Une tribune pour les luttes

"l’évacuation des campements illicites continuera"

La France construit sa politique anti-roms sur des cadavres

Par philippe alain

Article mis en ligne le jeudi 16 mai 2013


http://blogs.mediapart.fr/blog/phil...

Depuis lundi 13 mai 2013, la politique de stigmatisation menée par le gouvernement français contre les roms ne se chiffre plus seulement en nombre de reconduites à la frontière ou en nombre de destruction de bidonvilles. Elle se chiffre désormais en nombre de cadavres. Beni, un garçon de 12 ans, ainsi que 2 femmes, Pamela et Patrina sont morts, brûlés vifs, dans l’incendie de l’immeuble dans lequel ils vivaient à Lyon depuis 8 mois.

Il y a quelques jours, en prévision d’une expulsion à venir, la mairie de Lyon, dirigée par le très socialiste Gérard Collomb coupe l’électricité, tenez-vous bien, pour des raisons de sécurité… Les squatteurs ont osé se brancher sur un distributeur de courant et monsieur Collomb craint probablement que des enfants s’électrocutent. Bien lui en a pris, personne n’est mort électrocuté. Il oublie juste que les Roms sont comme nous, ils ont besoin de lumière. (1) Faute de courant, ils s’éclairent donc à la bougie et trois d’entre eux en sont morts.

Quelques heures après l’incendie, alors que les pompiers travaillent toujours sur les lieux du sinistre et que de nombreux journalistes sont présents, les familles se regroupent sur la place voisine. C’est toute la communauté rom de Lyon qui vient présenter ses condoléances aux familles endeuillées. Un peu plus tard dans la matinée, des hommes en noir affublés d’oreillettes blanches descendent de grosses berlines. Les journalistes quittent la place et le bruit commence à courir que Manuel Valls arrive sur les lieux du drame. Dans la confusion la plus totale et en évitant soigneusement les familles, Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, Christine Taubira, Ministre de la Justice, Gérard Collomb, maire de Lyon, Jean-François Carenco, Préfet de la région Rhône-Alpes vont se présenter devant le bâtiment qui fume encore.

Pas une de ces personnalités qui représentent les plus hautes institutions de la République et élevées dans le sérail des grandes écoles françaises où on n’enseigne visiblement pas la politesse la plus élémentaire, ne va venir présenter ses condoléances aux familles qui attendent à quelques mètres. Les roms sont-ils dangereux ? Manuel Valls aurait-il peur de femmes et d’enfants tétanisés par la douleur ? Un geste, une parole, un simple regard d’un ministre pour dire aux familles que la République Française s’incline devant leur douleur ? Non, rien, rien de rien. Roms vous êtes, roms vous resterez. Au contraire, Valls, oubliant la souffrance dans laquelle sont plongées les familles endeuillées va réaffirmer le leit-motiv de sa pré-campagne présidentielle qui est également devenu le fondement de la politique du gouvernement français contre la minorité rom : « Il faut poursuivre le travail de démantèlement et d’évacuation des campements », « comme l’a si bien commencé Nicolas Sarkozy  » aurait-il pu ajouter. Aucune pudeur, aucune retenue. Alors qu’il a sous les yeux le résultat de plusieurs années d’expulsions à répétition, il répète inlassablement les même paroles et promet la même politique qui est responsable de la mort de 3 personnes. Valls tient absolument à continuer la chasse aux femmes, aux enfants, aux vieillards. Il tient absolument à les condamner à vivre dans des endroits de plus en plus dangereux quitte à ce qu’ils en meurent.

Madame Taubira, qu’on a connu plus inspirée se contente d’approuver les propos de son ministre de tutelle, comme si elle n’avait plus aucun rôle politique et humain à jouer après sa loi sur le mariage homosexuel.

