Une tribune pour les luttes

Grèce
Amorgos et la dignité

Panagiotis Grigoriou. Historien et Ethnologue

Article mis en ligne le samedi 3 août 2013

A lire avec les photos sur :
http://www.greekcrisis.fr/2013/08/Fr0263.html

vendredi 2 août 2013

Depuis un moment déjà, notre pays plonge pour de bon. Certains analystes d’ici et d’ailleurs nous annoncent même le pire pour la dite rentée. D’ailleurs, depuis cette semaine, les listes contenant les noms des fonctionnaires qui seront licenciés circulent officiellement, entre les ministères et la sphère Internet. Donc c’est fait. Athènes se vide toutefois relativement, et quant à Amorgos, l’île du très grand bleu, elle plonge à sa manière depuis quelques jours dans la tristesse. L’archipel du pire, alors on y est. Un retraité, habitant d’Arkesini d’Amorgos s’est en effet suicidé mardi 30 juillet au matin. Il n’aurait pas supporté le licenciement de son fils, musicien à l’orchestre symphonique de la radiotélévision publique ERT. À Arkesini, petit hameau au sud-ouest du chef-lieu appelé Chora, et comme ailleurs sur l’île c’est le choc.

Le reportage sur le site d’information des Nouvelles de Naxos, rapporte que : “ce retraité âgé de 75 ans, originaire d’Arkesini, a mis fin à ses jours mardi dernier 30 juillet vers 7h du matin. Il sombrait déjà dans le désespoir, après le licenciement de son fils. Le retraité, d’après les informations que nous avons pu recueillir et de sources fiables, n’a pas pu supporter le chômage de son fils, marié et père de deux enfants, alors que lui-même, n’arrivait plus à les aider financièrement. Car le vieil homme, assistait et soulageait déjà en permanence son autre fils, alors malade chronique. Le fait est que le montant de sa maigre retraite, puis, l’accumulation des malheurs, l’auraient visiblement amené à prendre cette décision. Depuis même le jour où le poste de son fils au sein de l’ensemble musical de l’ERT fut supprimé, le retraité, ne dissimulait plus son immense angoisse, en présence des autres habitants du hameau. Et au fil des jours, son moral descendit alors au plus bas, ne pouvant plus accepter le fait qu’il ne parviendrait pas à assister son fils, ainsi que sa famille. Mardi, il a donc quitté son domicile très tôt. Quelque temps après, son corps a été retrouvé inanimé au fond du réservoir des eaux pluviales de sa commune. Personne n’arrive à croire comment ce vieil homme aurait trouvé la force de soulever le lourd couvercle du réservoir d’eau, pour ensuite passer à travers, donnant ainsi et si affreusement, fin à sa vie. Son épouse, devient désormais tout autant, une figure tragique du drame familial. La population à Amorgos est dépassée par cette tragédie, cela relève de l’incroyable comme on dit. Néanmoins, les causes de ce suicide font tout autant, énormément réfléchir”.

Nos clichés unanimement paisibles sur Amorgos, seraient alors brisés tout d’un coup. Dans le blog des journalistes ERT, Dimitra Dasi, à la date du 31 juillet, notait déjà ceci : “En quittant les locaux du Tribunal de la rue Evelpidon aujourd’hui, j’ai reçu un appel d’une collègue. Les larmes aux yeux, elle m’a alors communiqué la nouvelle : Pantelis Theologitis, père de notre ami et collègue à l’Orchestre de musique moderne - ERT, vient de se suicider chez lui, à Amorgos. Il n’a pas supporté l’injuste licenciement de son fils... Voilà encore, un suicide de plus, et qui s’ajoute à la si longue liste. Cependant, ce suicide a bien fini par nous briser, moi personnellement, comme nous tous d’ailleurs, alors membres des ensembles musicaux. Je ne sais pas dans quelle mesure cette nouvelle sera finalement reproduite par les radios ou par les télévisions et même si elle doit l’être. Peut-être que tout cela, sera considéré comme démagogique. Mais enfin, lorsque j’observe et ceci quotidiennement, l’abolition de la démocratie, lorsque tous de jours ici même au bâtiment de la radiotélévision ERT devant mes yeux, les vies de tant d’amis et de collègues se font ainsi briser sans la moindre réaction de la part des gens... j’essaye tout simplement de trouver une astuce pour les réveiller. Eux, et également tous ceux qu’insouciants, continuent à boire leur café glacé sur la plage”.

