La Provence
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Six jeunes jugés pour des violences sur des ouvriers maghrébins
Publié le mardi 19 mars 2013
"On s’est approché discrètement. Un peu comme un commando", dira l’un. "On voulait leur faire peur", "En voyant toutes ces armes, j’ai compris qu’on n’allait pas seulement faire peur", pour un autre. "On voulait leur donner une bonne leçon", avait dit un 3e. La leçon ? Une expédition punitive, le 20 décembre 2011, contre trois ouvriers sans-papiers, maghrébins, dans un cabanon à Lançon-de-Provence.
Six jeunes sont renvoyés devant le tribunal correctionnel d’Aix pour violences aggravées. Un 7e, mineur, a fait l’objet d’un rappel à la loi. Ils ne contestent pas avoir participé à ce que les parties civiles qualifieront de "ratonnade". Si les prévenus se défendent d’avoir commis les violences au motif que les occupants du cabanon étaient maghrébins, le mobile fut avancé dans des SMS, comme souligne le juge Benoît Delaunay : "Selon un témoin, vous vous étiez vanté d’avoir fait une ratonnade. Un SMS mentionne ’aller aux Arabes’, comme... aller au magasin ou à une activité de loisir."
Les prévenus, 18 à 27 ans à l’époque, promettent ne pas être racistes, étaient venus en treillis, cagoules, avec bombe lacrymogène, fusil de paintball, matraque, pistolet gomme-cogne, batte, fusil de chasse : "Je suis membre d’un club de tir... le ball-trap." Frappant à la porte, ils s’étaient annoncés comme des policiers.
Le juge demande comment ils en sont arrivés là. "Ben... ça faisait un petit moment qu’on était dans ces... circonstances..." Ils évoquent un contexte de cambriolages, d’insécurité. Un prévenu ajoute : "J’suis entré, je lui ai demandé si c’était lui qui avait cassé ma voiture, il m’a dit non, j’l’ai tiré par le bras". Car la leçon, si elle devait faire peur, avait vite dégénéré. Pour preuve, la violence des coups. "Mon client, selon Me Laurent Bartolomei, a été plaqué au sol, un pied sur la tête et un canon sur la nuque, gazé à la bombe lacrymogène, roué de coups, traîné par les pieds."
Reste que les trois ouvriers visés par le commando sont inconnus de l’institution judiciaire, "mais si ce n’est toi, c’est donc ton frère. Si ce n’est ton frère, c’est ton cousin ou quelqu’un de ta race..." Ce qui fait dire à Me Clément Dalançon, avocat du seul plaignant présent : "C’est le fantasme de la rumeur !" Son client "travaillait, ne demandait rien à personne. La justice se rend au tribunal."
Le procureur Marion Menot se demande, avec recul, "comment six jeunes, a priori pas violents, se sont laissé entraîner dans ce déchaînement de violence. Ces faits inacceptables se suffisent par leur gravité." Vols, vandalisme, joggeuses embêtées, "vous dénoncez un climat général, un ras-le-bol dans le village, mais aucun ne donne la même motivation". Retenant le caractère raciste, elle requiert 9 mois dont 5 avec sursis et 4 ferme contre ces jeunes, insérés, sans casier judiciaire.
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Délibéré le 15 avril.
Séverine Pardini
Une « battue aux clandos » sans mobile raciste ?
18 mars 2013
http://www.liberation.fr/societe/20...
Par OLIVIER BERTRAND Correspondant à Marseille
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La nuit est tombée depuis un moment, ce 20 décembre, lorsque les sept hommes s’approchent du cabanon. Situé dans le hameau des Baisses, près de Salon, il sert de « gourbi » à des clandestins, lorsqu’il fait trop froid pour dormir dans les serres voisines. On se trouve dans une zone de maraîchage et des agriculteurs du coin font appel régulièrement à des saisonniers, parfois clandestins. Les sept hommes sont vêtus de treillis, ils portent des ceintures de chasse avec cartouchières, certains sont encagoulés. L’un d’eux frappe à la porte : « C’est la police, sors. »
A l’intérieur, la plupart des occupants sont sans papiers. L’un d’eux, Samir (28 ans), a même reçu dans l’après-midi une visite des (vrais) gendarmes, qui lui ont laissé une obligation de quitter le territoire (OQTF). Ils ne connaissent pas le droit, pensent que l’on vient les chercher en pleine nuit pour les reconduire chez eux.
Samir se lève, prend le papier de son OQTF et vient ouvrir la porte. Il est alors aspergé de gaz, tombe à terre, est frappé à coup de crosse. Deux de ses compagnons parviennent à s’enfuir dans la nuit, pendant que trois des agresseurs entrent dans le cabanon. Ils ont deux fusils de chasse, une arme de paint-ball, une matraque téléscopique. Les clandestins sont roués de coups de pieds et de poings puis traînés dehors. Ils sont mis à genoux et l’un des agresseurs met un coup de rangers à un clandestin pour l’allonger au sol. Samir essaie de s’enfuir à son tour, ils lui tirent dans le dos à cinq reprises avec des cartouches gomm-cogne. Puis repartent en courant dans la nuit.
Trois jours plus tard, un copain des clandestins, absent au moment des faits, rentre et découvre Samir enroulé dans une couverture, le corps couvert de traces de coups. Il prévient les gendarmes, qui se déplacent et entendent l’homme, « traumatisé ». L’enquête sera assez simple. Pendant l’agression, les clandestins ont entendu deux prénoms « Alain » et « Alex ». Ils expliquent aussi aux gendarmes qu’ils ont plusieurs fois croisé des hommes en treillis qui les regardaient de travers lorsqu’ils allaient acheter des cigarettes et des cartes de téléphone au café des Baïsses. Les enquêteurs retrouve rapidement Alexandre, le fils d’un maraîcher voisin chez qui travaillent parfois les clandestins. Absent ce soir-là, il balance les autres.