Au moment de repartir, Valls se fait interpeller par un homme. Le ministre refuse de parler à un père et une mère qui sont submergés par la douleur d’avoir perdu un fils, mais il n’hésite pas à venir serrer la main d’un riverain qui demande l’expulsion des familles depuis des mois. Le voisin se plaint de vivre dans des «  conditions épouvantables », abandonné de tous (rassurez-vous, il n’a jamais mis les pieds dans le squat, il parle seulement de la vue depuis son balcon). Valls vient le saluer et tenter de répondre à ses critiques. Alors que la discussion s’engage et que les journalistes commencent à enregistrer l’échange, monsieur Carenco, préfet de région, visiblement sur-excité repousse violemment plusieurs d’entre eux afin d’éviter une médiatisation des propos le mettant en cause.

Carenco. Préfet sous Sarkozy, préfet sous Hollande. Préfet pour toujours ? On garde les mêmes pour appliquer la même politique raciste de stigmatisation des étrangers. A Lyon, on gaze les enfants roms (2) on les parque dans des classes ghetto (3) et on met en garde-à-vue des bébés (4). En revanche on n’applique pas la circulaire inter-ministérielle censée apportée d’autres solutions que les expulsions. Carenco sera-t-il aussi préfet sous Le Pen ? « Le préfet de région a une grande part de responsabilité… Sur le terrain les expulsions se poursuivent malgré la circulaire du 26 août 2012 » accuse le sénateur Guy Fischer.

Dans l’après-midi, alors que journalistes et politiques sont partis, les proches des victimes attendent que les pompiers sortent les corps du bâtiment. L’ambiance sur la place est lourde. L’odeur âcre de la fumée fait mal à la gorge. Certains espèrent toujours et demandent désespérément s’il est possible qu’il y ait encore des survivants : « Il ne sont peut-être pas morts… ». Alors que la grande échelle s’approche d’une fenêtre afin de permettre à un pompier de prendre des photos, plusieurs dizaines de personnes s’approchent du bâtiment en criant le nom de l’enfant : « Béni, Béni » Face à ce mouvement de foule, un policier bien formé à l’école de Valls se fait menaçant et sort de son gilet une bouteille de gaz lacrymogène histoire de montrer aux femmes et aux enfants de quel bois il se chauffe. Pendant plusieurs heures, les familles sont totalement abandonnées à leur sort. Une femme perd connaissance plusieurs fois. La police municipale, à quelques mètres reste les bras croisés. Il n’y a aucun médecin, aucun psychologue, aucun soutien.

Mardi matin, alors que les corps calcinés de Beni, Pamela et Patrina viennent à peine d’être sortis des décombres fumants de l’immeuble, le préfet Carenco ordonne l’expulsion d’un nouveau squat. Une trentaine de personnes dont 15 enfants sont jetées à la rue, sans aucune proposition d’hébergement. Elle dormiront dans la rue, avec des enfants en bas âge, dans les conditions d’insécurité que l’on peut facilement imaginer, avant de retrouver un autre squat, probablement encore plus dangereux et insalubre. Valls nous expliquera à nouveau qu’il faut les expulser pour leur plus grand bien. Voilà une preuve de plus du discours mensonger du ministre qui, quelques heures auparavant, soulignait qu’il fallait poursuivre les expulsions tout en proposant des « solutions dignes ». Pour Valls, la rue est plus digne que le cimetière. Je n’en suis pas sur.

L’extrême droite à de beaux jours devant elle. Après Sarkozy, elle peut compter sur Hollande, Valls et les socialistes pour tenir le même discours de haine contre les étrangers et appliquer la même politique discriminatoire et hors la loi contre les roms. La France profonde applaudit, l’Union Européenne, pas son silence est complice. Marine Le Pen se frotte les mains. Manuel Valls, lui, ne pense qu’aux présidentielles. Le fait que son chemin soit désormais parsemé de cadavres ne le perturbe pas un seul instant. « Il faut continuer le travail  » ose-t-il dire.

Mardi soir, la préfecture du Rhône fait savoir que les expulsions vont s’accélérer dans les jours à venir. La chasse aux Roms est ouverte. La campagne des municipales également.

