Une tribune pour les luttes

Contes de Noël

Article mis en ligne le jeudi 29 décembre 2011

Planète CRA n°23 (Cimade au Centre de rétention de Cornebarrieu - Toulouse)

Monsieur,

Je vous envoie ce mail depuis Sao Paulo, où je suis bien arrivé, hier en fin de
matinée.
Comme me l’avait conseillé la Cimade, j’ai demandé mon passeport au commandant
de bord de l’avion, du coup je n’ai pas été inquiété par les policiers en arrivant à
l’aéroport ; j’ai débarqué comme les autres passagers, simples touristes ou
compatriotes de retour au pays.
Je tenais vraiment à vous remercier vous et vos hommes pour votre aide. Le sérieux
de la PAF et l’abnégation de ses fonctionnaires, n’ont d’égal que le zèle et
l’altruisme des préfectures françaises. Et de ce binôme aux rouages bien huilés
découle toute l’efficacité de la machine à expulser de la France, leader européen en
la matière et dont la renommé dépasse ses frontières.

Je me revois encore avec Juan et Mohammed, alors que nous étions assis à la
terrasse d’El barrio à Barcelone, il y a à peine trois semaines. Je leur parlais de
maman, de sa leucémie galopante ; les tests que j’ai fais à l’hôpital général de
Barcelone, confirmaient que j’étais un donneur de moelle compatible... Depuis plus
de deux mois j’allais de petits boulots en petits boulots pour essayer de réunir les
1200 euros que me coûtait le vol Madrid-Sao paulo. Je travaillais plus de 11 heures
par jour sur un chantier, les plafonds à peindre, deux couches, en blanc. Et le week
end je donnais un coup de main à un ami qui tient un garage, nettoyer les voitures
avant de les rendre à leurs propriétaires. J’étais fatigué et je n’avais même pas
économisé encore la moitié de la somme ; tout partait dans la location de
l’appartement, la nourriture.
C’est Juan qui a eu l’idée. Il connaît quelqu’un, un Marocain, qui a été reconduit par
la police française en deux jours seulement. J’avais un passeport en cours de
validité, il me suffisait de traverser la frontière franco espagnole, de préférence en
bus, le matin, sur une ligne internationale et ça devait marcher. Le lendemain je suis
allé à une agence «  Eurolines », j’ai pris un billet pour Rome. Je me souviens avoir
hésité car je ne pouvais pas me permettre de gaspiller mon argent et le temps m’était
compté. Mais Juan avait l’air si sûr de lui...
Le mardi j’étais parmi les premiers à l’arrêt de bus avec mes deux valises.

Le voyage a commencé ; je guettais les postes frontières mais en fait ils n’existent
plus si bien que passé un certain temps de route, lorsque nous sommes arrivés dans
la montagne, je ne savais plus si nous étions encore en Espagne ou si nous étions
passés en France. Le bus continuait de rouler, berçant les autres passagers pendant
que mon espoir s’étiolait au fil des kilomètres. Soudain nous avons ralenti ; j’ai
allongé le cou pour voir ce qui se passait ; il y avait une file de bus sur la droite, à
l’arrêt, peut être trois ou quatre, tous de la compagnie « Eurolines ». Mon cœur s’est
mis à battre plus fort. Il m’a semblé voir des policiers. _ J’ai demandé à mon voisin ce
qui se passait : sa paupière gauche s’est levée avec lassitude, il a marmonné sans
desserrer les lèvres : «  clandestinos » avant que sa paupière ne retombe mollement.
J’avais du mal à contenir mon excitation. Juan avait donc raison.

La suite vous la connaissez. Contrôle des papiers d’identité de chaque passager.
Descente du bus. Local de police du Perthus. Contrôle d’identité. Transfert menotté.
Commissariat de Perpignan. Garde à vue. Interrogatoire. Transfert menotté jusqu’au
centre de rétention de Toulouse. Enfermement. 3 longues journées. Transfert
menotté à l’aéroport de Blagnac.
Rapide, sûr, efficace. L’omniprésence des policiers français le long de la frontière
espagnole, leur professionnalisme (œil exercé pour repérer les délinquants
transfrontaliers, loyauté sans borne à leur hiérarchie, tactiques et manœuvres
d’interception réfléchies) et leur force de frappe (voiture et bus policiers en nombre,
personnel d’intervention renforcé, relais avec les préfectures et le procureur quasi
instantané, y compris le week end) assurent des expulsions d’étrangers sans papiers
nettes, en nombre croissant et de plus en plus rapides.

Merci encore, Monsieur, pour vos bons et loyaux services.
Que Dieu vous garde

José.

