Une tribune pour les luttes

Lettre ouverte de Pierre Tartakowsky, président de la LDH à Manuel Valls

Article mis en ligne le dimanche 13 janvier 2013

Monsieur Manuel Valls
Ministre de l’Intérieur
Place Beauvau
75800 Paris cedex 08

Paris, le 10 janvier 2013

Monsieur le Ministre,

J’ai eu à plusieurs reprises, au cours de l’année écoulée, l’occasion de manifester auprès de vos
services les incompréhensions, les inquiétudes et la désapprobation grandissante que suscite la
politique actuelle du gouvernement en direction des femmes et des hommes dits « sans
papiers
 » qui vivent, habitent et travaillent dans notre pays.

Je saisis ce début d’année nouvelle pour exprimer le vœu que ces messages soient pris en
compte au niveau où ils le méritent et que l’actualité, hélas, illustre sans désarmer sur
l’ensemble du territoire français.

Tout récemment, le préfet du Nord a reçu les représentants des grévistes de la faim du Nord,
engagés dans une longue et cruelle grève de la faim pour l’obtention de la régularisation de leur
séjour en France, en présence de la fédération du Nord de la Ligue des droits de l’Homme. Un
conflit d’autant plus douloureux qu’il a été marqué par des expulsions dont la seule raison était
d’intimider les grévistes, alors même que leurs revendications sont légitimes. Elles
correspondent à la situation de nombre de personnes étrangères présentes sur le territoire
national. C’est dire que si l’étude au cas par cas de la situation de ces grévistes de la faim est un
acte responsable de votre administration, il ne saurait à lui seul suppléer à la définition
législative et réglementaire d’une régularisation objective, permanente et stable.

Lors des nombreuses rencontres que vous avez eues avec les associations et syndicats membres
de la « Plateforme des 12 », avant la publication de la circulaire du 28 novembre, dite de
régularisation, nous vous avons présenté et expliqué la convergence, l’accumulation, la
combinaison des effets de précarisation, de flexibilisation, de mise en clandestinité de milliers
de personnes qui, pourtant, participent à la vie économique de notre pays au point que des
secteurs notables, tels les services, la manutention, le bâtiment, la restauration et même la
sécurité, ne peuvent plus s’en passer. Simplement parce que ces travailleurs effectuent le travail
dont personne d’autre ne veut.

Discriminés, stigmatisés, ignorés, fragilisés, ces femmes et ces hommes subissent de plus le
poids de l’arbitraire que leur infligent souvent, si ce n’est la plupart du temps, les services
préfectoraux, soit qu’ils ignorent vos directives quand elles s’avèrent plus favorables
qu’auparavant, soit qu’ils les appliquent avec un zèle excessif, quand malheureusement elles
ont renforcé un arsenal répressif existant.

Ce que nous disent les grèves de la faim et autres occupations c’est que votre réglementation,
trop timide dans ses avancées par rapport à une situation qui n’a fait que se dégrader ces dix
dernières années, ne peut plus en compenser l’aggravation. La seule solution serait une
régularisation massive et généreuse.

L’argument qui sert à refuser ces régularisations parce qu’elles produiraient un appel d’air – une
forme de primes à la clandestinité – repose sur une déformation des liens de causalité. La
présence de ces travailleurs est directement liée aux rigueurs des contrôles migratoires, qui
renforcent l’organisation économique dominante vivant de la précarité et de la concurrence y
compris monétaire entre les salariés. Cette gestion sécuritaire produit de la clandestinité et de la
discrimination, comme les excès du marché financier produisent des licenciements. Ce n’est
donc pas en expulsant des immigrés même «  clandestins » au seul sens administratif du terme,
que la politique de votre gouvernement restaurera de l’emploi et de la confiance.