Valls prétend que les roms n’ont pas vocation à s’intégrer en France. En les obligeant à vivre comme des chiens errants à la rue ou à brûler vifs dans des squats ils est certain d’avoir raison.

 

(1) http://www.mediapart.fr/journal/france/130513/les-roms-sont-comme-nous-ils-ont-besoin-de-lumiere

(2) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/120113/la-police-gaze-des-enfants-et-saccage-un-camp-de-roms

(3) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/260113/une-classe-reservee-aux-enfants-roms-dans-un-poste-de-police

(4) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/050113/un-bebe-en-garde-vue-accuse-d-avoir-mendie


Témoignage.

Mis en ligne le 14 mai

Bonsoir,

Ce matin à 6h1/2, je croyais arriver sur ce squat pour une expulsion éventuelle dans les 2/3 jours comme la police nationale l’avait signifiée aux familles il y avait quelques jours en venant relever toutes les identités des parents et également de leurs enfants, ce qui était de mauvaise augure !

Juste avant d’arriver Philippe de CLASSES me téléphonait pour me dire qu’il y avait un incendie dans le squat. La rue était fermée des deux côtés, le squat également interdit. Je retrouvais les hommes qui étaient regroupés en dehors de la "zone de sécurité", ils m’apprenaient qu’il y avait 3 morts, me montrant de la tête un homme qui était seul au bord du trottoir.
C’était Voicu qui pleurait, le père de Béni 12 ans qui était mort dans l’incendie.Ils me disaient également le nom des 2 autres personnes, la maman de 4 jeunes enfants, l’aînée vient d’entrer au collège et
ses 3 autres frères et soeur sont en classe élémentaire, et une jeune femme qui était le "pivot et le soutien" d’une grande famille,(1 frère, 3 soeurs et beaux-frères avec des enfants).

J’apprenais ensuite que l’incendie s’était déclaré vers minuit dans le grand bâtiment qui servait de bureaux d’une entreprise qui avait déménagé dans une autre région..
Les familles rroms étaient arrivées fin septembre/début octobre 2012 suite à des expulsions ces mêmes mois de squats de Vaise, d’Ecully/Vaise, de la route de Genas ....,

Les pompiers seraient venus rapidement et les familles évacuées sur un gymnase du 8ème où la Croix Rouge avait installé des lits de camp, apporté des couvertures et à boire. Plus personne n’était à l’intérieur du squat que ce soit sur le bâtiment principal d’où le feu était "parti", et plus personne dans les préfabriqués dans la cour ni dans le hangar qui est à 200 mètres du bâtiment principal.
A 6h1/2 le feu n’était toujours pas éteint, les pompiers cassaient le toit qui risquait de s’effondrer comme l’avaient été les escaliers montant à l’étage supérieur nous a t-on dit.

Avec Elise une enseignante des écoles de plusieurs enfants, nous sommes allées au gymnase. C’était terrible, les personnes pleuraient, la maman de Béni et les soeurs d’Irina criaient leur douleur,
Que c’est difficile d’avoir le geste apaisant devant ces souffrances ! La Croix Rouge et le Samu étaient auprès des familles, dans l’attente de Médecins du Monde, pris dans les embouteillages.
Puis toute l’équipe de Médecins du Monde est arrivée et les familles ont ressenti leur présence réconfortante, car elles sont celles qui soignent leur corps certes, mais bien au delà elles sont celles et ceux
qui leur apportent une sécurité reconnue par leur compétence qui les rassure et qui est aussi une chaleur humaine dont elles avaient besoin dans ce drame qui les atteignaient tous profondément.

Etaient arrivés sur les lieux la Préfète déléguée à l’Egalité des Chances, des élus de la mairie du 8ème, des élus de la Ville de Lyon ...

