Une tribune pour les luttes

AGCS, BOLKESTEIN ET TRAITE CONSTITUTIONNEL EUROPEEN

Intervention de Raoul Marc JENNAR

Article mis en ligne le mardi 19 avril 2005

Intervention lors de la Conférence pour une Europe Sociale et Démocratique, Paris,
3 avril 2005. Raoul Marc JENNAR est chercheur militant, signataire de l’Appel des 200.

1. BOLKESTEIN : UN ENFANT DE L’AGCS [1]

1.1 Appliquer l’AGCS à l’Europe pour pouvoir l’imposer aux autres ensuite

Les négociations de l’AGCS « soulignent la nécessité pour l’Union européenne d’établir rapidement un véritable marché intérieur des services pour assurer la compétitivité des entreprises européennes et pour renforcer sa position de négociation » (p.16 - exposé des motifs de la proposition Bolkestein)

1.2 Mêmes cibles : les services, sans que les services publics soient épargnés

AGCS :
article I,3 : les "services" comprennent tous les services de tous les secteurs à l’exception des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental ; un "service fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental" s’entend de tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services.

Bolkestein :
Article 2,1 : « La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans unEtat membre. » Article 4, 1 : « service : toute activité économique non salariée consistant à fournir une prestation qui fait l’objet d’une contrepartie économique. »

1.3 Même objectif : libéraliser, en fait privatiser :

AGCS :
réduire ou éliminer les effets défavorables de certaines mesures sur le commerce des services en vue d’élever progressivement le niveau de libéralisation (art. 19.1)

Bolkestein :
éliminer les obstacles à la liberté d’établissement et de circulation des services qui empêchent une concurrence libre et non faussée (articles 9 à 15 et 20 à 23)

1.4 Mêmes modes d’applications :

Mode 1 : services fournis depuis le pays d’origine

Mode 2 : services faisant appel à la mobilité du client

Mode 3 : services investis dans un autre pays

Mode 4 : services faisant appel à la mobilité du personnel

1.5 Même agression contre les pouvoirs locaux :

AGCS :
chaque Membre prendra toutes mesures raisonnables en son pouvoir pour que, sur son territoire, les gouvernements et administrations régionaux et locaux (article I,3)

Bolkestein :
Obstacle pénalisant le commerce des services : « le pouvoir discrétionnaire des autorités locales. » (document IP/02/1180 du 31.07.2002, préparatoire à la proposition

1.6 Une application aggravée de l’AGCS

a) La directive ayant libéralisé tous les services dans le marché intérieur, les Etats de l’Union ne bénéficieront plus de la disposition de l’AGCS qui leur laisse la maîtrise du choix des services auxquels ils décident d’appliquer l’AGCS (les « offres »).

b) un mode 4 aggravé : le principe du pays d’origine : Article 16, 1 : Les Etats membres veillent à ce que les prestataires soient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur Etat membre d’origine.

1.7 Un renforcement des pouvoirs de la Commission :

Dans les négociations sur la mise en œuvre de l’AGCS, la Commission disposera d’un pouvoir de contrôle sur les services fournis par les pouvoirs locaux et régionaux.

2. BOLKESTEIN : UNE CONCRETISATION DE LA « STRATEGIE DE LISBONNE »

La stratégie adoptée à Lisbonne il y a cinq ans formule les objectifs qui complètent l’Acte unique européen et le traité de Maastricht en s’alignant sur les accords de l’OMC.

La « stratégie de Lisbonne » prétend, comme l’a si bien dit Francis Wurtz, « faire du social avec du libéral » et que cette stratégie se traduit, cinq ans après sa mise en œuvre, par un échec retentissant caractérisé par 19 millions de chômeurs, mais par des bénéfices d’une ampleur rarement atteinte pour les firmes privées, caractérisé par une précarité jamais atteinte en Europe depuis 1945 ;

Cette « stratégie de Lisbonne » prétend atteindre ses objectifs en dérégulant davantage, en flexibilisant toujours plus, en facilitant les délocalisations et s’avère être, dans les faits, l’instrument inavoué du démantèlement d’un modèle social européen pourtant imparfait ;

Cette stratégie est à l’origine de principes comme le « principe du pays d’origine » ou le « principe de la reconnaissance mutuelle » dont la raison d’être avouée par la Commission européenne est de permettre l’abandon de la technique de l’harmonisation.

Ces principes sont inscrits dans la proposition Bolkestein.

3. BOLKESTEIN : UNE ANTICIPATION DU TRAITE CONSTITUTIONNEL

3.1 Une même définition des services

Article 4, 1de la proposition services : « service : toute activité économique non salariée consistant à fournir une prestation qui fait l’objet d’une contrepartie économique. »

Article III-145 du TCE : « Aux fins de la Constitution, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération (...). »

3.2 Une anticipation radicale des « libertés fondamentales » de l’U.E.

Article 1de la proposition services : « La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires de services ainsi que la libre circulation des services. »

Article I - 4 du TCE : « Libertés fondamentales » : « La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ainsi que la liberté d’établissement sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci. »

3.3 Les objectifs de la directive proposée sont ceux du traité constitutionnel proposé

Article 1de la proposition services : « La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires de services ainsi que la libre circulation des services. »

