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A Contre Sens

Vengeance d’État
Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès


Article mis en ligne le vendredi 16 septembre 2011

Avec tous les liens
http://www.acontresens.com/contrepoints/societe/47.html

Trois semaines avant l’ouverture du procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel, condamnés en juillet 2010 à des peines de 3 à 15 ans de prison ferme, et à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Vengeance d’État. Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès [1], nous publions une partie de l’introduction de cet ouvrage, ainsi que plusieurs documents (des appels à la délation anonyme, l’ordonnance d’accusation, des photographies du procès).

Le procès en appel s’ouvre le 4 octobre 2011. Ce livre a un but politique immédiat, il a été écrit pour appeler à la libé­ration des inculpés de Villiers-le-Bel. Nous relayons ici la pétition «  Liberté pour les cinq de Villiers-le-Bel »(http://clap33.over-blog.com/article...), lancée en juillet 2010 et soutenue par le collectif Respect-Vérité-Justice, car « cette révolte populaire était une réponse au quadrillage du quartier par plus de 600 policiers après la mort de deux jeu­nes tués par une voiture de police. Nous dénonçons ce verdict inique fondé sur un témoignage sous X. [...] Nous demandons [...] la libération des cinq condamnés pour l’exemple. »

LIBERTÉ POUR TOUS !

Extraits de l’introduction de l’ouvrage :

« Le 25 novembre 2007, à Villiers-le-Bel, deux adolescents, Lakhamy Samoura et Moushin Sehhouli, meurent. Leur moto a été violemment percutée par une voiture de police. Refusant la version officielle d’un « accident », les habitants descendent dans la rue. Les premiers affrontements éclatent lorsque la nuit tombe. La révolte du quartier dure plusieurs nuits, pendant lesquelles la police est tenue en échec. La vengeance de l’État s’exercera quant à elle pendant de longues années.

En février 2008, les forces de l’ordre organisent une grande descente à Villiers-le-Bel, procédant à de très nombreuses arres­tations. S’ensuit alors une succession d’affaires judiciaires, dont un procès en juillet 2009 pour « jets de pierre ». Mais le gouver­nement veut frapper plus fort. Il lui faut encore réaffirmer son autorité, quitte à punir des boucs émissaires au cours d’un procès exemplaire. Il a besoin de rappeler à l’ensemble de la population, mais plus particulièrement aux habitants des quartiers populai­res, que la moindre velléité de révolte sera étouffée par tous les moyens qu’il a à sa disposition.

Le 21 juin 2010 s’ouvre le procès en cour d’assises des tireurs présumés de Villiers-le-Bel. Cinq inculpés se retrouvent dans les engrenages de la machine à broyer judiciaire. Alors qu’aucune preuve matérielle n’étaye l’accusation, Abderrahmane Kamara, Adama Kamara, Maka Kanté, Samuel Lambalamba et Ibrahima Sow risquent la perpétuité pour « tentatives d’homicides volon­taires au préjudice de fonctionnaires de police dans l’exercice de leur fonction et ce, en bande organisée ». Pour combler l’absence de preuves, la Justice et la police ont lancé un appel à la déla­tion avec promesse de rémunération. Les témoignages anonymes ainsi récoltés constitueront un des seuls éléments à charge dans un procès qui s’annonce comme une farce tragique.

Tout au long du procès, la seule parole qui sera entendue sera celle des forces de l’ordre, des avocats généraux et des «  experts », à la fois représentants et garants d’une organisation sociale qu’il est impensable de transgresser. La présidente sait de quel côté elle doit se tenir et quel est son rôle dans ce système bien huilé qui n’a que faire de comprendre et de rétablir les faits, puisque son but premier est de discipliner et de maintenir l’ordre. Lorsqu’on se penche de près sur son fonctionnement, on s’aper­çoit que la Justice n’est qu’une façade, une institution qui sous des apparences de neutralité est en réalité soumise aux impératifs politiques et sociaux du pouvoir. On nous dit que la Justice est là pour faire respecter les lois, présentées comme la garantie de plus de liberté. Le droit est érigé en valeur suprême, il nous est présenté comme un rempart contre la tyrannie et se voit chargé de réglementer la sauvagerie qui serait inhérente à la nature humai­ne. Le droit devient incontournable, incontestable, dépassionné, œuvrant pour l’intérêt commun alors qu’il est avant tout l’arme des puissants pour garantir et reproduire leurs intérêts.

