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Rebellyon

Un samedi à Givors

Retour sur la manifestation pour exiger la vérité sur la mort suspecte de Farid Lamouchi et contre les violences policières à Givors, ce samedi 26 Février.

Article mis en ligne le mardi 1er mars 2011

Publié le 28 février

Retour sur la manifestation pour exiger la vérité sur la mort suspecte de Farid Lamouchi et contre les violences policières à Givors, ce samedi 26 Février. Probablement furieux de ne pouvoir intervenir sur les manifestants, les flics de Givors se sont rabattus sur un mariage, où des participants ont été gazés, insultés et ont pris des coups de matraque et de taser, ainsi qu’une convocation en justice !


« Ils viennent nous provoquer même une fois qu’ils ont fini leur service »

Une soixan­taine de per­son­nes sont pré­sen­tes place Charles de Gaulle pour pren­dre le départ de la mani­fes­ta­tion dans le quar­tier des Vernes, là-même où habi­tait Farid, et beau­coup sont des pro­ches. Dans la cité, les gens s’arrê­tent pour nous dire que c’est ce qu’il faut faire, il ne faut pas fermer sa gueule devant les coups de pres­sion des flics et leur bru­ta­lité.

Ici, tout le monde se connaît. À tra­vers la mort de Farid, les habi­tants envi­sa­gent ce tra­gi­que acci­dent pour tout à chacun, dans les confron­ta­tions avec la police, en ser­vice ou non… « Ils vien­nent nous pro­vo­quer même une fois qu’ils ont fini leur ser­vice. Y en a un là, il vient taper des freins à main juste en bas des immeu­bles les soirs… »

Apparemment Givors, pour la police c’est une espèce de zone de non droit depuis bien long­temps, où les flics se per­met­tent beau­coup plus d’exac­tions qu’ailleurs.

Départ de la mani­fes­ta­tion avec un maxi­mum de bruit ! C’est chouette. On n’est pas beau­coup, mais la manif se fait remar­quer. « Police assas­sin » « Justice nulle part », quel­ques doigts d’hon­neur quand les flics (peu nom­breux) se rap­pro­chent un peu trop, les gens sont moti­vés. Tout se passe bien dans le centre de Givors jusqu’au lâché de bal­lons devant la mairie, on applau­dit en mémoire de Farid. Le Maire vient serrer des palu­ches, la famille Lamouchi le reçoit cor­dia­le­ment. Enfin les gens se sépa­rent et ren­trent au quar­tier.

Réunion stra­té­gi­que dans un appar­te­ment pour savoir ce que l’on va faire pour pour­sui­vre la lutte et exiger la jus­tice. Les gens pré­sents débat­tent… Soudain quelqu’un nous annonce qu’une ving­taine de minu­tes après notre pas­sage place de la Mairie, les flics vien­nent de gazer un mariage ! Alors on décide de sortir.

« Ils n’acceptent pas qu’on puisse bien vivre ! »

Des per­son­nes pré­sen­tes au mariage sont retrou­vées et elles se confient rapi­de­ment à nous. Elles nous expli­quent briè­ve­ment la situa­tion et on peine à les croire. « Ils n’accep­tent pas qu’on puisse bien vivre, c’est parce qu’on est des Arabes qu’ils nous font chier ! »

Curieusement, dans le centre de Givors, la pré­sence poli­cière s’est ren­for­cée après le départ des mani­fes­tants. Il sem­ble­rait que deux camions de CRS étaient plan­qués der­rière l’église, pro­ba­ble­ment pour la mani­fes­ta­tion.

Le cor­tège de bagno­les qui pre­nait part au mariage entra­vait appa­rem­ment un peu trop la rue, alors les flics n’ont pas hésité à gueu­ler sur une des voi­tu­res. A l’inté­rieur il y a Medhi qui conduit et sa femme, enceinte.

Medhi n’a même pas le temps d’obtem­pé­rer que la police hausse le ton direc­te­ment en l’insul­tant et qu’un flic le chope par l’avant bras. Medhi esquive une pre­mière droite du flic. Il sort de la voi­ture et reçoit plu­sieurs coups de pieds et des coups de tonfa par der­rière. Un des flics sort son Taser et le shoote. « Je suis resté téta­nisé, je ne pou­vais rien faire » !

Pendant ce temps la voi­ture est copieu­se­ment gazée ainsi que le cor­tège qui pro­teste. La jeune soeur de Medhi, 16 ans, qui veut l’aider reçoit des coups de matra­que. Sa grand mère est mal­me­née elle est pous­sée par des poli­ciers, sa tante qui est asth­ma­ti­que sera même trans­por­tée à l’hôpi­tal.

