Une tribune pour les luttes


Le cheval blanc - Chapitre 2/12

La Fenêtre - Jean Michel Calvi

Article mis en ligne le mercredi 9 mars 2011

Le cheval blanc

02-Le-cheval-blanc-La fenêtre-JMCalvi

Il était une fois une école, très propre, nette, toute neuve, cette nouvelle génération d’écoles construites pour remplacer les « écoles Jules Ferry », pleines de vitres, de belles salles claires et de plantes vertes. La fierté de la municipalité. A l’intérieur, 7 ou 8 classes, toutes bien rangées, bien homogènes, où le bourdonnement des stylos à bille enregistre les paroles des maîtres et maîtresses. Entrons dans un CM2. L’évaluation nationale vient d’arriver. Le maître va, aujourd’hui, faire passer l’épreuve permettant d’évaluer les compétences logiques des élèves.
« Attention, je vais vous poser une question. Vous devrez, dans un délai de 2 mn, cocher la bonne réponse. Vous avez le choix entre trois réponses : blanc, autre couleur, je ne sais pas. Vous êtes prêts ? Voici la question : quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? Je répète : Quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? Prenez vos stylos. Je déclenche le chronomètre. Répondez ! »
Deux minutes plus tard, tout le monde passe à l’épreuve suivante.
Le soir, voici le maître pestant contre le temps supplémentaire de travail que lui impose ces évaluations nationales, commence la correction.
Ah, cette histoire de cheval blanc, voyons voir les instructions. Heureusement qu’elles sont très précises ! Si la réponse est « blanc », cocher 1. L’épreuve est parfaitement réussie. Si la réponse est « autre couleur », cocher 2. Cet élève a des problèmes sérieux de logique. Il faudra le mettre en aide personnalisée ou peut-être le présenter au psychologue scolaire et remplir une fiche d’aide pour le RASED. Une équipe éducative sera certainement nécessaire à terme pour orienter cet élève en enseignement spécialisé. Si la réponse est « je ne sais pas », cocher 9. Cet enfant doit faire l’objet immédiatement d’un signalement à la MDPH pour une notification soit d’AVS, soit d’orientation en établissement spécialisé. Cet élève fait sans doute partie des inévitables échecs de votre pédagogie et de l’école de la République. Il est sans doute en phase terminale de sa métamorphose en radiateur ou en porte-manteaux. Futur boulet de la société touchant le RSA ou devenu SDF. Attention, peut être dangereux, éviter les morsures, gare au sida ou autre grippe A. A supporter sans se faire blesser. C’était peut-être inévitable, mais avez-vous mis tous les moyens dont vous disposez pour faire réussir cet élève ? N’avez-vous pas été laxiste, vous et vos collègues à un moment crucial ? Pensez qu’avec cet élève, cet échec, vous faites descendre les statistiques de l’école française à l’OCDE, vous donnez une mauvaise image de l’école de la République, vous gaspillez l’argent des français. Les animations pédagogiques proposées par votre IEN viendront vous aider à rétablir cette situation. Nous avons confiance en vous.
Heureusement que tout est expliqué. Et, ils ont quand même confiance en moi, quel réconfort. Si près de la retraite, avoir le sentiment d’être reconnu…

Reprenons. Attention, double évaluation : repérer maintenant l’écriture de la croix faite pour donner la réponse. Suivent alors différentes notations selon que l’écriture est tremblante ou ferme, si la croix dépasse le cadre à droite, à gauche, en bas, en haut… et surtout la rapidité de la réponse.
Lorsqu’à plus de minuit, le maître aura fini la correction des évaluations de ses 30 élèves, il constatera avec plaisir que fort peu de ses élèves ont échoué cette épreuve. Il est rassuré sur sa méthode et sur celle de son excellent collègue et ami du CM1.
Il faudra les jours prochains continuer avec les autres épreuves et corrections. Il faudra ensuite remplir sur ordinateur les tableaux de résultats fournis par le ministère et envoyer les résultats anonymés, oui, comme c’est délicat ! Quel travail qui vaut bien les 400 euros de prime que le ministre nous octroie pour cela.
Ce maître sera d’autant plus rassuré quand il aura, quelques mois plus tard, constaté, en épluchant les résultats nationaux, départementaux et de sa circonscription, que les résultats de sa classe sont dans la moyenne, et même, suprême honneur, légèrement au-dessus. Ce n’est pas pour rien que sa note atteint les 19,5 et que les inspections ne sont qu’une formalité pour lui. Les palmes académiques ne sont pas loin.
Au fait, dans cette école toute neuve, en raison de la VMC qui fonctionne jour et nuit dans toutes les pièces, on ne peut pas ouvrir les fenêtres. Et dans sa chaude quiétude ventilée, le maître n’entend plus, déjà depuis longtemps, la fantastique symphonie des milliards de galaxies de l’univers.

