencontres avec des habitants, fêtes, services divers, occupation des locaux en dehors des horaires scolaires, participation aux évènements locaux, valorisation des potentialités du territoire, liens avec diverses activités... Non seulement les enfants ont le fort sentiment d’appartenir au groupe classe, au groupe école, mais aussi au groupe village : ils y trouvent reconnaissances, affirmation de leur existence propre. Nous savons comme cela est indispensable pour se tourner ensuite vers des structures plus grandes et de s’y sentir à l’aise et même y prendre des responsabilités. C’est la même chose pour les adultes.

Certains rétorquent que le village risque d’être un vase clos, avec une certaine pauvreté culturelle. On peut répondre que le milieu rural a sa propre richesse en terme de nature et de connaissances sur le monde vivant, en terme de géographie, de respect de l’environnement et de la vie, de compréhension des équilibres naturels. Combien d’expériences vivantes peuvent-être réalisées dans cet espace si riche ? Quant à la pauvreté en offre culturelle, le monde rural a beaucoup évolué et les collectivités locales en général ont fait des efforts dans ce sens. Mais il faut sans doute faire plus et aider les écoles à aller au musée et au spectacle plus souvent. Il y a des solutions à ce problème.

Cette école de proximité ne nécessite pas de longs trajets pour y aller, facteurs de fatigues et de stress. Inutile d’insister sur cet avantage. Mais la santé et le bien-être des enfants sont-ils une priorité ?

L’école rurale est un modèle, non parce qu’elle est rurale, mais parce qu’elle est inscrite fortement dans un territoire et dans l’environnement proche des enfants, ce qui pourrait être le cas de toutes les écoles.

_ Ecole rurale, école nouvelle

Nous venons de montrer que l’école rurale, parce qu’elle est une école à petite structure hétérogène ancrée dans un territoire proche, est indéniablement, dans le cadre de l’école actuelle et traditionnelle, un atout pour les enfants qui ont la chance d’y passer leur scolarité. Vos enfants méritent que vous vous battiez pour son existence, son maintien. Les élus des collectivités locales doivent lui donner tous les moyens dont elle a besoin pour fonctionner et persuader les services de l’Etat qu’elle ne doit pas être sacrifiée pour des petits calculs bénéfiques à court terme économiquement (et encore, cela reste à prouver, ce ne sont en fait, à nouveau, que des transferts de charges) mais catastrophiques sur le long terme. Les nouvelles instructions du ministre aux inspecteurs d’académies ne peuvent que nous inquiéter et renforcer tous les partenaires de l’école rurale dans leur volonté de se battre pour elle.

Mais il nous faut aller plus loin. Parce que l’école rurale est une petite structure hétérogène ancrée dans son territoire, elle a été en plusieurs endroits, elle est en plusieurs endroits, elle peut être partout l’école qui fait et fera changer l’école en général. Sa situation et ses qualités permettent aux enseignants qui y vivent de pratiquer une pédagogie vraiment au service de l’enfant, de son développement, de sa structuration, de son devenir en tant qu’adulte responsable. Je dirai presque que cette école oblige les enseignants, s’ils sont disponibles, à remettre en cause leur pratique.
Un des premiers colloques organisé par la FNDPER s’intitulait « Ecole rurale, Ecole nouvelle ». Avec les CREPSC, nous définissons cette école comme l’école du 3ème type, celle du 1er type reposant sur la pédagogie frontale, celle du 2ème type introduisant des méthodes dites actives mais reposant toujours essentiellement sur ce que le maître apporte, et celle du 3ème type où les apprentissages, au lieu de passer uniquement par l’enseignant, reposent essentiellement sur la vie du groupe et les projets qu’elle génère.

Un peu d’histoire très rapidement. Dans les années 80, nous étions un certain nombre d’enseignants de classe unique et de classes multi-âges, en réseau, c’est-à-dire que nous communiquions régulièrement sur nos pratiques, d’abord avec des tonnes de papiers qu’on s’envoyait par la poste, puis par le minitel. Bien sûr, après, internet a pris le relais. Nous avions créé aussi un réseau pour les classes et les enfants. Ce réseau est devenu le réseau Marelle actuel. Nos réflexions sur l’observation de nos pratiques, de nos recherches, nous amenaient à constater que, dans nos classes comme les classes uniques, nous ne pouvions pas tout maîtriser à cause de la multitudes des cours et qu’il y avait des moments où les enfants s’activaient en dehors de notre gouverne, de notre volonté d’organiser et de prévoir. En observant de plus près ces moments, ce qui s’y passait en terme de relations et d’apprentissages, on s’apercevait qu’ils étaient d’une richesse inouïe et que chacun y trouvait sa place, son intérêt, sa motivation, sa valorisation. Les pratiques pédagogiques se sont alors transformées petit à petit, l’enseignant portant son effort sur l’aménagement de la structure classe ou école en abandonnant son pouvoir ou son illusion de penser que le seul vecteur des apprentissages était lui. Le groupe, par les communications multiples rendues possibles, devenait une vraie structure qui, par les projets que sa vie induisait (projets individuels ou collectifs), permettait aux enfants de manipuler tous les langages et donc de s’approprier eux-mêmes les connaissances, les compétences, les savoirs dans une démarche volontaire les construisant personnes responsables, pensantes et raisonnantes, citoyennes.
C’est par la pratique quotidienne que cette pédagogie de la structure et de la communication s’est mise en place. C’est en la vivant et en l’observant que nous avons essayé de l’expliquer. Je vous renvoie aux brochures des CREPSC et au livre de Bernard Collot « L’école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche » aux éditions de l’Harmattan, pour approfondir le sujet.

