Une tribune pour les luttes

Chavez et le spectacle bolivarien

Article mis en ligne le mardi 12 mars 2013

Le régime de Chavez semble méconnu. La révolution bolivarienne s’apparente moins à un socialisme du XXIème siècle qu’à une bureaucratie spectaculaire marchande.

Texte extrait du site http://zones-subversives.over-blog.com/

jeudi 7 mars 2013



La mort de Chavez fournit une occasion pour se pencher sur la mascarade de la révolution bolivarienne. Le Venezuela de Chavez déclenche les foudres de la bourgeoisie mais aussi l’engouement d’une fraction de la gauche antilibérale et altermondialiste. Chavez, en bon bureaucrate, maintien l’illusion d’une opposition au libéralisme alors qu’il incarne, non pas un « socialisme du XXIème siècle », mais une nouvelle version du capitalisme d’État. Contre les délires véhiculés par Mélenchon, Noam Chomsky ou Le Monde Diplomatique, Rafael Uzcategui restitue la réalité historique et développe une analyse libertaire du régime de Chavez. Son livre informé, avec de précieuses mises en perspectives historiques, est publié aux éditions Spartacus dont le catalogue comprend de nombreux ouvrages consacrées à la critique de l’URSS d’un point de vue marxiste et révolutionnaire. Rafael Uzcategui se rattache au mouvement anarchiste, mais son livre contribue surtout à démolir l’imposture du Venezuela de Chavez comme « socialisme du XXIème siècle ».

Un néolibéralisme bureaucratique

La description de la vie quotidienne au Venezuela révèle une violence particulièrement dure. La délinquance, la police corrompue, le système judiciaire et carcéral provoquent de nombreux morts. La situation sociale semble également difficile au Venezuela. Le gouvernement maquille les chiffres du chômage avec l’emploi public et l’importance de l’économie informelle. De plus, l’inflation demeure forte et affaiblit le niveau de vie de l’ensemble de la population.
Chavez, malgré des syndicats peu combatifs, crée une nouvelle structure, l’Union nationale des travailleurs (UNT), qui défend davantage le gouvernement que les intérêts des salariés. Pour le régime, qui tente de contrôler le mouvement ouvrier, les syndicats doivent être inféodés au parti du 1 pouvoir. Les conditions de travail restent particulièrement difficiles et le gouvernement s’attache à briser les grèves et à réprimer toute forme de lutte.

Les politiques sociales de Chavez s’inscrivent dans la tradition populiste, clientéliste et paternaliste du Venezuela. Depuis les années 1950, l’accés à l’éducation, à la santé et au logement s’améliorent.

Mais les inégalités sociales ne cessent de croître. Chavez engage des « missions » en 2002, pour gagner en popularité. Si il améliore le conditions d’éducation, sa politique en matière de logement et de santé sapent les services publics déjà existants.

Du Figaro au Monde Diplomatique, de Chomsky à Bernard Henri Lévy, tous répandent les mêmes mensonges déconcertants : le Venezuela de Chavez serait anticapitaliste et socialiste. En réalité, l’économie du Venezuela demeure évidemment capitalisme. Mieux, la politique de Chavez consiste surtout à intégrer violemment le Venezuela dans la mondialisation néolibérale. L’économie du Venezuela repose sur sa rente pétrolière. Mais ses ressources naturelles sont gérées par des entreprises mixtes, avec la participation du capital privé aux côtés de l’État. Malgré sa logorrhée anticapitaliste la politique économique de Chavez, qui repose sur le pétrole, se conforme à l’idéologie néolibérale. Les désaccords du caudillo avec son rival colombien Uribe disparaissent pour favoriser l’implantation de la multinationale Chevron au Venezuela. La bureaucratie bolivarienne impose un modèle de développement économique capitaliste fondée sur la croissance, au détriment de l’environnement et de la qualité de vie. Pour Rafael Uzcategui, Chavez, avec son folklore altermondialiste semble le mieux placé pour imposer sans la moindre opposition des réformes de structures néolibérales pour adapter le Vénézuela à la mondialisation.