Nous attendons autre chose de votre gouvernement. Nous souhaitons qu’il traduise dans les
faits ce qui a été affirmé pendant les campagnes électorales : puisque les immigrés ne sont pas
le problème, les expulser n’est pas la solution. Nous réitérons auprès de vous et de vos services,
que ces gens qui vivent, étudient, travaillent, jouent, aiment ici, doivent voir reconnue leur
place dans la République, bénéficier de ses principes et de ses valeurs. Il est à cet égard
parfaitement regrettable que vous ayez cru devoir reprendre à votre compte un objectif chiffré
de rapatriement, autrement dit d’expulsions, sans qu’aucun argument objectif n’ait pu vous
permettre de le fixer. Comment oublier d’ailleurs que ce chiffre de 35 000 expulsions est déjà
atteint avec toutes les personnes expulsées au mépris de la loi, du droit et des droits, à partir de
la Guyane ou de Mayotte ?

Il suffit, Monsieur le Ministre, de se pencher et de décomposer les données publiées dans les
différents rapports sur l’immigration soumis à l’Assemblée nationale, pour comprendre que
l’objectif fixé d’un nombre d’expulsions n’est que le masque d’une politique de communication.
C’est un gage donné non pas à la réalité, mais à la peur.

Je me permets d’attirer votre attention sur un chiffre. Il s’agit du nombre de régularisations par
le travail arrachées, depuis la grève des sans-papiers de 2008, à un gouvernement dont
l’aménité vis-à-vis des « immigrés clandestins » n’était pas établie : 11 à 12 000 de plus par an !

La régularisation en nombre est donc possible, et sans dégâts perceptibles pour notre pays,
lorsque les premiers concernés se mobilisent et bénéficient de la solidarité populaire. C’était
sous un gouvernement de droite. Faut-il aujourd’hui recourir au même bras de fer en redoutant
des résultats moindres ? Nous voulons espérer que ce n’est pas le cas.

Nos craintes s’enracinent dans les critiques et jugements de la circulaire du 28 novembre, que
nous avons formulés. Les grèves de la faim attestent de leur validité. Car cette circulaire dite de
«  régularisation » exclut de fait certaines catégories d’étrangers, tout en prévoyant une maîtrise
d’œuvre par les préfectures qui reste changeante et aléatoire.

Sur le fond, la logique des critères pour obtenir un titre de séjour reste restrictive. En fixant des
chiffres très élevés de présence constatée, la circulaire apporte certes des améliorations par
rapport à la situation précédente, et ouvre la possibilité d’un nombre notable d’issues positives.
Mais, que ce soit pour les enfants et les jeunes majeurs en cours d’études, pour leurs familles,
que ce soit pour les salarié(e)s, les durées exigées sont trop loin de la réalité des demandes
déposées ou exprimées. De plus, les autres conditions ajoutent une très rigoureuse limitation
des situations éligibles à la régularisation, telle l’exigence de bulletins de salaire sur toute la
période de référence, ce qui évacue de façon massive et négative toutes celles et tous ceux qui
subissent nécessairement le système du travail non déclaré.

Si nous avons apprécié que votre ministère s’engage à mettre un terme à l’arbitraire des
administrations préfectorales, en fixant des dispositions stables et pérennes applicables partout,
nous sommes inquiets d’observer que la réalité est bien éloignée de cet objectif, parce que
l’éloignement du territoire demeure encore et toujours la règle. Il est donc de votre
responsabilité de ministre de l’Intérieur de s’assurer que les dérives de ces dernières années
cessent.

Notre pays a besoin de fraternité, de justice, de sérénité et de progrès social, qui sont autant
d’atouts dans la lutte contre les crises économiques et les extrémismes xénophobes qu’elles
attisent. C’est pourquoi la LDH souhaite une autre orientation de la politique gouvernementale
vis-à-vis des étrangers, de leur rôle et de leur apport. Il dépend de cela que l’espoir revienne
chez des milliers de familles, de jeunes et de travailleurs sans papiers, dès maintenant.

Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre haute considération.

Pierre Tartakowsky
Président de la Ligue des droits de l’Homme

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