En effet, depuis le week-end dernier, neuf techniciens, journalistes ainsi que des activistes parmi eux, sont poursuivis et d’ailleurs ils ont été condamnés rue Evelpidon, suite à l’intervention de la police dite anti-émeute près des émetteurs du mont Hymette. Non, et n’en déplaise à la Gauche radicale, la “bataille de l’émetteur” n’est pas gagnée.

Notre pays aux boutiques et aux émetteurs fermés... se renferme davantage dans les petitesses de sa méta-démocratie. Ses ouvertures notoires, telles les Cyclades, ne le sont et ne le seront finalement que pour les touristes, les prétoriens, les “funds” vautours, ou... les aveugles ! La Grèce en danger, elle se transforme autant... en pays dangereux. Parfois de manière trop flagrante, et parfois en catimini pour ne pas faire mauvaise presse. Pays alors dangereux, pour ses travailleurs, ses habitants, ses immigrés, et même paraît-il, ses touristes. Cette semaine en Crète, trois touristes allemands auraient été agressés et frappés, d’après le reportage, “les agresseurs auraient été motivés par la nationalité de leurs victimes. Les trois allemands agressés n’ont pas souhaité leur transfert à l’hôpital.”. Plus tard, la... rumeur venue en bonus, affirmait que les trois allemands auraient déjà quitté la Grèce, ne souhaitant plus y poursuivre leurs vacances. On comprend. On comprend autant, que cette “nouvelle” ou nouvelle, se soit rependue aussitôt sur Internet d’abord, mais sous forme de rumeur. Elle a été ensuite démentie par la police locale, dans un communiqué, où il est précisé qu’aucune plainte relative n’a été déposée dans ce sens.

La Grèce entière et jusqu’en Crète se transforme en pays qui grince, et ses... grincheux, peuvent alors s’occuper davantage de ces rumeurs, plutôt que des nouvelles du jour. Comme par exemple, du licenciement annoncé, par le ministre lui-même jeudi 1er Aout, de la suppression de 1.500 postes de fonctionnaires, praticiens et agents à la Santé Publique, dont deux cent médecins. C’est également et surtout en cela, que nos visiteurs doivent comprendre et accepter certains dangers de notre pays.

Dans une lettre adressée au ministre de la Santé et publiée par la presse locale le 12 juillet, le maire d’Amorgos Nikitas Roussos, dénonce en effet une situation déjà difficile, mais qui devient désormais insoutenable. Il proteste vivement suite au refus du SAMU grec d’évacuer par hélicoptère un blessé de la route depuis Amorgos. Et ceci, en dépit de demandes incessantes et insistantes des médecins d’Amorgos. Le malheureux blessé, déjà resté huit heures durant au dispensaire d’Amorgos sans que les médecins ne puissent agir efficacement au-delà des premiers secours, il fut finalement transféré en caïque jusqu’à Naxos, le tout par une très grosse mer. Les médecins du dispensaire de Naxos n’ont fait que constater la gravité de son cas, et demander à leur tour son transfert urgent vers Athènes. Finalement, et face à l’écœurement des médecins et l’indignation de tout le monde, le SAMU s’est résolu à dépêcher son hélicoptère à Naxos.