PS : Je ne suis qu’un chiffre supplémentaire dans vos statistiques pourtant sachez que je ne suis pas
une donnée comme les autres. Je n’ai pas été reconduit à la frontière mais raccompagné à la maison ;
je me suis offert à vos filets, pour mieux m’envoler et profiter de votre système par ailleurs tellement
inhumain pour le commun des migrants.
Maman sera opérée la semaine prochaine.


Mais hélas, la réalité est le plus souvent autre...

Bon Noël à tous, et ne baissons pas les bras

Planète_CRA_n°23

Encore un peu de douceur pour nous réconforter ...

Conte (véridique) de Noël : le flic et le sans-papiers

04 Décembre 2011 Par RESF

http://blogs.mediapart.fr/blog/resf...

Tu me racontes ton histoire, mon ami. Au fond de ce bistrot sombre, dans tes yeux vagues et las, qui ne se posent nulle part je ne vois pas grand-chose. Mais les images défilent dans ta voix douce et monocorde. Il y a l’accent, certes. Mais les mots, précis, sont bien là. Ce sont eux qui créent les images telles que je les rapporte aujourd’hui.Tu t’appelles Moussa Traoré*. Je te vois, ce jour de fin décembre. Ta tête appuyée contre la vitre du RER qui traverse des banlieues pavillonnaires que tu ne vois pas. Il te ramène à Paris-Gare de Lyon. La pluie froide gifle la vitre, coule de tout son long. C’est bientôt Noël.

Tu repenses à cette entrevue que tu viens d’avoir avec un patron. La nième entrevue. Et toujours la même réponse : « le problème, c’est tes papiers. Ils sont faux, hein ? Désolé mon gars, on peut plus jouer avec ça. Et crois moi, ça m’arrange pas plus que toi ».

Tu les as repris, ces papiers, tu t’es levé sans rien dire, tu es parti. Et là, la tête posée contre cette vitre glacée qui vibre, tu reparcours comme un bilan toutes ces étapes qui t’ont menées ici. La guerre, le massacre de ta famille sous tes yeux de jeune ado. La fuite, la peur et le froid dans le bateau, la peur encore et l’errance entre pays inconnus que tu découvres, frontières, policiers, langues que tu ne comprends pas. La survie, l’arrivée en France. Ce matelas, jeté dans un recoin d’une pièce d’un foyer parisien, où tu as retrouvé quelques compatriotes.

Les petits boulots, d’abord. Puis ces « vrais-faux » papiers, donnés-vendus par un compagnon de galère. Le travail sur un chantier... Ta rencontre avec une femme, avec ses enfants. Son appartement, comme une vraie vie de famille qui commencerait, l’espoir qui revient. Jusqu’à l’arrestation. L’OQTF qui pose sur ta tête l’épée de Damoclès. La peur qui revient. L’absence de travail. A nouveau la rue, les foyers, la solitude...

Tu te lèves, alors que le train entre dans une gare que tu ne connais pas. Sans raisons. Comme ça. Comme si, ici, au hasard, devait s’arrêter un itinéraire qui ne t’a mené nulle part, comme si ici devait prendre fin un voyage devenu désespérant.

Je te vois, tu sors sur le quai. Tu ne regardes pas le décor. Tu ne vas nulle part. Tu marches dans le vent glacé qui s’engouffre dans la gare, semble pressé de couler vers la bouche noire du tunnel dont tu t’approches.

Tu fais demi-tour. Tu ne penses plus vraiment. Tu regardes les rails d’acier, puis ce RER qui s’approche. L’envie te prend, ton corps penche imperceptiblement, comme si une pente l’attirait.

Est-ce le regard de la conductrice du train, que tu croises alors que tu te laisses emporter ? Ce regard dans lequel tu lis en un millième de seconde qu’elle a compris ? Qu’elle te le crie dans tes yeux, qu’elle crie « non, ne nous fais pas ça ! » ? Est-ce sa peur qui te retient, ou la tienne propre ? Ou un ultime refus ?

Je te vois. Comme dans un sursaut discret, tu poursuis tes pas le long des voies. Le train passe devant toi dans un grincement de freins insupportable.

Les portes s’ouvrent, les voyageurs descendent. Tu te laisses emporter par le flot, comme un noyé qu’emporterait la vague. Portillon, escalator, hall, lumière du jour.

Tu les vois juste à temps, ils sont cinq. Par réflexe, tu te noies dans le courant des gens pressés, tente de te cacher, fuis leurs regards qui scrutent la foule, à la recherche de faciès jeunes et sombres. Ca y est, ils ont trouvé leur cible, se précipitent dessus avec un bel ensemble. Noir, grand, une tête de plus que les autres, 18 ou 20 ans. Pourvu qu’il ait des papiers et pas de shit... Tu avances sans te retourner.

