Une tribune pour les luttes

CQFD n°98 (mars 2012)

Florange
Acier trompé

Article mis en ligne le mercredi 25 avril 2012

http://cqfd-journal.org/CQFD-no98-mars-2012

par Gilles Lucas, illustré par Placid

mis en ligne le 25/04/2012

Sauver le Made in France, qu’ils disaient ? Les métallos en grève de Florange voient défiler sans illusion les candidats en campagne. Mais ils ont des idées : « ArcelorMittal a racheté Gandrange pour un euro. Nous aussi, on a un euro : on le lui donne ! » Chiche ?

« Nous allons être le cauchemar du gouvernement », promettaient dès le début de l’année les sidérurgistes de Florange, une des dernières villes industrielles du bassin lorrain. Au chômage technique depuis novembre, ils ne croient plus aux propos de leur taulier, ArcelorMittal, qui parle d’une réduction temporaire d’activité dans l’attente de beaux lendemains en acier. Pour eux, l’affaire est pliée : derrière les propos évasifs de la direction, c’est la fermeture de ces derniers hauts-fourneaux qui est programmée. Réunis en intersyndicale, les organisations ouvrières ont donc décidé, à partir du 20 février, de passer à l’action. Occupation des locaux de la direction, arrêt des expéditions, barrages à l’entrée des bâtiments administratifs, blocage total du site et des liaisons ferroviaires… _ «  Pour décider de ces actions, on se réunit en intersyndicale puis on présente les propositions lors des assemblées générales qui ont lieu dans la salle du conseil d’administration ou dans une salle que nous prête la mairie. Les décisions sont votées à main levée », précise à CQFD Michel, un syndicaliste de la CFDT. « Le problème est que Mittal fait ce qu’il veut. Il parle de baisse de la demande d’acier pour justifier l’arrêt des hauts-fourneaux. C’est faux. Nous savons que sur les sites de Brême en Allemagne et de Gand en Belgique, les gars sont sous pression. Ces hauts-fourneaux tournent à 98 % de leur capacité. Ce qui exige un travail énorme. Cette activité, intensive et dangereuse pour le personnel comme pour les installations, devrait être partagée avec les autres sites. Tout le monde aurait du travail, et les collègues allemands et belges pourraient souffler », poursuit un responsable de la CFDT.

Au moment où ArcelorMittal ne cesse d’évoquer une baisse de la demande qui provoquerait la réduction de la production, il a reconnu avoir acheté 60 000 tonnes de brame – pavé d’acier de vingt à trente centimètres par Placidd’épaisseur – à la société russe Severstal. « Avec l’acier russe, il peut gagner de l’argent sans investir. Il crée un climat qui laisse croire que l’acier est rare : ce qui lui permet d’en augmenter le prix. Même s’il étrangle ses clients, notamment ceux du secteur automobile, cela ne lui pose pas problème puisque le but n’est qu’à court terme : celui d’engranger des bénéfices. Le futur n’a pour lui aucune importance », précise un membre du comité d’entreprise. Côté chiffres, la démonstration est sans ambiguïté : en 2011, les revenus d’Arcelor ont augmenté de 20 %, grâce essentiellement à la hausse artificielle des prix. Le 7 février 2012, le titre de cette entreprise présentait le meilleur score du Cac 40… C’est grâce à cette logique strictement financière qu’ArcelorMittal, tout en promettant un hypothétique futur, s’engage dans la voie de l’abandon de son site de Florange, entraînant la mise au chômage de plus de 5 000 salariés, et impactant la vie de plus de 20 000 personnes dans la région. La solution ? «  Il faut faire une loi qui interdise le départ d’un industriel tant qu’aucun repreneur n’a été trouvé. Il doit laisser en l’état l’outil de travail. À l’État, en lien avec les entrepreneurs et les partenaires sociaux, de faire appliquer cette loi. Pour ce qui nous concerne Tatasteel et Thysenkrup pourraient être intéressés », avance le gars de la CFDT du comité d’entreprise. Fabrice, secrétaire de la CGT, balaie d’un revers de main cette proposition de loi : « Il faut des droits nouveaux au sein même des comités d’entreprise. Les salariés doivent avoir véritablement la parole, pouvoir dire “non” et que leurs avis aient un vrai poids. Mittal a racheté Gandrange pour un euro. Nous aussi, on a un euro : on le lui donne. Il y a des gens parmi nous qui savent administrer des villes, et nous pouvons aussi gérer une entreprise. Ce sont les ouvriers qui ont organisé la Sécu en 1945… » En cette période de mendicité électorale, la valse des candidats sur leur site laisse les sidérurgistes de marbre. «  On est sympas. On les reçoit et on discute tant qu’ils répondent à nos questions. Tout va bien tant qu’ils ne cherchent pas à nous récupérer », explique Michel. « Quant à Sarko, s’il vient par ici… »

