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Rebellyon.info

Violences policières, acharnement judiciaire

Ou comment de graves violences policières se retournent contre la victime, par de jolis coups de pression et passe-passe juridique
Une Histoire ordi­naire dans un petit tri­bu­nal ordi­naire...

Article mis en ligne le mardi 30 avril 2013

http://rebellyon.info/Violences-policieres-acharnement.html

Toute res­sem­blance avec des faits réels n’est que pure coïn­ci­dence.

Il y a quel­ques temps de ça, une per­sonne, appe­lons-la Karim, sort un soir, dans un petite ville de france. Karim, il a la peau mate. La ville, elle est plutôt d’extrême-droite.

Karim se fait contrô­ler : la police relève une petite infrac­tion du code de la route, de celles qui ne por­tent pas à grande consé­quence. Mais assez vite le ton monte... Karim s’en sort mal : omo­plate frac­tu­rée, épaule luxée, arcade éclatée, poi­gnet abîmé. 21 jours d’arrêt reconduits plu­sieurs fois. Il atteint 3 mois d’ITT*, et beau­coup plus tard il a encore des séquel­les.

Les agents qui l’ont arrê­tés auraient eu du mal à le maî­tri­ser. L’un se plaint du doigt je crois, l’autre de la jambe, un méde­cin bien­veillant leur accor­dera 1 et 3 jours d’ITT. Ils s’empres­sent de porter plainte.

Jusque là, rien de plus banal qu’une énième affaire de vio­len­ces poli­ciè­res, pas plus sur­pre­nante que beau­coup d’autres. On pour­rait aussi s’attar­der sur les insul­tes racis­tes d’un poli­cier, sur l’aban­don en cel­lule de Karim gra­ve­ment blessé pen­dant toute une nuit avant d’être conduit à l’hôpi­tal, sur les dif­fé­rents arran­ge­ments pro­po­sés par quel­ques OPJ** sou­cieux de pro­té­ger leurs col­lè­gues, sur les PV de garde-à-vue signés sous contrainte, sur les pres­sions de la police sur les témoins de la scène...

Mais, là où l’affaire dévie du cours habi­tuel des vio­len­ces poli­ciè­res et des petits procès dis­crets qui rap­por­tent quel­ques cen­tai­nes d’euros à 2 ou 3 flics, c’est que le pro­cu­reur n’a pas osé faire passer Karim en com­pa­ru­tion immé­diate : il n’était même pas pré­sen­ta­ble à la jus­tice. Et là où l’affaire s’éloigne tota­le­ment du fait divers quo­ti­dien, c’est que Karim décide de porter plainte contre la police, qu’il alerte une orga­ni­sa­tion de défense des droits de l’homme, et que quel­ques arti­cles sor­tent dans la presse locale.

Karim ne comp­tait pas en rester là, et il a décidé de mettre de l’énergie pour faire payer ceux qui l’ont tabassé.

Mal lui en a pris, et dure a été la ven­geance de l’Etat :
Rapidement, le pro­cu­reur classe la plainte contre la police. Mais il ne s’arrête pas là, et pour que Karim apprenne à bien fermer sa gueule, il porte plainte contre lui pour dénon­cia­tion de vio­len­ces ima­gi­nai­res, sus­cep­ti­bles de pro­vo­quer des sanc­tions à l’encontre des flics. Quelques temps après s’être fait gra­ve­ment bles­ser, Karim doit donc faire face à 2 procès : Dans le pre­mier, il est accusé d’avoir porté des coups aux 2 poli­ciers qui l’ont mas­sa­cré. Dans le second, il est accusé d’avoir dénoncé les vio­len­ces poli­ciè­res.

Le pre­mier procès est long, il dure quel­ques heures, et abou­tit à une lourde peine, pour une pre­mière condam­na­tion : 6 mois avec sursis et 2500 euros de dom­ma­ges et inté­rêts aux flics.

Le second procès est plus court, et abou­tit à une seconde peine : 4 mois avec sursis et 3500 euros de dom­ma­ges et inté­rêts à payer aux condés.

