Une tribune pour les luttes

Observatoires des Inégalités

La place des femmes dans les manuels scolaires

Article mis en ligne le dimanche 12 mai 2013

Sur près de 3 500 personnages sexués répertoriés dans les manuels scolaires, on décompte une femme pour cinq hommes, selon deux études menées par le Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes Hubertine Auclert. Ces deux études font le même constat de la sous-représentation des femmes et de la persistance des représentations stéréotypées dans les manuels scolaires. L’Observatoire des inégalités propose des extraits de ces rapports.

A lire avec les liens et les documents :
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1754&id_mot=27

7 mai 2013

Sur 3 345 personnages sexués répertoriés dans les manuels scolaires, on décompte 2 676 hommes contre 672 femmes, soit une femme pour cinq hommes, selon deux études sur les représentations des femmes dans les manuels scolaires de mathématiques et d’histoire réalisées par le Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes Hubertine Auclert. Menées sur vingt-neuf manuels de mathématiques et onze d’histoire des filières tant générale que technologique, ces deux études font le même constat de la sous-représentation des femmes et de la persistance des représentations stéréotypées.

A un âge où se construisent et se consolident les représentations de la société, les manuels scolaires apparaissent comme des outils fondamentaux pour appréhender les préjugés et transmettre une culture de l’égalité. De plus, au regard du déficit d’orientation des filles dans la filière scientifique de la voie générale et dans le secteur industriel de la voie professionnelle [1], une telle étude portant notamment sur les manuels de mathématiques, constitue aussi un enjeu de politique publique. Il demeure difficile de nier que la sous-représentation des femmes dans les manuels constitue un obstacle important pour que les filles se projettent dans des rôles sociaux professionnels scientifiques.

Un déséquilibre numérique global

La première observation tirée de l’enquête sur les manuels de mathématiques concerne l’importante sous-représentation numérique des personnages féminins (…) : sur les 3345 personnages sexués comptabilisés, on trouve 2676 hommes pour 672 femmes, soit 1 femme pour 5 hommes. Ce déséquilibre est particulièrement remarquable dans le nombre de personnages masculins célèbres : 1057 noms de personnalités masculines sont cités contre 35 personnages historiques féminins, soit 3,2 %. Mais la part de personnages féminins inventés par les auteur-e-s ne vient en aucun cas contrebalancer la faible présence des femmes célèbres : les femmes représentent 28 % des 2256 personnages de fiction.

Dans ces manuels, si l’on se concentre sur la répartition femmes-hommes selon les activités socioprofessionnelles des personnages, les femmes ne dominent aucune activité, y compris celles liées aux soins et au domestique : les hommes y sont deux fois plus nombreux (322 pour 173 femmes). Il reste le domaine où les femmes sont le plus présentes, et ce avec le domaine scolaire où l’on trouve 175 femmes pour 277 hommes et avec le domaine des loisirs où l’on trouve 108 femmes pour 313 hommes. Dans tous les autres domaines d’activité la part des femmes présentes varie entre 0,03 % et 2,28 % par rapport au total des personnages. C’est dans le domaine économique - comptabilisant tous les métiers non scientifiques - que l’écart femmes-hommes est le plus important : 73 femmes pour 277 hommes soit 1 femme pour 5 hommes représentée dans une situation professionnelle.

(...)

Le cantonnement socio-professionnel des femmes

Cette faiblesse numérique des personnages féminins dans les manuels scientifiques s’accompagne d’une surreprésentation des femmes dans des professions auxquelles elles sont traditionnellement associées.
Ainsi dans le manuel professionnel des éditions Hachette, si l’on compte 25 noms masculins dans le secteur économique, dans les médias ou la santé, notamment « un fabricant », « un facteur », « un restaurateur », « un journaliste », « un agent qualifié », « un confiseur », « un peintre », « un trader », « un charpentier », « un sous-traitant », « un comptable  », les trois seuls personnages féminins dans le secteur professionnel se rapportent à des noms de métiers jamais déclinés au masculin dans les manuels, comme «  assistante médicale » ou « hôtesse  ».

Lorsque les auteur-e-s de manuel déclinent un nom de métier masculin au féminin, il lui est associé un attribut traditionnellement féminin : dans un manuel de la filière professionnelle, on trouve systématiquement le métier de « gérant  » au masculin, exceptée lorsqu’il est question d’«  une gérante de parfumerie ».

Les autres féminisations de métiers rencontrées sont les suivantes : «  la secrétaire d’une entreprise », « la documentaliste », « une standardiste », « l’infirmière ». Elles sont toutes attachées à des activités traditionnellement féminines.

Dans le domaine scientifique on observe également une moindre diversité des métiers. Les femmes scientifiques inventées pour les énoncés ou présentes dans les illustrations sont soit des laborantines, soit des archéologues.


Les femmes dans le récit historique

Du côté des manuels d’histoire, l’exclusion des femmes du suffrage universel masculin est (…) largement développée dans les manuels de seconde de CAP (…). Dans trois manuels, à l’histoire de la République française, est opposée une histoire de la lutte des femmes pour la reconnaissance de leur droit de vote. (…) Les suffragettes sont ainsi représentées dans les manuels étudiés. De ce fait, les femmes sont présentes dans l’histoire du droit de vote des femmes non pas seulement comme quelques exceptions de l’Histoire mais bien comme un réel mouvement politique, engagé et militant. (…)

Contrairement aux manuels de seconde CAP, les manuels de seconde générale ne font pas un usage systématique de la notion de suffrage universel masculin ». Et « les manuels qui évoquent la question du droit de vote des femmes, le font dans un dossier annexe où sont présentées les biographies de Jeanne Deroin ou d’Olympe de Gouges [2], (…) loin de représenter un mouvement, mais plutôt une exception de l’Histoire (…). Ce qui contribue en outre à leur marginalisation.

