Une tribune pour les luttes

Communiqué commun

Monde arabe : quel printemps pour les femmes ?

« 20 mesures pour l’égalité »

Article mis en ligne le lundi 12 mars 2012

Les femmes, aux côtés des hommes, ont été actrices des mouvements contestataires qui ont secoué le monde arabe en 2011 demandant l’avènement de sociétés démocratiques fondées sur la liberté, l’égalité, la justice et le respect des droits humains. Elles ont, comme les hommes, payé et continuent de payer dans plusieurs pays, le prix fort pour cet engagement. Elles devraient aujourd’hui pouvoir participer pleinement à la vie politique de leur pays. En effet, la participation égale des hommes et des femmes dans toutes les sphères de la société demeure une condition essentielle pour la démocratie et la justice sociale, revendiquées par tous les manifestants.

Les révolutions et les mouvements de contestation représentent de véritables opportunités pour faire évoluer les droits des femmes dans des pays où semblait régner un ordre immuable. Cependant, les événements récents montrent qu’il faut rester vigilant. En effet, les femmes font face à des risques de confiscation d’une révolution qui était aussi la leur. Alors que tous les efforts se focalisent aujourd’hui sur la chute des régimes et le démantèlement des anciens appareils d’État, les revendications relatives aux droits des femmes ont tendance à être marginalisées. Or, l’histoire récente nous rappelle douloureusement que la présence massive des femmes dans l’espace public pendant les révolutions ne leur garantit en aucun cas un rôle dans la vie politique. Au contraire, ces moments d’effervescence peuvent même conduire à un véritable recul de leurs droits.

Si la situation des femmes varie selon les pays concernés, les menaces convergent. Les femmes sont aujourd’hui confrontées à des tentatives d’exclusion de la vie publique par certains acteurs de la transition et à des discriminations et des violences de la part de groupes extrémistes, ou des forces de sécurité le plus souvent en toute impunité. Dans ce contexte de transition, où l’on observe déjà une montée en puissance des forces conservatrices, il est plus que jamais nécessaire de prendre des mesures pour consacrer l’égalité entre hommes et femmes, fondement indispensable d’une société démocratique.

Les organisations signataires de cet appel demandent aux autorités nationales et aux parlements de mettre en œuvre les « 20 mesures pour l’égalité » qui suivent.

Elles appellent également les acteurs de la communauté internationale à soutenir la mise en œuvre de ces mesures en soutenant les mouvements nationaux et régionaux de défense des droits des femmes et les organisations de la société civile, en incluant systématiquement les droits des femmes dans les dialogues politiques bilatéraux et/ou multilatéraux avec les pays concernés ; en incluant systématiquement la dimension genre avec des objectifs et des indicateurs spécifiques dans tous les programmes de coopération, quel que soit le secteur..

« Les 20 mesures pour l’égalité »

1 Sur la participation des femmes à la vie politique et publique
2 Sur les réformes constitutionnelles et législatives
3 Sur les violences à l’égard des femmes
4 Sur l’éducation, l’emploi et la santé
5 Sur la mise en œuvre des instruments internationaux de protection des droits humains universels
6 Premiers signataires

Sur la participation des femmes à la vie politique et publique

Dans les pays aujourd’hui en transition, les femmes se trouvent marginalisées, voire exclues de la vie politique. En Égypte, aucune femme n’a intégré les deux Comités chargés de rédiger la nouvelle constitution et une nouvelle loi a abrogé les mesures qui garantissaient la représentation minimum des femmes au Parlement. Les femmes n’ont obtenu que 2% des sièges lors des élections. En Libye, la loi électorale adoptée par le Conseil national de transition (CNT) ne prévoit aucun quota de représentation des femmes au sein des nouvelles instances élues. Au Maroc, une loi adoptée en octobre 2011 a établi un quota de seulement 15% de femmes et seule une femme a été nommée dans un gouvernement de 30 ministres (contre 7 dans le précédent gouvernement). En Tunisie, le gouvernement composé de 41 membres ne compte que 3 femmes.

Nous appelons les autorités nationales à :

1. Garantir l’accès des femmes à toutes les fonctions politiques

2. Adopter des lois et politiques instaurant la parité hommes-femmes, ou au minimum des quotas d’au moins 30% de femmes au sein des instances de décision politiques et des assemblées élues.

3. Assurer la participation effective des femmes aux élections au sein de l’administration électorale et durant le déroulement des scrutins.