Il doit être environ midi. Le ciel et les trottoirs se rejoignent dans des nuances de gris qui sont pour toi le symbole de ce pays, que tu imaginais au départ plein de lumières. «  La France, pays des lumières », tu avais entendu cette expression, une fois, tu ne sais plus où. Elle avait nourri ton imagination. Tu voyais la France comme un arc-en ciel éclatant, aveuglant. Tu la ressens grise, froid, humide, comme aujourd’hui.

Tu ne connais pas cette ville. Tu te mets en marche. Tu ne sais pas pourquoi, vraiment. Pas envie de redescendre dans le RER. Bout du chemin. Plus nulle part où aller, avec une raison d’y aller.

Voilà. Le voyage entrepris il y a maintenant plus de 10 ans s’arrête là, dans cette rue inconnue d’une ville inconnue de l’est parisien, sous une pluie fine et froide, au milieu de gens indifférents et pressés. Pas d’issue dans ce cul de sac.

Tu laisses un blanc dans ton récit. Un silence. Comme ce blanc dans ta mémoire. Tu ne sais plus comment tu t’es retrouvé à entrer dans ce commissariat, à te diriger vers le guichet « d’accueil ».

Tu sais simplement que tu as dit à la personne assise derrière la banque : «  Je n’ai pas de papiers. Je suis fatigué. S’il vous plait, arrêtez-moi, et renvoyez moi d’ici ».

Un petit sourire nait sur tes lèvres quand tu poursuis, à l’évocation de la réaction de la fliquette de service. Tu me la décris. Comprimée dans une chemise et un pantalon d’uniforme qui ont du être à sa taille il y a bien longtemps, équipée à la ceinture de toute la panoplie du policier de terrain (pistolet, menottes, gants, bombe lacrymogène...) qu’elle conserve même derrière son guichet, elle a des cheveux blonds décolorés tirés sur le crâne, qui se rejoignent en une minuscule queue de cheval.

Je souris aussi. « T’es tombé sur Coralie !!! On la connait tous bien, la Coralie, dans la ville. Surtout les jeunes d’ailleurs... Une vraie peau de vache, méchante et agressive... Alors, qu’est-ce qu’elle a dit ? .

- Eh bien... elle m’a regardé avec des yeux étonnés. Elle m’a fait répéter. Elle a hésité. Et puis elle m’a dit qu’elle appelait un OPJ, et qu’il ne fallait pas que je bouge. »

« Elle a passé plusieurs coups de fils. Elle ne me quittait pas des yeux. Et puis, elle m’a dit qu’un OPJ allait arriver. Un certain Florian ou Florent, j’ai entendu quand elle parlait ».

Tu vas t’asseoir. Au bout de 5 mn, une porte s’ouvre. Apparaît un grand type blanc, large, un peu gros, aux cheveux courts mal coiffés, avec un drôle de pull vert à col en V rouge. Et des pans d’une chemise grise qui dépassent d’en-dessous, sur un pantalon de velours marron et froissé. Il jette un œil à la fliquette qui te désigne d’un mouvement des yeux et de la tête. Il vient vers toi et te demande de le suivre dans son bureau. Il te vouvoie.

Il te fait asseoir dans une petite pièce encombrée de papiers. Il y a des photos d’enfants sur le bureau. Des cartes postales sur le mur à la peinture craquelée, et des affiches bizarres. Il te demande ce que tu veux, en te vouvoyant. Tu lui répètes que tu n’en peux plus, que tu n’as pas de papiers, plus de travail. Que t’es fatigué, que tu ne sais plus où aller, que tu veux «  rentrer ». Il te regarde en silence un instant.

« C’est pas la forme, hein ? » « Comment ? », tu lui réponds. Il se lève, attrape son blouson sur le dos de sa chaise, il te dit « allez, suis-moi, on sort ». Tu le regardes sans bouger, étonné. Tu remarques qu’il vient de passer au tutoiement, et ça ne te plaît pas, même si tu as l’habitude, depuis le temps...«  Allez, viens, on sort, je te dis ». Tu te lèves, le suis. Vous redescendez l’escalier, traversez une grande pièce pleine de policiers en uniforme. Il y a des bancs, et deux jeunes menottés dessus. Les policiers rigolent entre eux comme s’ils n’étaient pas là. Il se dirige vers une petite porte, l’ouvre. Elle donne dehors. Il te tient la porte. «  Allez, viens, je te dis ». Tu suis.

Il prend à gauche. Il recommence à pleuvoir. Il y a un café au coin de la rue. Il s’arrête, ouvre la porte, te fait entrer, désigne une table. «  Assieds-toi là. Tu veux boire quoi ? ». Tu bredouilles «  un café ». Il commande une bière et un café, s’assied en face de toi. Te regarde dans les yeux.

