Une tribune pour les luttes

En finir avec les bougnouleries !

par Saïd Bouamama, Abdellali Hajjat, Yamin Makri
sur oumma.com

Article mis en ligne le lundi 24 janvier 2005

source : oumma.com

Le samedi 11 décembre dernier, l’Assemblée accueillait en grandes pompes une cérémonie visant à mettre
en avant la réussite des « Français venus de loin ».

A l’initiative de cette bougnoulerie, le Haut Conseil à
l’Intégration avait pour objectif de rompre avec la vision de TF1, que le sens commun a intériorisé, du jeune issu de l’immigration en perpétuel échec.

Des prix ont été remis de la main des hauts représentants de l’Etat aux « français venus de loin » ayant réussi, malgré tous les obstacles liés à leur condition sociale, économique, et « ethnique », à s’élever gracieusement du sol poussiéreux, et jonché de seringues, d’une cité dortoir, vers les cieux plus cléments de la nouvelle intelligentsia indigène versée dans la culture d’entreprise et coltinée à tout ce qui a un peu de pouvoir, peu importe la couleur politique du détenteur. Ils ont été sélectionnés parmi la « crème des beurs » à travers le réseau des acteurs de l’intégration de France et Navarre, selon des critères assez obscurs : acceptait-on un héritier de l’immigration postcoloniale qui alterne les périodes de chômage et de travail intérimaire ? Ou une fille portant le voile ? Ou un immigré, usé par quarante années de travail pour le capitalisme français, survivant dans un foyer aux conditions sanitaires exécrables ? Ou encore une mère de famille, analphabète et parlant mal le français, mais qui a donné sa vie pour ses enfants ?

Même si ces gens, le commun des mortels issus de l’immigration postcoloniale vivant dans les cités,
avaient postulé, il semble peu probable qu’ils aient été sélectionnés. En quoi ces gens sont-ils moins
remarquables que l’élite indigène ? C’est parce que ces curiosités médiatiques suscitent tellement de surprise de la part des autorités, qu’elles ont ressenti le besoin de les exhiber en public : voyez braves gens, le modèle d’intégration à la française fonctionne encore et toujours ! A l’heure où tout le monde est accablé par l’échec de l’intégration à la française, il fallait bien une contre offensive pour faire durer l’illusion. On nous affirme publiquement, en filigrane : « Si ces « Français venus de loin » ont réussi, c’est que la société française n’est pas tellement inégalitaire, ségrégationniste et sexiste ; si, eux, ont réussi, c’est grâce à leur mérite ». En négatif, on comprend le sous-entendu de l’affaire : les discriminations sont
une affaire individuelle, si on veut on peut. Par une pirouette médiatico-politique, on renvoie la balle aux
dominé-es, la victime est coupable, le bourreau va le responsabiliser, le culpabiliser, l’éduquer, le civiliser, bref, l’intégrer.

On aurait pu croire naïvement qu’il s’agissait des prémisses d’une lutte volontaire contre les stéréotypes et représentations humiliantes qui stigmatisent le jeune-arabe-intégriste-antisémite-violeur-voleur etc. Mais il n’est rien. Par le mécanisme en négatif de ce type de cérémonie, ces représentations sont confortées,
confirmées par les hautes autorités de l’Etat. Le jeune est toujours dans sa cité, le ministre est toujours
dans son palais, le bougnoule de service est toujours dans la chambre de bonne. Cette mise en scène ne
révèle finalement pas un aspect inconnu des populations issues de l’immigration. Elle révèle la crise de l’Etat face aux héritiers de l’immigration. L’immigration postcoloniale, du fait de son origine coloniale (et
non à cause d’une culture présumée ou de l’Islam), dérange profondément le socle sur lequel s’est fondée
la nation française, forgé par la Révolution française et conforté par la Troisième République et l’Empire :
celui de l’homogénéisation culturelle. Des récents travaux scientifiques ont montré la caducité et l’hypocrisie de l’opposition entre modèle français d’intégration et le modèle « communautaire » (allemand,
étasunien, anglais, selon l’humeur du moment). Toutes les nations se sont formées autour de l’unicité
culturelle.

L’immigration postcoloniale pose problème pour l’Etat français du fait de la persistance du rapport colonial
dans la France d’aujourd’hui. Ce rapport de domination est au cœur de la crise politique et culturelle, mais
la pensée d’Etat préfère l’éviter, soit en agitant l’épouvantail de l’intégrisme musulman, soit en exhibant la nouvelle élite indigène pour justifier la domination culturelle : la pathétique cérémonie à laquelle la France vient d’assister relève de cet aveuglement. On ne pourra pas inventer une mémoire et une société
communes sans la remise en cause radicale de la construction nationale française en posant la question
suivante : sur quoi fonder notre vivre ensemble ? La réponse ne peut pas être la culture au sens large au
risque de tomber dans la logique du choc des civilisations. Peut-être est-il trop demandé à la société française de faire une telle remise en question ?

Néanmoins il s’agit de la seule alternative aux dérives
ségrégationnistes et intégrationnistes, modalités, opposées en apparence, mais liées en réalité à la même
idéologie : l’impérialisme culturel.

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