On s’étonne souvent du peu de capacité des jeunes ou moins jeunes à la réflexion, à l’analyse, à la recherche ? Mais quand, dans le fonctionnement de l’école, demande-t-on à un élève de vraiment réfléchir, d’inventer, de créer, de rechercher par lui-même librement ? On s’étonne souvent de ce fameux manque de motivation évoqué par de nombreux enseignants pour expliquer aux parents (et combien de fois j’entends cet argument en équipe éducative !) les résultats médiocres ou le peu de travail de leur enfant. Mais quand, dans le fonctionnement de l’école, les enfants sont-ils les auteurs de leurs apprentissages ?
Tout au long de leur scolarité, le plus souvent, l’école demande des élèves qu’ils soient capables de rester assis au cours de longues journées où ils doivent reproduire ce qu’on leur demande de reproduire, répondre ce qu’on leur induit de répondre, apprendre ce qu’on leur impose d’apprendre.
Ce système ne peut que multiplier les échecs, il s’en nourrit même pour perpétuer la menace du « Si tu ne travailles pas bien... ! ». L’indiscipline, le chahut, mais aussi la violence dans la cour, deviennent les seuls échappatoires pour exister, pour, ne serait-ce qu’un instant, ne plus être objet mais sujet.
Car, en effet, l’école traite souvent les enfants comme des objets, dont on nie l’histoire à l’entrée, qu’on formate au cours de la scolarité suivant les normes définies par les instructions officielles et les programmes et dont on vérifie la conformité régulièrement par divers évaluations, diplômes, examens et concours.

La pédagogie du 3ème type correspond au fonctionnement de l’homme, au fait que nous ne sommes que communications, que tout système vivant n’est vivant et perdure que grâce aux communications des individus qui la composent, communications à l’intérieur de leur structure, mais aussi avec toutes les structures avec lesquelles elle possède des intersections. Elle respecte l’enfant, sa personne, son histoire, son rythme. Elle donne au groupe toute sa fonction : depuis sa conception, l’homme n’apprend jamais seul, mais toujours des autres, avec les autres, pour ou contre les autres, à partir des informations qui lui arrivent de son environnement et qu’il mémorise, reformule, associe soit pour reproduire, soit pour créer du nouveau. Cette pédagogie n’est pas artificielle mais fait partie de la vie. Quand vous voyez ces classes fonctionner, vous voyez des enfants sans cesse en activité, qui savent pourquoi ils décident tel et tel travail, qui manipulent tous les langages en y mettant un sens, qui s’expriment librement avec un sens des responsabilités étonnant, et qui acquièrent ces langages. Sans vraiment se soucier des programmes officiels, on s’aperçoit très vite que tous atteignent le niveau de connaissances de ces programmes, mais avec tellement plus de capacité à s’organiser, à penser, à s’exprimer, à être pleinement soi et actifs avec les autres. Elle ne fait pas de l’individualisme, mais a le souci de l’individuation de chacun.

Cette pédagogie est hautement facilitée dans une petite structure, étant donné qu’elle repose sur la vie que le groupe crée en interne et la vie des autres structures qu’il côtoie. Plus cette petite structure est hétérogène et plus les possibilités de communications sont diversifiées et riches et donc plus les attitudes relationnelles peuvent être multiples, plus les projets peuvent être diversifiés, plus chacun peut y trouver ce qu’il lui faut. Un groupe structuré où chacun a sa place et est reconnu peut se tourner vers d’autres structures proches (le territoire où il est implanté) ou lointaines (notion de réseau), d’où l’importance de la proximité, l’osmose avec son territoire, et l’ouverture au monde. Vous avez reconnu l’école rurale, petite structure hétérogène ancrée dans son territoire et ouverte sur le monde. Elle est le lieu qui incite, par ses caractéristiques propres, à vivre cette transformation des pratiques.

Cette manière d’aborder l’école, non pas à partir de programmes pré-établis et imposés mais à partir de projets décidés par les enfants émanant de la vie qu’ils inventent chaque jour et de celle inventée par d’autres structures interactives avec celle de l’école (famille, village, autres écoles, monde…),cette manière d’aborder l’école non pas à partir de normes dictées par une nécessité économique, politique, sociale ou idéologique, mais à partir du cheminement particulier de chaque individu respecté en tant que tel, cette manière d’aborder l’école non pas à partir de la contrainte passive chargée de tous les comportements négatifs qu’elle peut induire (échec, violence, stress, démotivation, apprentissages superficiels…), mais à partir des communications libres rendues possibles, oui, cette manière d’aborder l’école peut être la voie vers une école nouvelle respectueuse de l’enfant et donc de l’humain et porteuse d’un avenir inconnu, non défini, mais ouvert à quelques espérances.

L’école rurale, laboratoire vivant d’une école nouvelle, doit être préservée et servir d’exemple à l’école et sa transformation nécessaire. Au-delà d’être un atout, l’école rurale, non parce qu’elle est rurale, mais parce qu’elle est une petite structure hétérogène en osmose avec son territoire et ouverte sur le monde, cette école rurale est une nécessité.

Le 30 mai 2010

Jean-Michel Calvi

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