«  Alors, raconte » il te dit. En te regardant dans les yeux et en se penchant vers toi « Tu veux que je t’arrête et que je te fasse expulser, c’est bien ça, que tu me dis ? Pourquoi ? Allez, raconte. Ca fait combien de temps que t’es là ? »

Tu racontes ton histoire, en résumant. Tu lui dis ta lassitude, ton désespoir. Il écoute en sirotant une bière. Toi, ton café refroidit intact dans sa tasse, la mousse jaune se fige doucement. Tu termines ton récit.

Silence. Il relève la tête, te souris. « Ecoute, moi, je réexpédie pas les gens comme ça, quand ils font rien d’illégal... je veux dire, rien... de mal. T’as un coup de blues. Il fait froid, il pleut, ça aide pas. Mais tu vas pas gâcher presque 10 ans ici, 10 ans de combat pour t’en sortir parce qu’il pleut ! » Il te regarde dans les yeux, il sourit doucement. Il a vraiment l’air gentil, brusquement. Tu te méfies. Il continue : «  Voilà ce que tu vas faire ». Il sort un carnet de sa poche, arrache une feuille, écrit en te parlant. « Tu vas aller à la mairie, et tu demandes à voir très vite, en disant que c’est urgent, la secrétaire de M. Garand. C’est un adjoint au maire. Il aide les sans-papiers de la commune. Tu dis que tu viens de la part du RESF de la ville, ça aidera. Eux aussi, ils aident les gars comme toi. Je te donne leur N° d’urgence, où et quand ils se réunissent. Si tu peux pas avoir de rendez-vous tout de suite, tu les appelles. Ces gens-là, ils vont t’aider. Moi, je peux rien faire pour toi. Sauf te dire d’y aller maintenant. » Il te tend le papier. «  Pour la mairie, tu prends à droite en sortant du café, et la première à gauche. C’est tout près. Allez, hop ! Vas-y. Et tiens le coup ». Le papier dans la main, tu le regardes, hésitant. Déboussolé. Tu ne bouges pas. Il fait un geste de la main qui veut dire « va-t-en ». « Allez, vas-y, maintenant. Tire-toi. Et bonne chance »

Tu te lèves et sors du bar. Tu te retournes pour le regarder. Il te fait un clin d’œil et un geste de la tête pour te dire de partir. Tu hésites. Tu ne sais pas si tu dois lui dire merci. Tu fais un «  oui » hésitant de la tête en le regardant. Il te répond par le même hochement en fermant les yeux.

Un silence. Tu me regardes. « Tu crois qu’il a eu raison ? » me demandes-tu.

- Je ne sais pas, Moussa. Tu as vu Garand, il t’a envoyé vers nous parce que tu habites Paris. On va t’aider aussi, voir comment on peut constituer ton dossier, ce que tu as comme preuves de présence... Je vais t’expliquer tout ça. Et on va prendre contact avec les gens du RESF de ton lieu d’habitation. Rien n’est encore gagné, je ne peux rien te promettre. Simplement, maintenant, t’es plus tout seul. Tu vas rencontrer des gens qui vont t’aider, d’autres africains ou étrangers dans la même situation que toi. Il va falloir continuer à te battre. Mais tu sais, à plusieurs, c’est beaucoup plus efficace. Bon, je t’explique de quoi on a besoin... »

On aurait aimé terminer ce récit par « Aujourd’hui, Moussa a des papiers. Il a trouvé un travail, un logement, il est même tombé amoureux, et son sourire illumine nos réunions »

Mais depuis, «  Moussa » n’a toujours pas obtenu de papiers. Son dossier n’est pas bon, il travaille comme et quand il peut. La galère continue. Il vient à toutes nos réunions, toujours triste et discret, pour nous dire que rien ne bouge, qu’il n’a ni travail ni logement fixe, ni argent, qu’il n’en peut plus.

Les contes de Noël sont souvent décevants, quand ils se frottent à la réalité du monde des «  adultes », de leurs lois, et de leurs ministres de l’intérieur et/ou de l’immigration. Ni un OPJ humain, ni un élu engagé, ni un RESF ne feront jamais un Père Noël parfait... Mais un peu de soleil dans le cœur, un peu de chaleur humaine, ça fait quand même du bien quand il fait si gris et froid dehors.

Brice H. (RESF IdF)

* Bien évidemment, tous les noms ont été changés, les lieux non précisés ni reconnaissables. Même s’ils sont « mis en scène », les faits et leur enchaînement, tels que décrits dans ce texte sont bien réels. Ils se sont déroulés dans une ville de banlieue parisienne fin décembre 2009.

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