Une tribune pour les luttes

Bolkestein : la direction du PS trompe les français

Raoul Marc JENNAR

Article mis en ligne le mardi 15 mars 2005

Un texte de la direction du PS est intitulé « Pourquoi le traité est un rempart contre les dérives libérales type Bolkestein ? » Une fois de plus, cet argumentaire est un outil de désinformation. Il est destiné à tromper.

La direction du PS affirme que « la directive Bolkestein contredit, notamment, l’article I-3 qui prévoit que : « l’Union oeuvre pour...une économie sociale de marché qui tend au plein emploi et au progrès social...un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement...Elle promeut la justice et la protection sociales ».

Ce que la direction passe sous silence c’est ce que dit l’article 177 : « Aux fins de l’article I-3, l’action des Etats membres et de l’Union comporte l’instauration d’une politique économique () conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. » A 68 reprises dans le traité constitutionnel, le plein emploi, le progrès social, la justice et la protection sociales sont soumis au « respect d’une économie de marché ouverte ou la concurrence est libre et non faussée . » C’est-à-dire non pas à une économie de marché comme nous l’avons connue depuis la Libération, limitée, encadrée, conditionnée, mais une économie de marché néolibérale, une économie où l’Etat est réduit à des fonctions sécuritaires (article 5), une économie où la concurrence n’est plus limitée par des droits sociaux, par des obligations fiscales, par des contraintes environnementales, par des choix politiques légitimes. Une économie de marché sur le modèle des accords de l’OMC. A l’opposé du modèle européen.

La direction du PS cite l’article III-209 de la manière suivante : « L’Union et ses Etats, conscients des droits sociaux fondamentaux ... ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable... Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux que des procédures prévues par la Constitution et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres ».

Complétons d’abord le texte. Les mots qui manquent (là où il y a () sont les suivants : « tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 ».

Une fois qu’on dispose de la totalité du texte, on peut en déduire :

a) que l’Union et les Etats sont « conscients des droits sociaux », c’est-à-dire qu’ils savent que ces droits existent ; on est bien heureux de l’apprendre ; mais cela ne signifie pas que ces droits sociaux sont désormais des droits consacrés, comme ils le sont dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (à laquelle l’Union n’adhère pas) ou comme ils le sont dans certaines Constitutions et législations nationales ;

b) que l’Union n’adhère ni à la Charte sociale européenne de Turin, ni à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux ; le texte y fait référence, il n’annonce pas l’adhésion qui créerait des obligations ;

c) que l’évolution (c’est-à-dire la réalisation des objectifs énumérés) se fera par une harmonisation désormais soumise aux fluctuations du marché. Cette information capitale nous ramène à la proposition Bolkestein qui abandonne l’harmonisation au profit de la loi du marché.

Evoquant les services publics, une fois de plus, la direction du PS confond « service d’intérêt économique général » (SIEG) et « service public » alors que le Livre Blanc de la Commission européenne, approuvé par le Conseil des Ministres, précise (p. 23) que ces deux expressions « ne doivent pas être confondues ». La direction du PS indique que la Constitution prévoit qu’une loi-cadre européenne peut être votée pour permettre que « ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions », mais il s’agit des SIEG. Pas des services publics, totalement absents d’une « Constitution » qui ne consacre nulle part la notion de service en vue de créer une égalité de droits, notion incompatible avec le principe d’une « concurrence libre et non faussée » à laquelle sont soumises toutes les politiques de l’Union.

Evidemment, la direction du PS passe totalement sous silence les articles essentiels du traité constitutionnel en ce qui concerne les services :

- article 4 : « Libertés fondamentales et non-discrimination. La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par l’Union... » On notera l’usage du verbe « garantir » qui n’était pas employé lorsqu’il s‚agissait des droits sociaux.

- Sous section 3, Liberté de prestation des services , article 144 : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. » Qu‚est-ce qu’une « restriction à la libre prestation des services » ? On ne nous le dit pas, mais chacun le sait. Il s’agit des obligations de service public, du financement public qui fausse la concurrence, de dispositions légales ou réglementaires adoptées par les pouvoirs publics dans l’intérêt général. Il n’est pas indifférent de savoir que la Commission européenne considère « le pouvoir discrétionnaire des autorités locales » comme un obstacle à la concurrence (document IP/02/1180 du 31 juillet 2002) !

- article 147 : « La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé. »

- article 148 : « Les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne... »

La libéralisation des services, c’est-à-dire l’obligation de les soumettre aux lois de la concurrence, déjà imposée par l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), figure, sans contestation possible, au programme du traité constitutionnel que la proposition Bolkestein ne fait qu’anticiper. La proposition Bolkestein est une mise en oeuvre aggravée de l’AGCS et une anticipation de ce que va favoriser le traité constitutionnel européen.

Rappelons que la proposition Bolkestein se donne pour objectif de « renforcer la position de négociation » de l’Union européenne dans le cadre de la mise en oeuvre de l’AGCS (P. 16). Or, on sait avec quelle agressivité l’Union européenne tente d’imposer la privatisation des services partout dans le monde. On sait les positions que le socialiste Pascal Lamy a défendues dans ce sens à l’Organisation Mondiale du Commerce (voir <http://www.urfig.orgˆ> ). Cette résolution du Parlement est d’ailleurs explicitement citée dans l’exposé des motifs de la proposition de directive (page 7).

Rappelons aussi que la direction du PS, qui justifie son soutien à la Constitution européenne notamment par l’appui de tous les autres partis socialistes et par la nécessité de « ne pas être socialiste tout seul » (il est bien loin le temps où le socialiste Jaurès n’avait pas peur d’affronter la social démocratie), passe sous silence l’appui, beaucoup plus cohérent, des amis « socialistes » allemands et des amis « socialistes » britanniques à la fois à la Constitution et à la proposition Bolkestein.

Ainsi, le gouvernement allemand dont les politiques néolibérales vont jusqu’à provoquer l’éclatement du principal parti gouvernemental, le SPD, vient de déclarer par la voix de son ministre de l’économie, M.Wolfgang Clement, que l’Allemagne soutient la proposition de directive sur les services et il a ajouté : « La position actuelle du gouvernement est que nous devons garder le principe du pays d’origine et c’est ce qui va se passer » (Source : Centre for a Social Europe (Londres), 23.02.2005).

Et de son côté, le Commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, un travailliste Britannique qui déclarait « face au besoin urgent de supprimer les rigidités et d’inclure de la flexibilité dans les marchés des capitaux, du travail et des marchandises, nous sommes tous des thatchériens » (The Times,10 juin 2002), vient d’affirmer : « Les adversaires de la directive sur les services veulent protéger des règles protectionnistes nationales qui continuent d’imposer des prix élevés aux consommateurs.... La Commission ne devrait pas reculer devant ces pressions illégitimes » (The Guardian, 15 février 2005).

Les précisions qui précèdent, on ne les retrouve pas dans les textes de la direction du PS. On ne les trouvera pas davantage dans la plupart des médias français qui semblent, sur l’Europe, avoir renoncé au pluralisme des opinions et se livrent à de la désinformation systématique. Dernier exemple, à propos de la proposition Bolkestein : « la directive n’est plus d’actualité à Bruxelles » affirme Le Figaro (2 mars). On vient de voir ce qu’il en est.

On nous trompe sur Bolkestein. On nous trompe sur le traité constitutionnel européen. Allons-nous dire « oui » à ceux qui nous trompent ?

Raoul Marc JENNAR, Chercheur, animateur de l’URFIG, 03.03.2005

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