Par chance mais seulement par chance, la vie du blessé d’Amorgos fut sauvée. D’après Nikitas Roussos, “cet accident nous donne l’occasion de protester vivement et une fois de plus, de la manière dont sont considérées et ainsi gérées les urgences de ce type. Celles d’Amorgos, mais aussi des autres îles, ce qu’indéniablement, met en danger la vie des habitants. Mais encore, et plus précisément, nous nous demandons ceci : Pourquoi a-t-il fallu s’y résoudre à transporter ce blessé jusqu’à Naxos par caïque et par une telle météo de vent de force 8 ? Ce qui comportait le risque d’aggraver l’état de cet homme, étant donné ses traumatismes à la nuque et à la colonne vertébrale. Pour en plus finalement, s’y résoudre à l’évacuer par hélicoptère depuis Naxos ? Quels critères scientifiques auraient-elles ainsi motivé ces décisions au sein du SAMU, ou alors, les critères retenus relèveraient-ils alors d’une autre finalité ? Ces questions sont il faut dire, dans la bouche de tous les habitants des Cyclades, car c’est suite à la multiplication de cas pareils, que la population en déduit, combien la vie des insulaire, n’a plus aucune valeur, aux yeux des gouvernants en tout cas. En outre, je tiens à préciser qu’agissant de la sorte, le transfert de ce blessé aurait ainsi coûté le double que prévu. Mais c’est surtout sa vie qu’a été mise en danger, ce qui ne semble point faire partie des premières priorités du gouvernement”.

Nos visiteurs, alors stoïques et philosophes, et qui parfois à bord des ferrys abordent à travers leurs lectures l’histoire de la Guerre du Péloponnèse, sans doute pour comprendre, ou pour enfin méditer sur les epilégomènes de la géopolitique, devraient de temps à autre méditer au même titre sur... leurs éventuels termes de leurs contrats d’assistance en cas d’urgence médicale. Car après-tout, ils pénètrent une zone connue pour son... chaos originel, devenue même... original, depuis l’avènement du dernier totalitarisme austéritaire. Nos simplismes à la carte postale ne sont plus, et par delà même, la litote authentique n’est pas à confondre avec la pauvreté, Elytis le poète nous en avait déjà suffisamment prévenus en son temps.

On comprendra alors... l’apparition de certains nouveaux dangers potentiels, faisant ainsi suite au démentiellement volontaire du système de santé et des urgences médicales en Grèce, du côté du grand bleu d’Amorgos ou à Naxos. C’est comme une forme de retour au passé, entend-on dire ici ou la en hochant bien la tête. Dans les Cyclades toujours, les demeurants éternels de la nécropole de Rhénée et anciens de Délos, en savent définitivement quelque chose.

Depuis fin juillet déjà et au centre d’Athènes, on nettoie et on restaure les monuments contemporains de la place de la Constitution et d’ailleurs. D’ailleurs, non sans une certaine frénésie soudaine. Notre image doit ainsi être embellie pour redevenir présentable, notamment, aux yeux des touristes. Le pays ainsi dépecé par les “funds” vautours devrait garder un semblant d’allure et si possible le sourire forcé, rappelant celui, souvent à moitié figé que l’on découvre sur les lèvres du sinistre Antonis Samaras. Gouvernés par le néant, nous entrerions définitivement dans l’ère du grand vide.

Nos touristes, auront ainsi vu et peut-être bien apprécié, les récents travaux de restauration au centre-ville en ce début Août. Et quant à nos autres restaurations alors historiques ou plutôt d’un certain futur au goût amer du déjà vu, elles devraient leur rester si possible invisibles. La presse du jour datée du 2 Août que les touristes ne lisent pas et pour cause, apporte ses précisons quant aux presque dix mille fonctionnaires et agents dont les postes sont supprimés. Tout ou presque, est décidé et introduit par décret. Notre “Parlement” inexistant est alors haï, sauf que par transition c’est ainsi que la démocratie, vraie ou fausse qui perd ses symboles et son attrait, après avoir perdu déjà sa vie ! Les derniers masques du régime tombent, tout juste, derrière nos plages bondées du moment. La Grèce, c’est la plage, la démocratie, ainsi que son énorme plagiat. Alors souriez, c’est l’été, le soleil, plus l’Aube dorée. Je remarque qu’en ces derniers temps, les journaux Aubedoriens, comme plus généralement l’ensemble de la presse de la très extrême droite, trouvent une place de choix sur certains présentoirs des kiosques.

Le choix politique qui nous est “offert”, se résume à celui, entre l’extrême-droite de la social-démocratie du Pasok et de la Nouvelle démocratie réunis, et de la très extrême-droite de l’Aube dorée. L’ironie de la petite histoire tordue d’emblée, c’est que SYRIZA semble vouloir incarner un certain “centre”. Sauf que la grande matrice de l’historicité méta-démocratique s’avère être une redoutable centrifugeuse sociale et politique. Touristes ou pas, à Athènes, c’est déjà l’âge des extrêmes, même après deux verres d’expresso glacé.

