Une tribune pour les luttes

Lettre ouverte à M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, et M. Victorin Lurel, ministre des Outre-Mer, au sujet de la situation à Mayotte.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH).

Article mis en ligne le samedi 20 octobre 2012

Paris, le 17 octobre 2012

Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Monsieur le Ministre des Outre-Mer,

A Mayotte, les informations funèbres se succèdent et se ressemblent : 16 juillet, 7 morts dont 4
enfants ; 16 aout, décès d’un nourrisson au CRA après interception d’un kwassa ; le 8
septembre, 6 morts et 26 disparus ; le 8 octobre, 3 morts et 13 disparus dans un naufrage...
Devant une telle accumulation, le porte-parole du Haut commissariat des Nations unies aux
réfugiés (HCR) a réagi lors d’une conférence de presse à Genève, en constatant que ce
deuxième naufrage de kwassa porte à 109 le nombre de victimes en un mois, dont 69 décès par
noyade lors de naufrages au large des côtes de Mayotte pour 2012. Une telle intervention est
sans précédent.

C’est que pour le HCR « ce naufrage rappelle les risques encourus par des personnes
désespérées qui fuient la pauvreté, les conflits et la persécution. Comme en Méditerranée et
dans le golfe d’Aden, la mer entourant les îles de Mayotte est le théâtre de traversées
clandestines entreprises par des migrants et des réfugiés en quête de vie meilleure ou de
protection
 ». Et de rappeler que l’année dernière, parmi ces pauvres à la recherche d’un endroit
pour vivre, environ 1 200 demandes d’asile ont été déposées à Mayotte, soit 41 % de plus qu’en
2010, 90 % des demandeurs d’asile étant originaires des Comores.

Pourtant l’espoir existait d’un changement de politique, suscité par le rapport des sénateurs M.
Sueur, M. Cointat et M. Deplan, en juillet dernier, qui proposaient entre autre une modification
du visa dit « Balladur », dont l’effet sur les dangereux embarquements clandestins est avéré.
Mais cet espoir a été contredit quelques mois plus tard par les déclarations de M. Christnacht,
avant même qu’il ait déposé son rapport d’expertise. Il semble, Monsieur le Ministre de
l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, que vous ayez fait vôtre son seul point de vue
et n’ayez accordé aucun crédit au rapport des sénateurs.

Les naufrages vont donc continuer et les victimes s’ajouter aux victimes, puisque contrairement
à ce que semble avoir perçu M. Christnacht, il s’agit de survie pour certains de ces migrants, ou
pour d’autres de coutume ancrée dans des rapports anciens de géographie et de culture.

Ce faisant, le gouvernement va maintenir Mayotte dans une situation où ne règne pas la loi
commune de la République et les droits, un lieu où les pratiques sont dérogatoires. Il en
découle que les mesures adoptées par votre gouvernement – telle la circulaire sur l’interdiction
de retenir des familles dans les CRA et la fin du délit de solidarité – n’y seront pas appliquées.

La Ligue des droits de l’Homme, qui a comme responsabilité politique et morale de défendre
l’effectivité des droits, ne peut se satisfaire de l’existence de parcelles de la République où ne
s’applique pas le droit commun. Plus largement, nous refusons cette contradiction insupportable
qui consisterait pour la France à défendre l’universalité des droits partout dans le monde, sauf
dans certaines zones d’exception aux conséquences mortelles sur son propre territoire.

Nous souhaitons, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, que
vous preniez la mesure d’une situation aussi singulière, aussi dégradante pour notre pays, et que
vous acceptiez l’hypothèse qu’elle ne relève en rien d’une quelconque fatalité ou d’un effet des
risques encourus par toute personne qui «  prend la mer ». C’est pourquoi nous vous demandons
la mise en place de solutions respectueuses de la légitimité républicaine et des droits des
personnes. Ces solutions existent et les organisations et associations de défense de tous les
droits seraient à même de vous en exposer les logiques, pour peu que vous acceptiez de les
entendre.

Cette lettre sera rendue publique le vendredi 19 octobre 2012.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, en ma
haute considération.

Pierre Tartakowsky
Président de la Ligue des droits de l’Homme


Complément illustré :
Mayottte, l’île aux parfums... d’exception, reportage de jean-Michel Delage.

ccfd mayotte

Lire aussi sur le site de Mille Bâbords en utilisant le moteur de recherche situé dans la colonne de gauche les nombreux articles sur les Comores et Mayotte.

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