Ils ont entre 20 et 28 ans, sont employé agricole, maçon, préparateur de commande, commerçant ou sans emploi. Et tous, en garde-à-vue, disent qu’ils voulaient se venger de méfaits commis par les clandestins. Pourtant, dans le détail, certains parlent de cambriolages, d’autres de tentatives, de dégradations, d’une histoire où on aurait « touché les fesses d’une fille ». Surtout, aucune plainte n’a jamais été déposée visant l’une des victimes.
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Les enquêteurs ont aussi réuni des témoignages et des textos qui semblent accréditer l’idée d’une ratonnade. Le meilleur copain de deux des participants leur a raconté que cinq jours avant les faits, ils s’étaient réunis au café, et l’un de ses potes lui avait confié : « On a préparé des cartouches de gros sel, on va faire la battue aux clandos. » Ensuite, dans les portables de plusieurs des sept hommes, les pandores ont retrouvé les traces de cette préparation.
Ainsi le 20 décembre, Fabien (25 ans, paysagiste sans emploi) bat le rappel. A l’un de ses copains, il envoie ce SMS :
A un autre, il écrit : « Poulet c bon pour toi ce soir on fai la mission on a acheté Tou si qui Fo ». Mais son interlocuteur ne peut pas venir, il a une embrouille avec sa copine. « Sa va Tinkiete » lui écrit Fabien. Puis l’autre lui répond : « Pren en un pour moi et ramene une dent lol ».
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Plus tard, à partir de 23h14, moins d’une heure après l’agression, Fabien lui fait ce récit de la descente et ils ont cet échange :
Devant les gendarmes, Ricardo, le copain qui voulait une dent, balancera ses copains : « (Ils) se vantaient d’avoir fait une ratonnade aux Baïsses. »
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Sur la foi du rapport oral fait par les gendarmes, le substitut de permanence à l’issue de la garde-à-vue avait décidé d’une « simple » convocation par officier de police judiciaire (COPJ). Une procédure utilisée d’ordinaire pour des faits moins graves. Surtout, le magistrat avait visé deux circonstances aggravantes aux violences : en réunion et avec usage ou menace d’une arme. Mais sans retenir des violences « en raison de l’appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».
Les avocats des trois Tunisiens, Olivier Lantelme, Laurent Bartholomeï et Clément Dalençon, ont tenté, en vain, de faire requalifier les faits. « La motivation raciste de l’agression poursuivie ne parait pas aussi clairement établie que vous le laissez supposer dans vos courriers et elle n’a pas été retenue au vu tant des déclarations des victimes que des explications fournies par les mis en cause sur le motif des violences exercées », leur a répondu la procureure d’Aix-en-Provence, Dominique Moyal, le 18 octobre 2012.
Les avocats devraient reformuler la requête ce lundi après-midi, afin qu’un juge puisse dire si, oui ou non, ces violences étaient racistes.
17 mars 2013
Six personnes seront jugées lundi par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour des violences en réunion à l’encontre de trois Maghrébins, sans que le caractère raciste de l’agression, invoqué par les avocats des victimes, ait été retenu.
Les faits avaient été commis dans la soirée du 20 décembre 2011 dans un cabanon isolé à Salon-de-Provence, habité par des sans-papiers de nationalités tunisienne et marocaine.
Alors que ceux-ci étaient endormis, sept jeunes gens, dont un mineur, cagoulés, armés de deux fusils, une matraque télescopique, deux bombes lacrymogènes, s’étaient présentés au cabanon, se faisant passer pour des policiers venus les expulser, avant de les rouer de coups. Des balles en caoutchouc avaient été tirées.
Placés en garde à vue quelques jours après, les agresseurs présumés, des jeunes gens des environs, sans casier judiciaire, reconnaissaient les faits, expliquant leurs actes par des dégradations et cambriolages qu’auraient commis les sans-papiers.
Or les trois victimes "n’ont jamais été poursuivies pour cambriolages !", souligne un de leurs avocats, Me Olivier Lantelme, dénonçant une intention raciste derrière cette action.
Les six hommes seront jugés lundi pour "violences volontaires aggravées en réunion". Mais sans la circonstance aggravante "à raison de l’appartenance, vraie ou supposée de la victime, à une ethnie, une nation, une race ou religion déterminée", réclamée par les conseils des victimes.
Dans un courrier adressé au procureur de la République à Aix-en-Provence, les avocats Dominique Moyal, Mes Laurent Bartolomei et Clément Dalançon avaient fait valoir que le mobile raciste était attesté par "deux éléments objectifs" : le témoignage d’un ami des prévenus auprès duquel ils s’étaient vantés "d’avoir fait une ratonnade", et des SMS échangés entre eux ("tu ve venir se soir o arabe").
Dans sa réponse aux avocats, le procureur, Mme Dominique Moyal, avait expliqué qu’elle n’envisageait pas de requalifier les faits, "dès lors que le tribunal a déjà été saisi de cette affaire" et que "la motivation raciste de l’agression poursuivie ne paraît pas aussi clairement établie".
Pour la défense des victimes, le parquet a accordé "un traitement très léger" à cette affaire. "On a été dans le +light light+ : il n’y a pas eu pas de défèrement, pas de contrôle judiciaire, même pas de présentation devant le juge des libertés", énumère Me Lantelme.
Source AFP