La presse économique de ce vendredi, autrement-dit l’ensemble de la presse depuis déjà longtemps car il n’y a plus de presse autre qu’économique, tire la sonnette l’alarme faisant part de sa vive préoccupation concernant la baisse de 5% des recettes fiscales depuis six mois. Cette “dette” des personnes physiques et morales du... para-pays, avoisine désormais les soixante milliards d’euros.
Ce qui n’a plus l’air de concerner le grand nombre, ce n’est plus notre affaire. Au contraire, je remarque ainsi que ces dernières semaines sur le marché du coin, plus personne presque n’imprime les facturettes, et d’ailleurs il n’y a plus grand monde pour les réclamer non plus. À défaut du moindre contrat social et de normes respectées, ce que l’on entend sur les marchés de notre baronnie, c’est sous forme d’insultes proférées et qui alors fusent sans la moindre retenue. Bien évidemment à destination des politiques. “C’est dommage que nous ne puissions pas nous organiser pour ainsi liquider ces politiques, finalement nous n’avons pas été formés pour, et ceci hélas, contrairement à nos ancêtres, c’est honteux”, a lancé ce matin le vendeur de figues de Barbarie.

Nous entrerions ainsi dans une représentation du monde et des rapports alors binaire, “nous et eux”, “la vie et la mort”, et ceci semble-t-il, n’épargne plus nos îles ni leurs hameaux, tel Arkesini de Pantelis Théologitis. Binaire, autrement-dit fasciste. Restent nos figues, à deux euros le kilo en ce moment !

Conséquemment, nos résistances, à défaut d’être efficacement politiques, seraient plutôt culturelles, émotionnelles ou liées à nos “humeurs”, dans la mesure où elles se pratiquent par ceux qui en seraient encore capables, au mieux, 30% de la population. Pour de nombreux autres... l’axe paradigmatique du “lifestyle” aurait déjà accompli le reste, avant même l’avènement troïkan. Heureusement que nos libraires ne se laissent pas abattre, leurs vitrines demeurent toujours ces extraordinaires ouvertures, à la fois vers le passé, mais également, vers l’avenir à reprendre en main.

Et en ce vendredi 2 août, même l’éditorialiste au quotidien progouvernemental “Kathimerini”, estime que quelque part, nous aurions perdu notre parcours collectif, à l’image de cette chatte perdue du centre-ville, étrangement nommé “Parcours”.

C’est ainsi que nous espérons retrouver Parcours, ainsi que nos autres parcours en Égée du Nord et si possible jusqu’en Crète. Sauf que la traversée risque d’être encore longue. Nous armons alors de patience comme on peut. Ces derniers temps, de nombreux amis qui ne partiront pas en vacances, se débranchent alors sciemment de l’actualité, des médias, presse écrite comprise. “De gauche ou pas, la presse n’est qu’un faisceau organisé de tristes nouvelles. Pour leur survivre et même afin d’agir politiquement si possible le moment venu, il va falloir s’en détacher, lire autre chose, se tenir plutôt au courant des activités du congrès international de philosophie qui s’ouvre à Athènes cette semaine, reprendre Aristote, s’y rendre à Amorgos pour son soleil levant où à défaut, y penser... mais tout doucement” affirmait avec insistance ce matin mon ami Markos, l’informaticien. Le mot sonne tout de même étrangement : “faisceau”.

“Tenir le soleil dans ses mains sans être brûlé, le transmettre comme une torche à ceux qui viendront après nous, est un acte douloureux, mais je crois, un acte béni. Nous en avons besoin. Un jour, les dogmes qui maintiennent les hommes enchaînés seront défaits devant une conscience tant inondée de lumière car unie au soleil. Et il adviendra les rivages idéaux de la dignité humaine et de la liberté”, avait dit Odysseus Alepoudhélis de son vrai nom, Elytis, poète de la mer Égée.

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