4. Mener des campagnes de sensibilisation civique pour expliquer aux femmes leurs droits en tant qu’électrices et candidates, le processus électoral, le scrutin, le bulletin de vote, etc.

5. Adopter des mesures visant à augmenter la représentation des femmes au sein des instances judiciaires.

Sur les réformes constitutionnelles et législatives

Bien souvent les droits des femmes sont utilisés comme monnaie d’échange par les autorités nationales pour apaiser les forces les plus conservatrices et se maintenir au pouvoir. En Libye, le président du Conseil national de transition (CNT), tout en annonçant la fin du régime de Kadhafi, déclarait que la polygamie serait désormais autorisée et le divorce interdit.

En Tunisie, plusieurs représentants du gouvernement issu des élections du 23 octobre 2011 ont proposé dans leurs déclarations, l’adoption de dispositions qui porteraient atteinte aux droits des femmes.

Nous appelons les autorités nationales à :

6. Inscrire dans leur constitution, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’interdiction de toute forme de discrimination à l’égard des femmes.

7. Abroger toutes les dispositions législatives discriminatoires à l’égard des femmes, en particulier dans le domaine de la famille : mariage, divorce, tutelle, garde des enfants, héritage, de la transmission de la nationalité au conjoint et aux enfants et de la capacité juridique ; et assurer leur mise en conformité avec les instruments internationaux, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW).

Sur les violences à l’égard des femmes

Au cours des révolutions et soulèvements de 2011, de nombreux rapports ont fait état de violences visant spécifiquement les femmes. Ces violences auraient été commises par des milices, des membres des forces de police, des forces armées et par les manifestants eux mêmes. En Syrie, des femmes ont été enlevées par des éléments à la solde du régime dans le seul but de semer la terreur au sein de la population. Plusieurs de ces femmes auraient été violées. En Libye, le viol a été utilisé comme arme de guerre et la stigmatisation des victimes est telle qu’elles sont condamnées au silence. En Égypte, les violences sexuelles se sont multipliées à l’encontre des femmes présentes dans les manifestations et plusieurs manifestantes ont été forcées par l’armée à subir des «  tests de virginité ».


Nous appelons les autorités nationales à :

8. Adopter des dispositions législatives sanctionnant toutes les formes de violences à l’égard des femmes et notamment les violences domestiques, les violences sexuelles et le harcèlement sexuel.

9. Mettre en place des structures d’accueil et des services de soutien médical et psychologique adéquats pour les femmes victimes de violences.

10. Lutter contre l’impunité de tous les auteurs de violences commises à l’égard des femmes en assurant la poursuite et la sanction de ces crimes.

11. Garantir un accès plein et entier des femmes à la justice, notamment en assurant l’accès à l’assistance juridique et en établissant des voies de recours efficaces.

12. Assurer la formation du personnel de la justice (police, magistrats, avocats) à la mise en œuvre des dispositions législatives sanctionnant les violences à l’égard des femmes et à la prise en compte spécifique des victimes de ces crimes.

13. Prendre des mesures préventives, notamment des programmes d’information et d’éducation pour éliminer les violences à l’égard des femmes.

Sur l’éducation, l’emploi et la santé

Les revendications sociales et économiques ont été au cœur des mouvements de contestation. Les femmes sont les premières touchées par le chômage et la précarité.

Nous appelons les autorités nationales à :

14. Etablir des politiques pour assurer l’accès des filles et des femmes à l’éducation et lutter contre l’illettrisme ;

15. Adopter des mesures législatives et des politiques visant à réduire le taux de chômage particulièrement élevé des femmes, à garantir que les femmes et les hommes reçoivent un salaire égal pour un travail égal, lutter contre la division du travail fondée sur le genre et mettre en œuvre toutes les mesures afin que les femmes aient un accès égal aux ressources économiques, y compris dans les zones rurales ;

16. Promouvoir la représentation des femmes au sein des instances de prise de décision des syndicats.

17. Renforcer les mesures visant à améliorer l’accès des femmes et des filles à des services adéquates de santé et plus particulièrement dans le domaine de la santé reproductive.

Sur la mise en œuvre des instruments internationaux de protection des droits humains universels

Si la quasi-totalité des Etats du monde arabe a ratifié la CEDAW, la majorité y a émis des réserves qui vont à l’encontre du principe même de la non-discrimination. Par ailleurs, les dispositions de cette convention sont largement bafouées.