L’encadrement des mouvements sociaux

La contestation des politiques libérales en Amérique latine passe par des mouvements spontanés des masses qui descendent dans la rue, mais aussi par un « virage à gauche » de l’électorat. Parmi les nouveaux gouvernements de gauche, les sociaux-démocrates se distinguent des populistes. Les sociaux démocrates proviennent de partis issus du mouvement ouvrier et semblent respectueux de la démocratie parlementaire. Les populistes développent une phraséologie plus révolutionnaire pour tenter de lier les mouvements sociaux à l’État. Le populisme, auquel se rattache le régime de Chavez, s’appuie sur une forte personnalité, nie les antagonismes de classes, développe un discours anti-élite et des politiques sociales clientélistes. Le populisme bolivarien s’inscrit dans une tradition historique, incarnée par le régime dirigé par le parti Action Démocratique (AD) de 1945 à 1948. Ce populisme tente de construire une identité nationale et s’appuie sur l’anti-impérialisme supposé de Simon Bolivar. Les forces armées doivent garantir la stabilité des institutions, l’ordre et la discipline. Le régime de Chavez cultive le folklore et la symbolique militaire. L’exercice du pouvoir devient alors le seul mode de transformation sociale. Mais, au contraire, la révolution ne peut provenir que des luttes et des mouvements sociaux. Le but suprême de l’État demeure sa propre perpétuation. L’individu doit se soumettre à un supposé intérêt général, ou « bonheur public », qui s’attache à sauvegarder les intérêts des classes dominantes. Les partis politiques privilégient la lutte pour prendre le pouvoir, y compris en allant à l’encontre de leurs principes affichés. L’autonomie des mouvements sociaux détermine leur combativité et leur capacité à créer leurs propres règles. L’autonomie « signifie que les gens décident de la manière la plus 2 démocratique possible de tous les aspects de leur vie quotidienne, que ce soit le travail, l’utilisation du temps libre, la façon de se nourrir, etc » souligne Rafael Uzcategui. Les partis et les organisations, hiérarchisés et centralisés, ne sont plus nécessaires pour mener la révolution selon les partisans de l’autonomie des luttes. « L’autonomie sociale ne peut être séparée de l’autonomie individuelle. Une révolution se met en route quand la population forme ses propres organisations autonomes, quand elle décide de ses propres règles et de ses propres formes d’organisation. Et la révolution prend fin quand ses organisations autonomes sont domestiquées, asservies ou réduites à un rôle décoratif » précise Rafael Uzcategui qui se réfère à la réflexion de Raul Zibechi.

Dans les années 1970, après la période de la lutte armée, les mouvements sociaux demeurent encadrés par les partis et les syndicats. Surtout, les gouvernements peuvent satisfaire rapidement les revendications en raison de la prospérité économique et de la manne pétrolière. A partir des années 1980, les luttes sociales se radicalisent jusqu’en 1989, avec le mouvement de base du Caracazo. Pourtant, malgré la diffusion d’une contre-culture, la réflexion sur les expériences historiques et sur un projet de société demeurent absentes. Les revendications des mouvements sociaux semblent également peu connues. Des partis tentent donc de récupérer ses luttes pour remporter des élections. Lorsque Chavez arrive au pouvoir, il tente de canaliser l’influence des mouvements de contestation.

Dès 1999, il organise des élections constituantes pour légitimer et consolider son nouveau pouvoir. Le régime tente de récupérer les mouvements sociaux, désigne ses bureaucrates pour les intégrer à l’Etat. Les mouvements de lutte ne sont plus simplement coordonnés mais entièrement soumis à la tutelle du nouveau régime, avec leurs revendications mollassonnes avalisées par le pouvoir. Des structures sont créées pour encadrer la population. Les cercles bolivariens permettent de canaliser les revendications sociales et d’intégrer la contestation à l’État. Les conseils communaux incitent la population à collaborer avec le parti du régime et avec la police pour combattre la criminalité et la subversion, pour garantir l’ordre et la sécurité. Le développement des coopératives renforce l’exploitation par le travail pour favoriser la précarité et saper les avantages du salariat comme la protection sociale. Les quelques coopératives qui fonctionnent et qui demeurent réellement indépendantes par rapport à l’État ont été créées avant l’arrivée de Chavez au pouvoir.

Guy Debord, proche des communistes conseillistes, développe la notion de spectacle notamment pour décrire le régime bolchevique en URSS qui revêt les attributs pseudo-révolutionnaires. La révolution bolivarienne s’apparente également à spectacle qui suscite l’enthousiasme des altermondialistes davantage préoccupés par les grands discours idéologiques que par la vie quotidienne. « La séparation entre la classe dominante et les dirigés, l’accumulation progressive du pouvoir par une seule personne se consolident derrière un langage spectaculaire, le geste « irrévérencieux » prémédité et capté par les caméras, le bon mot, lors un sommet présidentiel, immortalisé sur YouTube » décrit Rafael Uzcategui. Mais les gouvernements de gauche permettent surtout de rendre invisibles puis de réprimer les luttes sociales. En Amérique latine, les gauches au pouvoir permettent d’imposer les politiques libérales avec moins de remous.

Source : Rafael Uzcategui, Venezuela : révolution ou spectacle ? Une critique anarchiste du gouvernement bolivarien, Spartacus, 2011

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