Sur un total de 144 biographies consacrées à des personnalités politiques, seulement 5 sont consacrées à des femmes ; de même, sur 254 textes écrits par des personnalités politiques, on ne trouve que 9 textes écrits par des femmes.


Le rôle des femmes dans la production économique

Étant donné l’importance du monde du travail dans le programme de CAP, les manuels (…) représentent davantage les femmes dans la sphère professionnelle, que dans la sphère domestique. _ (…)
Dans le nouveau thème du programme de seconde CAP « Être ouvrier en France du XIXème au XXIème siècle  », les femmes sont représentées comme des femmes actives. Aussi un manuel Nathan propose-t-il un dossier intitulé « Etre ouvrière en France dans l’entre-deux-guerres  » composé de photographies de femmes au travail, mais aussi de textes abordant les questions des inégalités de salaire entre les femmes et les hommes. Ce dossier fait figure d’exception parmi les autres manuels. Car si la plupart des manuels représentent davantage les femmes en dehors de la sphère privée que les manuels de seconde générale, les représentations proposées demeurent pour le moins ambiguës. Les ouvrières sont le plus souvent représentées dans l’industrie du textile, renforçant le stéréotype de la femme délicate aux petites mains. (…)

Contrairement au programme scolaire de seconde CAP, le programme des 2ndes générale et technologique s’achève en 1848, ne traitant pas ainsi la question du travail des femmes pendant les guerres et à l’issue des différentes révolutions industrielles.

Pourtant au programme, le troisième thème « Culture et société au Moyen-âge » passe totalement sous silence le rôle des femmes dans la production des sociétés rurales et urbaines. Alors que le travail des femmes au sein de la paysannerie en milieu rural et de l’artisanat et du commerce en milieu urbain, est aujourd’hui reconnu, aucun manuel ne le mentionne, ni à travers un texte, ni à travers des documents iconographiques. Cette absence des femmes du monde du travail, de l’Antiquité à 1848 en passant par le Moyen-âge, contribue à définir le travail au masculin.

Cette non-représentation du rôle des femmes dans la production économique est accentuée par une surreprésentation des femmes dans la sphère privée (…).

Les femmes sont le plus souvent représentées en mère, fille ou femme de. Ces rôles sociaux renvoyant les femmes dans la sphère privée sont les plus présents dans les manuels. Les femmes sont également souvent représentées cantonnées aux fonctions biologiques et/ou d’éducation et de soin.

C’est dans le traitement du siècle des Lumières que les femmes sont le plus représentées dans le monde de la connaissance et des arts. (…)

Mais si l’on considère l’ensemble des manuels de seconde étudiés, le sentiment que l’art et le savoir sont des affaires d’hommes, demeure très fort. (…) Considérant tous les auteur-e-s des documents proposés dans l’ensemble des manuels, on constate que les femmes représentent 4,2 % des auteur-e-s utilisé-e-s. Sur 1537 documents, seulement 65 femmes en sont les auteures. (…) Les historiennes sont les plus nombreuses avec seulement 18 documents. La plus reprise est la philosophe Simone Weil avec 4 textes.

Dans le domaine artistique, on recense seulement 16 œuvres réalisées par des femmes, soit 1% de l’ensemble des documents (16 documents dont les auteures sont des femmes, contre 563 dont les auteurs sont des hommes). On constate d’ailleurs que sur l’ensemble des manuels, n’apparait qu’une seule peintre, Barbara Krafft. Si les femmes sont bien objets des œuvres picturales, elles n’en sont pas les auteures. (…)

Cette évolution insuffisante de la représentation des femmes dans les manuels scolaires, plaide une fois encore pour la promotion d’une histoire plus équilibrée. D’abord parce qu’une histoire masculine ne renvoie qu’à l’histoire de la moitié de l’humanité. Ensuite parce que la lutte contre l’effacement des femmes de la sphère publique doit favoriser l’adoption d’une véritable culture de l’égalité.

Ce texte reprend des extraits de deux études du Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes Aubertine Auclert, à consulter ici http://www.centre-hubertine-auclert.fr/dans leur intégralité.

[1] A la rentrée 2011, 44.9 % des élèves de Terminale scientifique étaient des filles, contre 78.9 % en Terminale littéraire. Seulement 11.3 % de filles étaient inscrites en Terminale professionnelle dans le secteur industriel et 92,3 % étaient inscrites dans le secteur des sciences et technologies de la santé et du social, selon le ministère de l’éducation nationale

[2] Deroin (1805-1894) : ouvrière autodidacte devenue institutrice, elle rédige en 1831 un « plaidoyer contre l’assujettissement des femmes  », fonde le journal «  L’opinion des femmes  » en 1848 et se présente la même année aux élections législatives ». Olympe de Gouges (1748 – 1793) : femme de lettres française, elle est considérée comme l’une des pionnières du féminisme. Elle a notamment écrit en 1791 une « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne."

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