Nous appelons les autorités nationales à :

18. Lever toutes les réserves à la CEDAW.

19. Ratifier l’ensemble des Conventions internationales relatives aux droits des femmes, notamment le Protocole facultatif à la CEDAW.

20. Coopérer avec les mécanismes des Nations unies de protection des droits des femmes (notamment le Comité CEDAW, le Groupe de travail sur les lois et pratiques discriminatoires à l’égard des femmes et la Rapporteur spéciale sur les violences à l’égard des femmes) et mettre en œuvre leurs recommandations.

Premiers signataires

Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

Voice of Libyan Women

Bahrain Center for Human Rights (BCHR)

Bahrain Human Rights Society (BHRS)

Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR)

Syrian Organization for Human Rights (Sawasiah)

Coalition of Defenders of Justice for Syria

Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM)

Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH)

Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH)

Human Rights Information and Training Center - Yémen (HRITC)

Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)

Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH)

Collectif des familles des disparus en Algérie (CFDA)

Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD)

Retour en haut de la page

Vos commentaires

  • Le 9 mars 2012 à 11:01, par Christiane En réponse à : Appel des femmes arabes pour la dignité et l’égalité

    http://www.lemonde.fr/journee-de-la...

    Nous, femmes arabes impliquées dans les luttes pour la démocratie, la dignité et l’égalité, nous, actrices au premier plan des changements exceptionnels que connaît le monde arabe, tenons à rappeler à l’opinion publique que les femmes sont en droit de bénéficier au même titre que les hommes du souffle de liberté et de dignité qui gagne cette région du monde.

    Depuis toujours, les femmes mènent des luttes pour obtenir des acquis, plus ou moins importants selon les pays. Mais ces acquis demeurent en deçà de leurs aspirations et font de leur statut un des plus reculés dans le monde.

    Les violences demeurent répandues tant dans l’espace public que privé et très peu de mesures sont prises pour mettre fin à ce fléau.

    Les codes de la famille ne sont dans la plupart des pays arabes que des textes instituant l’exclusion et la discrimination.

    Les autres lois que sont le code de la nationalité, certains codes civils et les lois pénales ne font que renforcer ces discriminations. Ces lois violent les droits les plus élémentaires et les libertés fondamentales des femmes et des fillettes par l’usage de la polygamie, le mariage des mineures, les inégalités en matière de mariage, de divorce, de tutelle sur les enfants ou encore l’accès à la propriété et à l’héritage.

    Certaines lois permettent même à la parentèle masculine de tuer des femmes et des filles avec le bénéfice de circonstances atténuantes dans le cadre des crimes d’honneur.

    Si la majorité des pays arabes (à l’exception du Soudan, et de la Somalie) a ratifié avec plus ou moins d’empressement la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw), adoptée par l’ONU en 1979, ces ratifications sont restées sans impact réel sur le statut et la condition des femmes.

    Aujourd’hui que le monde arabe est en phase de construction démocratique pour la consolidation de l’Etat de droit et des droits humains, nous considérons que si l’égalité ne peut se réaliser sans la démocratie, la pleine jouissance de cette démocratie ne peut se réaliser sans une égalité totale entre les hommes et les femmes.

    C’est pourquoi nous appelons les Etats, les partis politiques et la société civile dans ces pays à tout faire pour que la dignité des femmes et leur égalité avec les hommes ne soient pas une fois de plus sacrifiées au nom de prétendues priorités.

    Aucune démocratie en effet ne peut se construire au détriment de la moitié de la société. Ensemble nous avons fait notre présent, ensemble nous construirons un avenir meilleur.

    Nous exigeons :
    - la préservation des acquis, l’égalité totale et effective et l’inscription des droits des femmes dans les constitutions ;
    - les mesures législatives et administratives afin d’éradiquer les violences faites aux femmes ;
    - la ratification et le respect de la Cedaw sans réserve dans son esprit et dans toutes ses implications concrètes ;
    - l’adoption de lois qui protègent les femmes des inégalités sociales et économiques, des discriminations, en particulier familiale ;
    - les mesures d’action positive afin d’assurer l’accès des femmes aux postes de décision et à leur pleine participation à la vie politique et associative ;
    - la dénonciation des voix qui s’élèvent ici et là pour discriminer les femmes au nom d’une lecture rétrograde des préceptes religieux ainsi que celles qui voudraient leur interdire une participation pleine et entière à une vie digne et respectueuse des droits humains ;

    - Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), tunisienne ;

    - Bochra Belhadj Hmida, avocate, cofondatrice et ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, tunisienne ;

    - Shahinaz Abdel Salam, blogueuse et activiste, égyptienne ;

    - Nawal El Saadawi, médecin psychiatre, écrivain et féministe historique, égyptienne ;

    - Tahani Rached, réalisatrice, égyptienne ;

    - Samar Yazbek, écrivain, syrienne ;

    - Azza Kamel Maghur, avocate internationale et membre du Conseil Libyen des Droits de l’Homme, libyenne ;

    - Wassyla Tamzali, féministe et essayiste, algérienne.

  • Le 15 mars 2012 à 13:14, par Christiane En réponse à : L’Appel du 15 mars

    Cet Appel du 15 mars 2012 a été rédigé par Tourya Guaaybess, Universitaire et Jean-Jacques Louarn, journaliste.

    ***

    « Nous avons été surpris, le matin du 8 mars, d’entendre sur France Inter l’actrice Dominique Blanc, annoncée comme un évènement avant son passage à l’antenne, lire un « Appel » emphatique comme aurait pu le faire le Général aux moments les plus graves de l’Histoire : « Nous, femmes Arabes » .

    Nous avons été surpris d’entendre cet appel déclamé ici et en français, appel qui ne veut pas voir qu’il y avait sur nos écrans, dans les foules révolutionnaires, femmes et hommes mêlés dans un projet commun, appel qui méconnaît surtout la réalité du «  monde arabe », lu encore une fois à travers les lunettes faussées d’un Islam oppresseur. Nous sommes méfiants, à la lecture de l’histoire récente, vis-à-vis d’initiatives catégorielles qui confinent au mieux à une certaine naïveté, au pire à une bienveillante condescendance.

    8 femmes, originaires de 5 pays arabes, sont-elles suffisamment représentatives de plus de 150 millions de femmes, vivant dans une vingtaine de pays, pour que leur appel dramatique soit ainsi relayé ? Nous pensons que cet appel de 8 femmes et sa réception médiatique ne peuvent susciter qu’incompréhension, et probablement rejet au sein d’opinions publiques arabes en pleine mutation.

    Quitte à lancer des appels, on pourrait s’enhardir et donner des leçons à tous les Etats du monde, la journée de La Femme est universelle : quid des femmes en Chine, en Inde, en Iran ou même en bas de chez nous, où tous les jours et demi une femme meurt sous les coups de son compagnon ? Pourquoi cette obsession sur le statut de la femme arabe ? Placée – toujours par les mêmes – en victime, infantilisée, au nom de qui on parle toujours. Cet appel, relayé par les médias français les plus en vue, France Inter, le Monde, pour être transmis à la Présidence de l’Union Européenne, est confiscatoire pour toutes les femmes arabes qui souhaiteraient probablement qu’on ne les utilise pas et qu’on les laisse poursuivre leur combat ô combien difficile.

    Le « monde arabe » pas plus que la France ne sortent grandis des discours affectés et totalisants d’un appel mêlant bons sentiments et erreurs d’analyse. Si l’histoire récente était un guide, elle nous suggérerait que souvent lorsqu’on a invoqué le droit des femmes dans un pays musulman, cela a fini par servir des raidissements politiques, voire des conflits qui, poursuivant d’autres buts, n’ont fait qu’aggraver leur sort d’une façon ou d’une autre.

    Nous, citoyens, soutenons sans réserve le combat des citoyens arabes pour leur liberté, pour la mise en place par eux-mêmes de systèmes politiques reflétant leurs aspirations, et nous pensons que la meilleure aide qu’on puisse leur apporter est :

    - de favoriser une meilleure connaissance du monde arabe, de son histoire et de sa richesse,

    - de lutter contre les clichés assimilant le monde arabe à l’islam, et l’islam à l’oppression de la femme,

    - de lutter contre toute forme de soutien catégoriel, qui ne fait qu’accentuer les divisions et brouiller les trajectoires de sociétés en mouvement,

    - d’inciter nos gouvernants à mener des politiques claires, fermes et stables pour le respect, par tous les Etats, de la Déclaration des Droits de l’Homme et de la Femme, ainsi que de la charte et des résolutions des Nations Unies. »

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Communiqués c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 4730