Le 27 février, le Président des riches avait annoncé avec fracas que l’État allait « mettre sur la table 150 millions d’euros pour sauver Florange » afin de permettre sur ce site le développement du projet Ulcos, dispositif destiné à récupérer puis enfouir le CO2 produit par les hauts-fourneaux. Le mauvais camelot s’était pris alors les pieds dans le tapis avec son mensonge à deux coups. Cette annonce d’apport de fraîche datait de plusieurs mois, et s’inscrit dans le processus de mise en conformité avec les règles environnementales européennes. Et surtout, le bonimenteur avait zappé le fait qu’une telle perspective est forcément liée à l’activité des hauts-fourneaux, et donc à l’émission de CO2, sans laquelle l’ensemble du projet est nul et non avenu. Pas bégueule, il n’aura pas hésité à récidiver le 1er mars en sortant une nouvelle liste de millions d’euros, s’engageant même au nom de monsieur Mittal lui-même à une reprise de l’activité au second semestre 2012, promesse démentie dans l’heure par l’industriel indien. Mais qu’importent les gesticulations d’un personnage mis aujourd’hui sous les feux de la rampe du pouvoir et des élections, avant qu’un autre ne lui succède ! « De toute façon, c’est tout le système qui est pourri. Tout cela, ce ne sont que des bouts de ficelle. À croire qu’on ne va pas pouvoir échapper à une révolution », confie un syndicaliste CGT de Florange…


Au sommaire du 99 (avril 2012)

http://cqfd-journal.org/Au-sommaire-du-99

Les articles sont mis en ligne au fil de l’eau après la parution du CQFD d’ensuite. D’ici-là, tu as tout le temps d’aller saluer ton kiosquier ou de t’abonner...

« Le sport est un urbanisme de combat » >Dossier. Tony Blair l’avait promis, les conservateurs l’ont fait. L’organisation des Jeux olympiques de Londres a accéléré le nettoyage des quartiers populaires de l’East End et l’éclosion, autour des stades et autres installations sportives, de zones urbaines vouées à la consommation et aux classes sociales à gros pouvoir d’achat. Dans les quartiers, beaucoup voient d’un mauvais œil l’effacement de leur convivialité et de leur mémoire historique. Reportage.

« Grèce : Les JO creusent la dette » >
Les propos de Jacques Rogge, président du Comité international olympique, seront bien insuffisants pour éroder l’enthousiasme sportif. « On peut franchement dire que les Jeux de 2004 [à Athènes] ont joué un rôle. Si vous regardez la dette extérieure de la Grèce, deux à trois pour cent peuvent être attribués aux Jeux », a-t-il déclaré dans la capitale hellénique le 27 décembre 2011.

« Gaffe à la charge de l’Éléphant » > Ne comptez pas sur une multinationale pour vous encourager à monter une coopérative ouvrière. Surtout si elle a en projet de délocaliser votre usine vers des contrées au dumping social plus sexy. Mais faut-il vraiment demander la permission ? Chez Fralib, on se demande.


« Dieu est un pilote de Rafale » >
« Nous ne sommes pas Dieu, nous ne sommes pas tout-puissants », s’emportait Rony Brauman en mars 2011 après que les premiers missiles occidentaux furent canardés sur la Libye pour, selon la résolution 1976 de l’ONU, « protéger les populations civiles ». L’ex-taulier de Médecins sans frontières se trompait. Tel un Dieu odieux, nous avons engendré tout un monde.