Puis avec Aurélie et Isabel de MDM, nous sommes retournés vers le squat où devaient se trouver les hommes dont les femmes et les enfants restaient dans le gymnase. En arrivant sur la place Bellevue
juste à côté,du squat il y avait beaucoup de monde, beaucoup d’hommes, de femmes venus des autres squats ou terrains apporter par leur présence un soutien et un réconfort à ceux et celles qui sont
pour la plupart de leur famille, de leur village.
Avec les retrouvailles de leurs familles qui arrivaient, toutes les douleurs ressurgissaient avec, devant eux, ce bâtiment qui était celui de leur malheur.

Tout le secteur autour du squat était sécurisé, la rue toujours interdite, des voitures de police, des pompiers, des grues et bulldozers qui continuaient un travail très périlleux, d’une part car avec la chaleur qui se dégageait, peut être y avait-il des risques d’explosion de bouteilles de butane ... d’autre part les pompiers étaient obligés de stabiliser avec des planches cette partie de l’immeuble qui risquait de s’effondrer, sans avoir eu le temps de dégager les corps des personnes décédées et s’assurer qu’il n’y ait pas d’autres victimes.

Les familles regardaient anxieuses les travaux, une fenêtre était dégagée, puis une autre au bout d’une heure ... les familles attendaient que les corps soient sortis et leur soient rendus ... Le commandant de la police qui était une femme est venue expliquer aux familles, avec beaucoup de précautions, que les travaux étaient importants et que les corps ne pourraient être sortis avant demain. Qu’ensuite ils devraient être transportés à l’Institut Médico Légal pour connaître les raisons des décès, ensuite ils seraient rendus aux familles. Cela leur a été expliqué plusieurs fois, avec également un policier roumain qui a pu trouver les mots qu’ils pouvaient entendre.

Puis nous sommes reparties au gymnase, où nous avons appris que des personnes de l’OFII (Office Français Immigration Intégration) étaient passées avec des documents à signer par les personnes "souhaitant" des Retours Volontaires en Roumanie ... incroyable ! Elles ont été repoussées avec "célérité".
La Croix Rouge devait quitter le gymnase sa mission d’urgence prenant fin, laissant la place à Notre Dame des Sans Abris pour les 15 jours où doivent rester les familles dans ce gymnase, certainement
afin de trouver des solutions qui doivent être dignes et durables.

Ce soir, Evelyne de la Pastorale des Gens du Voyage m’a téléphoné pour me dire que les corps avaient été sortis du bâtiment par les fenêtres. Chaque fois qu’un corps sortait les familles l’appelaient
en pleurant, Evelyne me disait que cela avait été très douloureux.
Puis les pompiers sont venus vers les familles, leur ont expliqué que les corps étaient emmenés à l’Institut Médico Légal et que les corps leur seraient remis demain.
Et avec beaucoup d’émotions, ils leur ont dit qu’elles avaient été très dignes et qu’ils les remerciaient.

Au fait, je ne vous ai pas dit ce qui avait provoqué cet incendie : d’après les pompiers, c’est une bougie posée sur une poutre en bois qui a mis le feu.

Au fait, je ne vous ai pas dit non plus que la mairie avait coupé l’électricité il y a une dizaine de jours... dommage, c’est plutôt une sécurité pour s’éclairer !

Au fait, je ne vous ai pas dit que pour y voir en fin de journée, il y a toujours les bougies ... dommage, c’est dangereux !

Au fait, qui a pris des décisions qui mettaient en danger au moins une centaine de personnes dans ce bâtiment ? ... dommage, ils n’y avaient pas pensé !

J’oubliais, Manuel Valls est passé sur le squat à midi. Pour lui c’est un exemple de ce qui ne devrait pas exister ! aussi "l’évacuation des campements illicites continuera".

Gilberte Renard, militante de CLASSES (Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et le Soutien aux Enfants des Squats)

.

PS. Ceux du grand bâtiment où tout a brûlé, ont tout perdu notamment leurs papiers : cartes d’identité, passeports, extraits de naissance des enfants, certificats médicaux, certificats de
scolarité, assurances ...

Catherine

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