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Fondation Copernic

Immigration : la déraison d’Etat

Par Caroline Mecary, avocate, co-présidente de la Fondation Copernic et Evelyne Sire-Marin, magistrat, membre de la Fondation Copernic

Article mis en ligne le vendredi 23 mars 2012

22.03.2012

Le 3 mars 2012, Nicolas Sarkozy a prononcé à Bordeaux un discours dans la droite ligne (ou plutôt dans l’extrême-droite) de ses précédents discours de campagne et pour employer un langage qui lui est cher, il a récidivé le 6 mars sur France 2.

Outre la proposition de mettre des étiquettes sur la viande Halal ("c’est une affaire de civilisation, la nôtre"), Nicolas Sarkozy s’est une fois de plus attaqué aux étrangers : "Je veux dire, pour que les choses soient bien claires, que ceux qui viennent avec l’intention de ne pas respecter nos lois et nos mœurs, de ne pas respecter la propriété d’autrui, de ne pas envoyer leurs enfants à l’école, qui ne sont disposés à faire aucun effort sérieux ni d’intégration ni d’assimilation, ne sont pas les bienvenus en France. On ne peut être les bienvenus en France si la seule justification de sa volonté c’est d’obtenir des prestations sociales."

Si l’année 2011 fut celle de la mise en œuvre du discours de Grenoble du 30 juillet 2010 du président Sarkozy (destruction de camps de Roms, répression renforcée de l’immigration), l’année 2012 montre que les digues sont franchies au point que l’on ne sait plus jusqu’où iront les atteintes aux droits élémentaires des personnes étrangères en France du candidat Sarkozy. Les débats sur la viande halal, le droit de vote des étrangers aux élections locales, et les propos d’Arno Klarsfeld, président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration l’illustrent : sans complexe, il a proposé, le 12 mars 2012 sur BFM TV, de construire un mur de 130 km entre la Grèce et la Turquie, comme celui qui a été érigé entre les Etats-Unis et le Mexique, pour contrer l’immigration illégale... Un tel positionnement est effectué à dessein pour diviser, opposer des groupes sociaux les uns autres, et ne jamais traiter les questions qui préoccupent chaque citoyen : l’emploi, le logement, la justice. C’est un positionnement profondément délétère car il morcelle le vivre ensemble et préfigure une société d’apartheid social.

D’abord les étrangers condamnés ont subi depuis des années des doubles peines, à la fois emprisonnés et interdits de séjourner en France.

Puis ceux qui étaient sans papiers, qui travaillaient, payaient des impôts, ont fait l’objet d’arrestations policières massives, dans le cadre de la politique du chiffre. Interpellations dans les gares, dans les foyers d’hébergement, placements de plus en plus longs en centre de rétention (45 jours depuis la loi Besson-Guéant du 16 juin 2011), vies brisées. Car il faut bien atteindre "l’objectif" de 35 000 expulsions annuelles fixées par le ministre de la "rafle et du drapeau", comme l’appelle RESF (le Réseau éducation sans frontière). Et cela sans états d’âme, malgré la récente condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’homme qui estime inhumain et dégradants de placer des enfants en rétention.

C’est ainsi que Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministre de l’intérieur n’hésite pas à soutenir : "Les enfants ne sont pas placés en centre de rétention, ils accompagnent leurs parents." On se demande ce qu’il aurait dit, Pierre-Henry, il y a juste 70 ans, à Drancy ou à Pithiviers...

Cette politique de la peur des étrangers voleurs, faussaires, paresseux, profiteurs, c’est bien exactement la même que celle de Marine Le Pen, dont le programme ne contient pas d’autres propositions que celui de Nicolas Sarkozy, si ce n’est l’arrêt total de tout regroupement familial et l’impossibilité de toute régularisation de sans-papiers.

Tandis que Mme Le Pen veut réduire de 200 000 à 10 000 l’immigration légale, M. Sarkozy veut "réduire le nombre des étrangers sur notre territoire à 100 000" et n’est ce pas Claude Guéant qui proposait, le 10 janvier 2012, de revenir au niveau des années 1990. L’original ou la copie ? Depuis neuf ans, quatre lois laminant les droits des étrangers ont été votées. Et ce sont maintenant les conjoints étrangers de français qu’il faut éliminer, portant une atteinte inédite à la liberté du mariage, tandis que les naturalisations ont déjà baissé de 30 % l’année dernière.

Après les étrangers, la sécurité et les délinquants. Comme un disque rayé, Nicolas Sarkozy répète les mêmes vieilles recettes électorales que pendant la campagne présidentielle de 2007 : les victimes pourront faire appel de la peine de l’accusé, les mineurs de plus de 16 ans seront jugés comme les adultes par les tribunaux correctionnels, la récidive sera élargie et encore davantage punie (ce sera donc une cinquième loi en la matière...), et les libérations conditionnelles réduites. On sait pourtant que 60 % des sortants de prisons récidivent, alors que le taux de récidive est de 12 % seulement pour les personnes en conditionnelle.

Depuis ces promesses, cinq ans se sont écoulés et force est de constater la totale inefficacité de ces gesticulations sécuritaires : les violences contre les personnes ne cessent d’augmenter depuis dix ans malgré trente-deux lois policières, judiciaires, carcérales. Les prisons débordent, sans que la consternante affaire d’Outreau n’y ait rien changé, et on vient de voter la construction de 20 000 places supplémentaires.

Même les policiers sont excédés par la dégradation de leurs relations avec la population et n’hésitent plus à critiquer la politique du chiffre et tout répressif, politique à court terme, dont l’unique objet est évidemment électoraliste.

Et malgré ce bilan, qui est son boulet, Nicolas Sarkozy continue, dans cette campagne électorale, de ressasser ses litanies de garde-champêtre, comme si la pénalisation de la misère pouvait résoudre le chômage, la précarité et le mal-logement. Comme si, en chassant les étrangers, la France devenait, cette fois pour les français, un vaste et désespérant camp de rétention.

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