« Mal vivre tue » >
Fin mars, en Italie, deux maçons criblés de dettes se sont immolés par le feu, l’un à Bologne, l’autre à Vérone. En Grèce, dans ce pays qui en deux ans a vu doubler le nombre de suicides alors que le taux y était jusqu’alors le plus bas d’Europe, une pratique se répand : celle de s’enfermer dans sa voiture et de se précipiter dans un bassin portuaire. Le 5 avril au matin, sur la place Syngtama d’Athènes, un homme s’est tiré une balle dans la tête.

« Des villes en jeu » > Courir, sauter, franchir des murs, utiliser les reliefs, les immeubles, les obstacles, le mobilier urbain, à l’instar des héros du film Yamakasi, cela s’appelle faire du parkour. Ceux qui pratiquent ce genre d’activité s’autodéfinissent comme des traceurs. CQFD a donné la parole à l’un d’entre eux.


« Non létale, mon œil ! » >
Le 27 décembre 2007, quelques centaines d’étudiants manifestent contre la loi LRU dans les rues de Nantes. Arrivés devant le rectorat, après que certains d’entre eux ont réussi à écarter le grillage d’enceinte, ils pénètrent dans le parc qui entoure le bâtiment administratif. Le commissaire Monard, directeur départemental de la sécurité publique, envoie ses troupes composées de gendarmes mobiles, de flics cagoulés des Compagnies départementales d’intervention et de cow-boys de la Bac. Ils encerclent les manifestants et les repoussent à l’extérieur par un portail. Deux ou trois projectiles seraient alors partis depuis les rangs étudiants. Aussitôt, des policiers tirent des balles en caoutchouc à travers les grilles. Deux jeunes sont touchés en pleine tête. Un troisième perdra un œil.


« La tête dans le micro-ondes » >
Le populo est peut-être accro à son portable, mais qu’on lui plante une antenne relais au fond de son jardin, et le v’là qu’il s’inquiète et voit rouge. Quasi prêt à mener la fronde pour éviter de se manger un trop plein d’ondes.

« Mais qu’est-ce qu’on va faire de... Lorànt Deutsch » > Lunettes sur le nez, sweet à capuche, sourire sympathique, le p’tit gars Lorànt Deutsch affiche le style cool du type sorti du ruisseau, flâneur amoureux de Paris, ville à laquelle il dédicace son Métronome – L’Histoire de France au rythme du métro parisien (Éditions Michel Lafon, 2009). Encensé par les médias, ce bouquin s’est écoulé à un million cinq cent mille exemplaires, et va être adapté en documentaire pour France 5.


« Un petit Fukushima-sur-Manche ? » >
Le 6 avril 2012, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié un communiqué de presse tout à fait rassurant à propos de la situation concernant la centrale nucléaire de Penly, en Seine-Maritime. « [Ce matin] vers 7 heures, l’ASN a eu confirmation par EDF qu’il n’y avait plus de fuite dans la pompe primaire numéro un du réacteur numéro deux. Cet incident survenu sur la pompe n’a pas eu de conséquence sur l’environnement. L’ASN a provisoirement classé cet événement au niveau un sur l’échelle INES. »


« Pied-rouge, “idiot utile” ? » >
Jeunes français militants, engagés à gauche, ils ont rejoint l’Algérie à partir de 1962 pour aider le nouveau pays à se construire. Avant de plier bagage quelques années plus tard, désenchantés. On les appelle les pieds-rouges, et CQFD a rencontré l’un d’eux.

« L’ennemi est à l’intérieur » > Vaste programme ! Le 4 avril, le juge Thierry Fragnoli a été, à sa demande, dessaisi de « l’affaire Tarnac », au prétexte de « ramener de la sérénité dans ce dossier ». Non pas parce que, visiblement, l’instruction cède le délire tragique au ridicule : bidouillages des enquêteurs, exagération des faits, absence de preuves, manipulations malodorantes entre services de police, surenchères narcissiques d’hommes d’État et de fonctionnaires désireux de gagner des points de carrière… Mais parce que le juge anti-terroriste n’en pouvait plus, selon ses dires, de ces « campagnes de presse relayant des attaques personnelles ». Le pôvre !