L’État s’est dit scandalisé des blessures – pour la plupart légè­res – infligées à ses forces de l’ordre lors des révoltes, alors que les quelques tirs ayant atteint ses fonctionnaires étaient des tirs de plomb. Les morts imputables aux techniques policières, que certains considèrent encore comme de simples « bavures », ne sont quant à elles jamais perçues par le gouvernement comme étant scandaleuses. Pour satisfaire aux exigences du pouvoir politique, la Justice s’empressera alors de blanchir les policiers impliqués dans la mort de Lakhamy et Moushin, tandis qu’elle s’acharnera sur les habitants de Villiers-le-Bel pour montrer que la police est intouchable. À la sortie d’une audience, Mathieu Rigouste1 livre ses impressions sur le procès : « Ce qui est en jeu, c’est le maintien de la cohésion dans l’appareil de pouvoir. Il y a une contradiction interne dans les appareils répressifs – la police et l’armée – qui oblige le pouvoir à leur fabriquer une légitimité pour ne pas que leurs agents le lâchent et se retournent contre lui. Le pouvoir travaille donc en permanence à ce que la police soit dissociée du peuple, à ce qu’elle ait l’impression que le peuple est forcément contre elle et que le seul moyen pour elle d’être protégée c’est de rester groupée autour du bloc de pouvoir. C’est ce qui se joue là. On veut s’assurer qu’il n’y aura pas de rupture de rang dans la police, donc on met en place une sorte de sacrifice, on sert sur un plateau un bouc émissaire qu’on purge publiquement pour célébrer le règne et la cohésion de l’appareil de répression. »

Depuis la crise des années 1970, l’État s’est en effet doté d’outils répressifs supplémentaires, avec une accélération nota­ble durant la dernière décennie. Tout d’abord en hommes, en moyens, en armement, en création de fichiers interconnectés, mais aussi en promulguant toujours plus de lois qui laissent les mains libres aux dépositaires de l’autorité publique, qui crimi­nalisent toujours plus de comportements, qui allongent inexora­blement les peines et qui envoient toujours plus de personnes en prison. Villiers-le-Bel, comme d’autres villes, est un laboratoire pour l’État, où il peut tester l’efficacité de ses dispositifs et les perfectionner. Le procès des tireurs présumés participe de cette logique sécuritaire qui vise à contrôler les populations en catégo­risant, sanctionnant et condamnant sur la base d’une légalité qu’il nous est interdit de contester.

Ceux qui se déclarent outrés par la haine que partagent de nom­breuses personnes envers les forces de l’ordre ne cherchent jamais à en comprendre les raisons. Si des affrontements avec la police ont eu lieu à Villiers-le-Bel en novembre 2007, c’est évidemment parce que deux adolescents de la ville sont morts, parce que les autorités ont répondu par le mensonge, le mépris et la provoca­tion. Mais c’est aussi parce que ces morts se sont produites dans un contexte de chômage de masse et de relations tendues entre habitants et police. Cette situation n’est pas spécifique à Villiers-le-Bel, mais se retrouve dans la plupart des quartiers populaires, où la seule réponse que l’État donne à la précarité qu’il organise est le renforcement de la présence policière. Lorsque l’on vient d’une cité où l’on subit quotidiennement les contrôles au faciès, parfois plusieurs fois par jour, lorsque l’on côtoie des policiers méprisants, insultants et agressifs, qui jouissent d’une impunité totale, rien d’étonnant à ce que la colère éclate.

(...)

Ce livre a pour ambition de réhabiliter tous les révoltés de Villiers-le-Bel, arrêtés ou non par la police, condamnés ou non par la Justice. Il vise non seulement à dénoncer la réalité quotidienne du quadrillage policier des banlieues, mais également à mettre en évidence le fonctionnement et les méthodes du modèle de justice de classe et de race en vigueur en France. Nous ne cherchons pas à retracer avec exactitude le déroulement des révoltes, puisque nous n’y étions pas. Nous ne cherchons pas non plus à savoir qui a tiré sur les forces de l’ordre, car nous trouvons qu’il y a déjà bien assez de juges comme ça. Si nous avons choisi de centrer notre récit sur les différentes procédures judiciaires, c’est parce que nous reconnaissons au moins un mérite à ces procès : celui de révéler à quel point le système judiciaire ne laisse aucune chance à ceux qui sont trop pauvres et trop noirs. Ce procès trouve un écho parfait chez tous ceux qui croient au fantasme angoissant des « jeunes de banlieue » et des « immigrés ». À ceux qui refusent de croire aux chimères égalitaires de la France et qui tentent de dénoncer les mesures répressives à leur encontre, la Justice fait une promesse : la présomption d’innocence ne s’appliquera pas à eux. Ils seront envoyés croupir en prison où ils pourront hurler tant qu’ils le veu­lent leur révolte, les hauts murs étoufferont leurs cris.

(...) Comme le titre de ce livre l’indique, nous considérons que le procès des tireurs présumés est en réalité, mal­gré les dénis multiples du gouvernement et de la Justice, le moyen pour l’État d’assouvir sa vengeance contre une population qui s’est retournée contre lui et qui a échappé, au moins pour quelques heures, à son contrôle. »

[1] Collectif Angles morts, Vengeance d’État. Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès, Paris, Syllepse, 2011, 158 p.

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