Article III-144 du TCE : « (...) les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites (...). »

4. REJETER LE TRAITER, C’EST REJETER BOLKESTEIN, C’EST STOPPER LA STRATEGIE DE LISBONNE ET BLOQUER L’AGCS

Article I-4 du TCE : Libertés fondamentales » : « La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ainsi que la liberté d’établissement sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci. »

Article III-314 du TCE : « ...l’Union contribue (...) à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux.. »

Article III-147, 1 du TCE : « La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé. »

Article III-148 du TCE : « Les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne. »

• parce que le traité constitutionnel est en fait une adaptation des règles de fonctionnement de l’Union européenne aux accords élaborés dans le cadre de l’OMC ;

• parce que, comme on l’a vu, la proposition Bolkestein constitue en fait une version européenne aggravée d’un de ces accords, en l’occurrence l’AGCS ;

• parce que l’un comme l’autre sont empreints du néolibéralisme formulé dans la fameuse « stratégie de Lisbonne » ;

rejeter le traité constitutionnel, c’est non seulement exprimer un rejet de la proposition européenne sur les services, mais c’est également exprimer notre refus de la « stratégie de Lisbonne » et notre rejet de l’AGCS et d’une manière générale de tous ces textes qui en fait ne poursuivent qu’un seul et même but : déréguler pour exploiter.

4. NOS EXIGENCES

Etre fidèle aux idéaux universels et intemporels de la gauche, qui échappent aux modes et aux médiatisations circonstancielles, c’est refuser toute concession sur la question des services publics. C’est rompre avec les dérives néolibérales imposées par la Commission européenne depuis Jacques Delors, avec les dérégulations imposées par l’Organisation Mondiale du Commerce depuis les Accords de Marrakech, avec les objectifs de la « stratégie de Lisbonne. » En conséquence, ceux qui entendent construire une Europe fidèle aux valeurs dont elle est l’origine doivent se donner 5 objectifs :

4.1 reconnaître la notion de service :

De manière principielle, la notion de service doit échapper à toute référence commerciale. Il s’agit d’une notion qui est étroitement liée aux droits collectifs. Ainsi on parle du service de l’enseignement, du service de la santé, du service de la culture, du service de l’eau, du service des transports, du service postal. Le service, c’est une prestation due à toutes et tous parce qu’elle met en œuvre un droit.
Dès lors qu’il s’agit de rendre égal pour tous l’exercice d’un droit par une activité de service, celle-ci ne peut faire l’objet d’une activité commerciale respectant les règles de la concurrence et obéissant à la logique de la rentabilité.

4.2 reconnaître le concept de service public (en rejetant SIG et SIEG) :

Le service public, c’est l’outil dont doivent pouvoir disposer les pouvoirs publics afin qu’un certain nombre de droits collectifs puissent être exercés par toutes et tous, dans la plus complète égalité. Le service public, c’est l’instrument par excellence de l’égalité des droits. Nous entendons conserver ces deux mots et nous rejetons les expressions forgées par les technocrates au service du patronat (Service d’Intérêt Général ; Service d’Intérêt Economique Général).

4.3 interdire l’application des règles de la concurrence aux services publics :

Les critères de rentabilité, les règles de la concurrence sont incompatibles avec le principe du service. Les imposer, c’est choisir de réserver un certain nombre de services de base à ceux qui peuvent se les payer. Les refuser en choisissant de mutualiser le coût de ces services, c’est procéder au choix d’une société de solidarité, c’est confirmer l’objectif d’égalité comme un objectif majeur.

4.4 extraire les services publics des contraintes liées à l’euro :

L’article Article III - 184, 2 : « La Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique des Etats membres pour déceler les erreurs manifestes. » Les services et leurs implications budgétaires ne peuvent en aucun cas constituer des « erreurs manifestes. »

4.5 permettre la constitution de services publics à l’échelon de l’Union européenne :

Les règles relatives à la concurrence inscrites dans le TCE, celles qui concernent la libéralisation des services déjà citées, interdisent la création de services publics de taille européenne dans des secteurs où cela pourrait s’avérer pertinent. Ceci est une raison supplémentaire pour rejeter ce traité et formuler cette exigence.

POUR CONCLURE

Parce que le rejet du traité constitutionnel signifie aussi le rejet du néolibéralisme de l’AGCS d’une part et du néolibéralisme de la stratégie de Lisbonne d’autre part, les directives du type Bolkestein sont évitables si le traité constitutionnel est rejeté. Le modèle de société que nous voulons ne se trouve ni dans les accords de l’OMC, ni dans les propositions de la Commission européenne, ni dans le traité constitutionnel. Nous voulons un modèle de société qui soit fidèle aux fondamentaux qui caractérisent l’Europe au moins depuis le siècle des Lumières : laïcité, souveraineté issue de la seule volonté populaire, séparation des pouvoirs, contrôle de l’Exécutif par le Législatif, droits sociaux fondamentaux, services publics, primauté de la force du droit sur le droit de la force. Tous ces principes fondent l’Europe.
Aucun ne se trouve consacré et mis en œuvre dans le traité qui nous est proposé.

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Notes

[1Accord Général sur le Commerce des Services

[2Accord Général sur le Commerce des Services

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