« “Tenon” bon » > Chronique Les entrailles de Mademoiselle. Samedi 31 mars dernier, devant l’hôpital Tenon à Paris, des anti-IVG revêtus de robes rouges psalmodient des prières en latin et brandissent des crucifix ou des images de fœtus. Sur le trottoir d’en face, des passants attroupés regardent le groupe d’illuminés se livrer à leurs étranges rituels. Une habitante du quartier se plaint : « Ils sont là tout le temps, on n’en peut plus ! »


« À Barbès, un rêve part en fumée » >
Ahmed et Medhi, clandestins tunisiens, racontent leur histoire de vendeurs de clopes à la sauvette. Entre envie de « faire son trou à Paris » et rêves brûlés se dessine l’impasse d’une vie faite de galères quotidiennes, sur fond de chasse aux pauvres… Bienvenue à Barbès !


« Laurent Joffrin se foutrait-il ? » >
Chronique Rage dedans. Dans Le Nouvel Observateur (rires), cette semaine, le taulier, Laurent Joffrin, pique une monstrueuse colère contre « l’hebdomadaire mondialement connu The Economist », qui a eu, quelques jours plus tôt, l’à peine croyable effronterie de narrer que « la France » est à son avis « dans le déni des réalités économiques les plus élémentaires », et de lui dispenser une sévère leçon de capitalisme, du style, maintenant, les mangeurs de grenouilles, faut vous réduire la dépense publique, ou sinon vous allez finir comme des putains de Grec(que)s.

« Un infini chagrin » > Chronique Je vous écris de l’usine. Contrairement à la plupart des anciens de l’usine qui n’aspirent qu’à partir en retraite, il y a quelques énergumènes qui s’y refusent obstinément. C’est comme s’ils voulaient mourir sur scène, du moins dans l’atelier ou le bureau. Il y a toujours eu quelques cadres dirigeants qui se sentaient tellement indispensables qu’ils ne voulaient pas partir. Parce qu’ils avaient une pseudo-mission à terminer, pour ne pas laisser la place à un jeune loup aux dents longues, ou pour qu’on ne découvre pas des secrets qui auraient fait tache sur leur CV, même de retraité.

« Mitterrand et l’Algérie » > Les vieux dossiers. En ce temps-là, la prison située dans la partie haute de la casbah d’Alger s’appelait Barberousse, souvenir du célèbre corsaire à la botte de l’empire ottoman. On imagine l’effroi qu’un tel nom pouvait provoquer chez les prisonniers... En cette nuit du 19 juin 1956, Abdelkader Ferradj et Mohamed Ben Zabana marinent eux aussi sûrement dans l’effroi : au premières lueurs de l’aube, ce seront les deux premiers militants du Front de libération nationale (FLN) à être guillotinés. Leur exécution a été actée deux semaines auparavant par la chancellerie française. Le ministre de la Justice, un certain François Mitterrand, a refusé le recours en grâce des deux condamnés.

« Enhardir les esprits ! » > Chronique Cap sur l’utopie ! J’ai devant moi deux livres se flattant d’appeler au dépassement du capitalisme et de la logique productiviste. Survolons-les cauteleusement.

« Dans ta face » > Sardon, d’abord, c’est Vincent : rien à voir avec l’Internationale sardonique qui regroupait les bouffeurs de journalistes aux ordres et qui animait feus PLPL et le Plan B. Vincent Sardon, donc, petit-fils d’anarchiste espagnol et co-inventeur du fanzine Ego comme X. Rien à voir ? Quoique.

« L’action sociale, c’est nous ! » > Ils sont une petite dizaine à occuper deux mille mètres carrés habitables, avec un grand jardin, à quelques encablures du centre-ville de Marseille. Que demande le peuple ! De ne pas se faire expulser par le centre communal d’action sociale. Car, justement, ils en font, du social.

« Le Fric trop puissant » > À Marseille, les autorités sont sur les dents. Un mystérieux groupuscule d’encagoulés est sur le point de frapper un grand coup. Certains experts ont cru déceler la marque d’Al-Qaïda, d’autres la main de mafias corse ou serbo-croate… CQFD est entré en contact avec la cellule de propagande du Front des réfractaires à l’intoxication par la culture (Fric). Romanquête.

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