Maintenant, lais­sez-moi vous dire quel­ques mots de ce second procès : On entend d’abord la ver­sion des flics, à trem­bler de rage : Ils n’ont jamais tenu de propos racis­tes à l’encontre de Karim et des témoins, et Karim les a agressé tout seul – cela, même les témoins sous pres­sion ne l’ont jamais men­tionné. Karim, ensuite, se démet l’épaule et se brise l’omo­plate tout seul, en se débat­tant au moment où les condés lui pas­saient les menot­tes. Sur l’arcade, il n’y a jamais eu de coups de poings : Karim, menotté, s’est jeté de lui-même contre le capot de la voi­ture. Rappelons qu’à cette audience, c’est bien Karim qui est accusé de men­son­ges !

La ver­sion de l’accusé est bien dif­fé­rente : Sorti de force de la voi­ture, il se prend un coup de poing direct ; les coups pleu­vent, il sent la dou­leur à son épaule. Il par­vient à s’échapper de quel­ques mètres, s’arrête sous la dou­leur, et les coups pleu­vent à nou­veau. Il perdra connais­sance pen­dant la nuit dans sa cel­lule.

L’avocat des flics prend alors la parole, pour déver­ser ses insa­ni­tés habi­tuel­les : « Lorsque le pro­cu­reur doit pour­sui­vre des fonc­tion­nai­res de police, il le fait. » (?!?)

« L’accusé a alerté les asso­cia­tions, la presse  » : c’est bien ce qui lui est repro­ché ici : avoir tenté de publi­ci­ser les vio­len­ces poli­ciè­res ! Elément à charge, doré­na­vant.

« Mon client a pleuré dans mon cabi­net  » (en face, ça fait des mois que Karim n’arrive plus à dormir, d’abord à cause de la dou­leur, puis du trau­ma­tisme).

On atteint des sum­mums avec la prise de parole de la pro­cu­reure : « Karim a des talents pour écrire des scripts de sit­coms, mais il va fal­loir un peu plus s’inté­grer avant de dire n’importe quoi  » Le racisme à l’audience, il n’est pas fron­tal – mais toutes ces peti­tes tou­ches sont révé­la­tri­ces. Et si on s’attarde un peu sur le sous-entendu, on com­prend qu’un⋅e sou­chien⋅ne peut mentir, mais pas un⋅e migrant⋅e.

« L’issue du procès sera aussi relayée dans la presse  » Sous-entendu encore une fois, la jus­tice devrait se tenir à huis-clos : juges et flics seraient encore plus tran­quilles pour tabas­ser et faire payer leurs vic­ti­mes.

D’ailleurs, même l’avo­cate de Karim le plom­bera sur sa démar­che : «  Il va saisir toutes les asso­cia­tions, de défense des droits, des droits de l’homme, j’en passe et des meilleu­res, la presse aussi  ». Elle deman­dera à ce que la Cour aie la décence de l’excu­ser, arguant que Karim n’est pas un spé­cia­liste du droit.

En effet, un⋅e spé­cia­liste du droit fran­çais n’ose­rait jamais conseiller à qui­conque de porter plainte contre la police.

Un⋅e spé­cia­liste du droit fran­çais décou­ra­ge­rait toute ten­ta­tive de dénon­cer publi­que­ment des vio­len­ces poli­ciè­res.

Un⋅e spé­cia­liste du droit fran­çais conseille­rait à toutes les asso­cia­tions de défense des droits de l’homme de fermer bou­ti­que.

Karim n’avait pas com­pris ça.

En tout, il aura donc 9000 euros à payer, frais d’avo­cat⋅e⋅s inclus (il en a changé en cours de pro­cé­dure), plus 10 mois de prison avec sursis.

Ce soir-là, Karim avait peur de se faire assas­si­ner par les flics. Aujourd’hui, Karim a peur de cet arti­cle.

Karim a donc com­pris la leçon : ceci n’est pas son his­toire.

C’est l’his­toire d’un mili­tant anar­chiste, inven­tée de toutes pièces, au hasard d’un tri­bu­nal ordi­naire d’une petite ville de france.

Notes : * ITT : Interruption Temporaire de Travail. En gros, la reconnais­sance par la méde­cine d’une inva­li­dité tem­po­raire. ** OPJ : Officier de Police Judiciaire. Les flics qui sont assez haut dans la hié­rar­chie pour donner des ordres et, par exem­ple, pren­dre des dépo­si­tions en garde-à-vue et en dres­ser un procès-verbal.

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