Medhi est embar­qué au com­mis­sa­riat qui est à deux pas. Les portes du four­gon s’ouvrent, les insul­tes racis­tes fusent, les mena­ces aussi : «  Allez des­cend, je vais te niquer, dans la cel­lule , je vais te pren­dre et te défon­cer ! »

- Medhi : « Du coup j’ai repensé direct à cette affaire de Farid… Je vou­lais pas des­cen­dre du camion poings liés, j’aurai pas pu me défen­dre, alors un flic m’a mis sa gazeuse à 2 cen­ti­mè­tres du visage et j’ai dû m’exé­cu­ter. Une fois dans le com­mico, un des flics fait remar­quer aux autres qu’ils auraient dû me sécher depuis le début, j’aurais fait moins d’his­toi­res. Je lui ai fait remar­quer qu’il n’avait pas à dire ça, alors il s’est énervé et m’a sorti des trucs que je ne répé­te­rai pas parce qu’il y a ma mère à côté de moi… Entre autres « sale arabe ! »… et ce genre de choses. » [1]

Medhi est relâ­ché aux alen­tours de 18h30, son père a négo­cié sa sortie auprès du com­mis­sa­riat, selon le bon vou­loir des fonc­tion­nai­res. Il res­sort avec une convo­ca­tion. Des gens l’encou­ra­gent à porter plainte auprès du pro­cu­reur et à faire attes­ter ses bles­su­res par un méde­cin. Medhi semble le pre­mier convaincu de la néces­sité de pour­sui­vre les flics. « Si tu ne le fais pas, ça va se retour­ner contre toi. »

Medhi et sa famille décide d’aller à l’hôpi­tal et de ter­mi­ner ce mariage. _ Aucune raison que la peur du flic vienne para­si­ter encore un peu plus cette jour­née.


Un après-midi ordi­naire en fait.

Voilà, il est 20h, on repart sur Lyon et on laisse la cité des Vernes à son quo­ti­dien :

- Un com­mis­sa­riat de Givors qui visi­ble­ment fait ce qu’il veut même si c’est com­plè­te­ment illé­gal, dans l’attente, espé­rons-le, d’une enquête sérieuse de l’IGPN [2] et de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité.
- Des poli­ciers de la BAC qui font chier les gamins qui ren­trent de l’école.
- Des coups de pres­sion et des coups tout court comme cet après midi.

Comment ne pas avoir les boules quand on gran­dit ici ?
Il n’y a pas une famille qui n’ait jamais eu des ennuis avec la police. Tout le monde a en tête les meur­tres dégui­sés, les affai­res bâclées, les cou­sins, les frères ou les voi­sins humi­liés.

Dans ces villes de ban­lieues ouvriè­res où l’indus­trie a déserté, la cam­pa­gne avoi­si­nante ne peut même pas servir de refuge. On n’a pas idée du degré de vio­lence des rap­ports de force entre le pou­voir et les habi­tants des quar­tiers popu­lai­res, et pour­tant ça semble être la norme.
Notes

[1] par exemple : «  fils de pute , je vais t’enculer. »

[2] Inspection Générale de la Police Nationale (la police des polices)



Marche pour Farid à Givors

Samedi 22 Janvier, ce sont plus de 300 personnes qui ont défilé dans les rues de Givors en hommage à Farid Lamouchi, 41 ans, décédé 10 jours auparavant dans d’obscures circonstances… à la prison de Corbas, après une très violente interpellation des policiers de Givors.

Après avoir été soup­çonné d’un vol de cafe­tière et de 80 euros dans un bar de la ville, Farid se fait arrê­ter par la police et passe 48 heures en garde à vue. Ce sont 48 heures d’enfer où il subira un véri­ta­ble pas­sage à tabac, sera privé de ses médi­ca­ments (il a une tumeur au cer­veau), devra accom­pa­gner deux fois les poli­ciers pour des per­qui­si­tions où ils détrui­ront tout chez lui. Sa femme sera aussi invi­tée à venir témoi­gner pen­dant ces deux jours : les flics lui pas­se­ront les menot­tes sur son lieu de tra­vail, alors qu’elle est alors inté­ri­maire dans une chaîne de prêt à porter. En plus de perdre son mari, elle en perd aussi son tra­vail.

A l’issue des ces 48 heures d’humi­lia­tion, Farid est pré­senté devant un juge dans un triste état : traces de coups, fati­gues, manque de médi­ca­ment… Son avocat, comme sa famille dans la salle, ne le reconnais­sent pas. Le juge décide d’atten­dre une exper­tise psy pour le juger le 3 février et le place en déten­tion pré­ven­tive à la maison d’arrêt de Corbas. Deux jours plus tard, dans la nuit, la femme de Farid reçoit un coup de fil : «  madame votre mari est mort il s’est pendu ». Comment se fait-il que Farid se retrouve seul dans une cel­lule avec des lacets alors que géné­ra­le­ment, même les vête­ments sont en papier… ? Comment a t-il pu se pendre à un lit super­posé qu’il dépasse d’une tête… ? Pourquoi le pro­cu­reur et le direc­teur de la maison d’arrêt ne racontent-ils pas la même his­toire à la famille… ?

Une fois de plus les cir­cons­tan­ces du décès défen­dues par l’admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire ne sont pas convain­can­tes et sont reje­tées par la famille et les amis qui crient leur colère. Dans tous les cas, la ver­sion du sui­cide ne convainc pas la famille qui va essayer d’y voir plus clair en lut­tant face à la jus­tice. Une his­toire qui rap­pelle celle de Fakhradine, autre habi­tant du quar­tier des Vernes à Givors, lui aussi déclaré sui­cidé par l’admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire en 2008. Sa sœur était pré­sente samedi, et elle fera partie du Comité Justice que la famille de Farid a monté à Givors avec l’asso­cia­tion « Faites la Lumière en Détention » pour lutter contre toutes ces morts obs­cu­res et plus géné­ra­le­ment contre les vio­len­ces poli­ciè­res dont nom­breux sont vic­ti­mes les habi­tants de Givors.

Un reportage audio plus complet est en écoute ici

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Un reportage audio sur la marche hommage à Fakhradine en 2008 est en écoute ici

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