Une tribune pour les luttes

L’Egypte, nouvelle étape de la révolution arabe

Article mis en ligne le dimanche 30 janvier 2011

Après le peuple tunisien, plus d’une centaine de citoyens égyptiens ont
payé de leur vie pour que leur pays ait une chance d’être débarrassé d’un
régime dictatorial et corrompu. Le processus révolutionnaire qui a
commencé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid en Tunisie, et qui a réussi à
chasser Zine el Abidine Ben Ali du pouvoir un mois plus tard, est le même
qui enflamme l’Egypte depuis la journée historique du 28 janvier. Ce
mouvement, qui malgré une répression farouche s’étend à toute l’Egypte,
est porté par un seul mot d’ordre : ‘le peuple veut la chute du régime’.
Au quatrième jour de protestation, le pays s’enflamme : les manifestations
s’étendent dans tout le pays pour exiger le départ du dictateur Moubarak
au pouvoir depuis 30 ans. Empruntant la voie révolutionnaire ouverte par
les masses populaires et la jeunesse en Tunisie, rien ne semble pouvoir
arrêter le processus insurrectionnel en marche. La rue égyptienne
s’embrase.

Âgé de 82 ans, Hosni Moubarak, le plus proche allié arabe des États-Unis,
répète la funeste erreur de Ben Ali en ordonnant à sa police de réprimer
durement les manifestations, espérant ainsi tuer dans l’œuf la révolution
qui s’annonce. Dans le même temps, Internet est totalement censuré et le
géant britannique des télécommunications Vodafone confirme que les
compagnies de téléphonie mobile se sont soumises à l’ordre de couper
toutes les communications. Il est frappant de voir comment, dès qu’elles
agissent au service de la révolution, les nouvelles technologies de
communication peuvent être totalement et immédiatement coupées à l’échelle
d’une nation entière.

Dans la capitale, le métro est fermé, deux commissariats et le siège du
Parti national démocrate (PND) au pouvoir sont incendiés. Selon
l’Associated Press, le ministère des Affaires étrangères aurait été pris à
partie par les manifestants. A Alexandrie, c’est le siège du gouvernorat,
un symbole du régime, qui est brûlé. La répression s’abat aussi sur
plusieurs membres de la presse étrangère. Alors que l’armée est appelée à
prêter assistance aux forces de police, un couvre-feu est décrété, mais
n’est pas respecté et le peuple tient la rue. Dans la confusion la plus
totale, la foule se déplace au milieu de colonnes de chars, certains
policiers et des conducteurs de blindés pactisant avec les manifestants
qui dansent sur les chars !

Internet n’est qu’un outil et ne doit pas détourner notre attention de la
vraie raison de cette insurrection : l’envie d’en finir avec un régime
despotique sous domination impérialiste pour enfin satisfaire les
aspirations de la population. Ce pays est riche. Il brade ses ressources
afin de payer une dette qui n’a en rien bénéficié aux populations. Au
contraire, elle a notamment servi à financer la répression durant ces
trois décennies de dictature et à enrichir les proches du pouvoir ainsi
que les créanciers. Les prêts sont en grande partie détournés par l’élite
corrompue du pays, en toute connaissance de cause des prêteurs qui en
partagent donc la responsabilité. Les avoirs de Moubarak, au même titre
que ceux de Ben Ali en fuite, constituent des biens mal acquis qui doivent
être restitués au peuple.

Depuis que Moubarak est devenue président en 1981, après l’assassinat de
son prédécesseur Anouar el-Sadate, le peuple égyptien a remboursé
l’équivalent de 68,5 milliards de dollars au titre de la dette externe.
Pourtant, dans le même temps, elle n’a cessé d’augmenter, passant de 22 à
33 milliards de dollars. La dette contractée par le régime Moubarak est
largement odieuse : en droit international, elle est nulle et non avenue.
Elle doit être purement et simplement répudiée. Pour cela, un audit de la
dette, accompagné d’un gel des remboursements sans pénalités de retard,
doit être conduit sous contrôle citoyen par les pouvoirs publics, afin de
déterminer précisément ce à quoi ont servi les différents contrats de
prêts et d’annuler la part illégitime de cette dette.

Après des décennies de silence, de coopération militaire et commerciale,
les dirigeants des grandes puissances ont appelé au respect des droits
humains fondamentaux. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton, après avoir
prôné la stabilité du régime, s’inquiète de la tournure des évènements : « 
Nous sommes très inquiets au sujet des évènements en Egypte. Les droits
fondamentaux doivent être respectés, la violence endiguée, et la liberté
de communication rétablie. » Mais pourquoi ces voix ne se sont-elles pas
faites entendre plus tôt, alors que le peuple était muselé, les médias aux
ordres ou bâillonnés, et l’opposition incarcérée ?

En plus d’être un fidèle allié économique des Etats-Unis, l’Egypte est un
pilier géostratégique important, garant de l’ordre arabe établi et de la
stabilité régionale vis-à-vis d’Israël. Pour le vice-président Joseph
Biden, « Moubarak a été notre allié pour normaliser les relations avec
Israël, je ne le qualifierais pas de dictateur ». Ces déclarations cachent
mal la volonté de protéger les intérêts économiques et stratégiques dans
la région. Un chiffre ne trompe pas : l’armée égyptienne est financée par
des subventions états-uniennes (1,3 milliard de dollars en 2010) pour
maintenir l’oligarchie au pouvoir par la répression.

Le renversement de Moubarak, comme celui de Ben Ali, n’est pas une fin en
soi. Il doit être la première étape vers un changement profond :
désormais, le peuple a entamé la lutte et montré qu’il veut prendre son
destin en main. Très vite, de nombreuses décisions devront être prises :
arrêt des remboursements et audit de la dette en vue de sa répudiation,
réformes économiques en profondeur pour une juste répartition de la
richesse, développement des secteurs vitaux (santé, éducation, transports
publics, logement…), garantie absolue des droits fondamentaux. La route
est longue, mais la chute de Moubarak la rendra enfin possible.

Fathi Chamkhi, Raid Attac/CADTM Tunisie
Jérôme Duval, Patas Arriba/CADTM Espagne
Damien Millet, CADTM France
Sophie Perchellet, CADTM France


Comite pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM)
Site Web : http://www.cadtm.org

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