Il était une fois une petite école à classe unique, dans un hameau reculé d’un coin de France, dont l’existence administrative est un non-sens pour quelques énarques, lieu de rendez-vous des corbeaux. Vieux bâtiment, un peu gris, sombre à l’intérieur, mais avec de l’espace dehors et dedans, avec plusieurs salles disponibles, témoins de jours fastes où les enfants étaient plus nombreux.
On entre, et l’on entend comme un bourdonnement de ruche. Les murs, tous recouverts de panneaux remplis de textes, dessins, photos, sont, eux aussi, vivants. Ils nous parlent. Nous pouvons rencontrer des enfants dans tous les coins : ils s’activent, scient, peignent, écrivent, écoutent de la musique, font des opérations, lisent, besognent devant un écran d’ordinateur, font des expériences, préparent un gâteau… Une ruche !
L’institutrice est assise à un bureau avec un élève. Ils corrigent ensemble un texte destiné au journal. Un petit est en train de taper un texte à l’ordinateur. Il se lève souvent pour demander de l’aide à un grand. Soudain, alors que le document contenant les épreuves de l’évaluation nationale CM2 dort sous une pile de livres et quelque poussière oubliée, la sonnerie du téléphone retentit. Un élève s’approche, accompagné d’un petit qui veut voir comment on fait, et décroche. « Allo… C’est pour un fax… D’accord, j’appuie. » Le papier commence à sortir et dévoile lentement son message. Ceux qui sont par là viennent jeter un coup d’œil pour voir d’où vient ce fax. Ce n’est pas vraiment le jour où les autres écoles du réseau envoient leur hebdomadaire, ce doit être les correspondants. « Eh, c’est les corres ! ». Le papier, une fois enlevé du télécopieur, passe de mains en mains. Il sera photocopié pour que chacun puisse l’avoir dans son classeur, et pour que la classe puisse le lire ensemble, le commenter et voir s’il est le point de départ de différents projets individuels ou collectifs.

A la suite d’un texte relatant un accident qui avait eu lieu chez eux et de quelques lignes destinées à un enfant en particulier à propos de la recherche de maths qu’il leur avait envoyée récemment, les correspondants de l’autre bout de France posent une question : « Au fait, savez-vous qu’elle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? ».
« Facile, tu parles, c’est blanc bien sûr ! Qui se charge de faire la réponse ? Bénédicte ? Je t’inscris sur le tableau des projets et n’oublie pas de le noter sur ton agenda historique. Qui veut encore dire quelque chose sur ce fax ? Qui est Henri IV ?... Qui veut chercher ? » Un groupe de trois enfants s’inscrit pour cette recherche. Ca marche.
Christophe est dans son coin. Pendant la lecture du fax, il avait l’air absent, il coloriait un dessin qu’il venait de faire, un peu à son habitude. Les fax, les textes, tout ce qui s’écrit, ne sont pas trop sa spécialité, c’est tellement dur. Mais, alors que chacun avait repris son activité, il prit son cahier de textes libres et se mit à écrire, toujours dans son coin, en jetant parfois un regard sur ce fax qui paraissait si étranger tout à l’heure. Au bout d’un moment, il alla chercher la maîtresse pour lui demander si elle pouvait venir corriger sa lettre tout de suite, car c’était pressé. Elle était en train d’aider un petit groupe qui réalisait, dans la cour, un trait aussi grand que la mesure de la baleine lue dans le journal d’une autre école près de la mer, reçu il y a quelques jours. Mais la chose avait vraiment l’air urgente, et le fait que Christophe écrive était si rare, qu’elle laissa le groupe pour aller avec Christophe.
Il avait écrit : « Le cheval blanc d’Henri IV est noir. »
La correction terminée, il recopie son texte avec application sur une feuille à en-tête de l’école, et demande au responsable fax de la semaine de l’envoyer immédiatement aux corres. Quelques minutes plus tard, un nouveau fax arrive : « Nous ne comprenons pas la réponse de Christophe. Est-ce une blague ? ».

Toute la classe alors s’intéresse à la réponse de Christophe, et c’est peut-être bien la première fois qu’un de ses rares écrits attire l’attention des autres. « Noir, pourquoi noir puisqu’on nous dit dans la question qu’il est blanc ? Y’avait même pas à chercher et réfléchir ! » Alors Christophe explique à ses copains dans un silence intéressé, que le cheval blanc est noir : « Vous comprenez, ce matin, en venant à l’école, dans le pré de ma mamie, il y avait le cheval du Père Pupier, tout blanc, qui brillait un peu à cause de la rosée et du soleil. Je l’ai appelé, et il est venu vers moi. Il avait sa grosse tête juste en face de moi, et il me regardait. On s’est regardé longtemps. Et son œil est si noir, son regard noir me disait tellement de choses belles et gentilles, qu’après, je l’ai vu noir, et que, pour moi, il sera toujours noir. »
Silence. « Et si on allait le voir ce cheval ? » et les voilà tous au bord du pré de la mamie de Christophe, et le vieux cheval, aussi vieux que son maître, les regarda tous, et ils comprirent tous ce que voyait Christophe et ce qu’il ressentait. C’était aussi la vérité.
En revenant de l’école, cette école où les fenêtres s’ouvrent sans difficulté et même laisse passer beaucoup d’air, ils percevaient tous, dans le bruit de leurs courses et leurs cris, quelques notes de la fantastique symphonie des milliards de galaxies de l’univers.

Chapitre suivant : Une histoire de grabataire

Retour en haut de la page

Vos commentaires

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Éducation/Enseignement Supérieur c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 590