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Poignet brisé et tympan perforé, un Toulousain porte plainte contre la police

+ Blessé par un tir de flash-ball, Joan Celsis mène un combat judiciaire depuis quatre ans

Article mis en ligne le lundi 2 septembre 2013

Xavier Lalu

2 septembre 2013

http://carredinfo.fr/poignet-brise-et-tympan-perfore-un-toulousain-porte-plainte-contre-la-police-29181/

­Lors de la précédente fête de la musique, un jeune homme dit avoir subi de graves violences policières lors d’une interpellation qu’il juge arbitraire. Il se confie tandis qu’une plainte a été déposée au parquet de Toulouse.

Dans le bureau de son avocat Me Julien Brel, Alain* montre ses poignets. Plus de deux mois après les faits qu’il s’apprête à raconter, on distingue nettement des traces rougeâtres évoquant des bracelets de menottes. Plus haut sur le poignet gauche, une cicatrice remonte l’avant-bras sur une dizaine de centimètres. Poignet cassé et tympan perforé, Alain a déposé plainte « pour des faits de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique et ayant entraîné une incapacité totale de travail de trois jours ».

Il est trois heures du matin dans la nuit du 21 au 22 juin 2013. Devant un établissement de nuit du quartier Arnaud Bernard, Alain explique qu’il tente de calmer une bagarre. Soudain, trois hommes font irruption dans la mêlée ; se saisissent d’Alain et le clouent au sol. «  Rien n’indiquait qu’ils étaient de la police, ils ne portaient pas de brassards », se souvient le jeune homme. « On a compris lorsqu’ils se sont mis à trois sur moi pour me passer les menottes. » Ses amis tentent de calmer la situation mais sont frappés par des matraques.

Les policiers décident alors d’embarquer Alain, toujours immobilisé à terre. Afin de le relever, l’un d’entre eux tire sur la chaîne des menottes pour le « traîner » jusqu’à la voiture. «  J’ai ressenti une douleur extrême dans le poignet gauche à ce moment là », continue Alain. Son poignet sera brisé en deux endroits. Avant d’entrer dans le véhicule, le jeune homme est projeté la tête la première contre la carrosserie puis embarqué direction le commissariat de l’embouchure du canal.

La liste des blessures est longue : multiples hématomes au visage, une perforation du tympan gauche, une importante contusion de la cheville, une marque de 15 centimètres sur la jambe et des blessures dans le dos …

Durant le trajet, il raconte être giflé et insulté. Toujours menotté à son arrivée, Alain est bousculé une première fois tête en avant contre un mur. Sa tête servira ensuite à ouvrir une porte battante. Jeté au sol, Alain reçoit alors des coups dans les côtes puis est laissé seul une heure, toujours menotté, appelant à l’aide en vain. « Ces coups-là, c’est les plus petites violences que j’ai reçues », témoigne-t-il. Ce n’est finalement qu’à 6 heures du matin, trois heures après son arrestation, que des fonctionnaires en uniforme, «  la relève  » d’après lui, l’emmènent aux urgences. Alain reste trois jours à l’hôpital où il subit une opération du poignet.

Le lendemain de sa sortie, quatre jours après son passage au commissariat, il se fait examiner par le service de Médecine légale qui constate notamment de multiples hématomes au visage, une perforation du tympan gauche, une importante contusion de la cheville, une marque de 15 centimètres sur la jambe et des blessures dans le dos sur une zone de « 10 cm de diamètre  ». Une partie des blessures constatées dans le rapport dont nous avons pu prendre connaissance.

Cette version de cette nuit du 21 juin est celle présentée par Alain et constitue le corps de la plainte qu’il a déposé au parquet de Toulouse le 15 juillet dernier. Car Alain veut comprendre et surtout dénoncer ces pratiques. « Ils ne m’ont jamais rien dit ou expliqué pourquoi j’étais là. Et je n’ai aucun papier justifiant de mon passage au commissariat. »

Contacté, le parquet confirme le dépôt de plainte mais «  ne se prononce pas pour le moment, tant qu’il n’y a pas de résultat d’enquête ». Du côté des services de Police, on ne confirme ni les faits ni une éventuelle enquête mais l’on se contente de préciser que dans le cas « d’enquêtes effectuées lorsqu’un policier est mis en cause, c’est le Procureur de la République qui saisit soit le Cabinet d’audit, d’étude et de discipline soit l’IGPN de Bordeaux ».

Une enquête est donc bel et bien en cours même si Julien Brel, l’avocat d’Alain, regrette de «  n’avoir pas reçu de nouvelles ». « Les faits de violences policières deviennent une banalité mais là, c’est un stade tout à fait extrême. Il faut faire en sorte que les policiers à l’origine de cela ne circulent plus dans les rues de Toulouse. Il faut que le parquet fasse diligence afin de ne pas renforcer le sentiment d’impunité de ces policiers qui agissent de surcroît, au vu de la hiérarchie.  »

Pour ce qui est de l’avenir d’une telle action, Me Brel souligne : « C’est très difficile de porter plainte contre la police : on s’expose à être accusé de ceci ou cela. Regardez les réactions des syndicats de police à Joué-les-Tours, c’est caricatural. On cherche toujours à enrober des violences dans un cadre légal. Pour rappel, Joan, qui a perdu un oeil à cause d’un flash-ball, a vu ses demandes rejetées en cassation au bout de quatre ans de procédure.  »

L’antenne de la Ligue des droits de l’Homme à Toulouse (LDH) suit également tout cela de près. « C’est une affaire particulièrement grave. Nous allons nous manifester auprès du parquet pour dire que nous portons une attention particulière à ce dossier  », indique Remi Cochard, le délégué régional de cette organisation. « Cette affaire est grave car avec les éléments dont nous disposons pour l’instant, on peut qualifier ça de détention arbitraire avec violences. Car il n’y a pas eu de procès-verbal. C’est extrêmement sérieux car cela témoigne également d’un dysfonctionnement des services de Police. « 

L’association est familiarisée avec ce type d’affaire qu’elle dit traiter à chaque fois avec « beaucoup de circonspection » : « Nous avons créé un Observatoire-Citoyen-Justice-Police qui a vocation à recueillir ce type de signalement à Toulouse. Ces affaires particulières sont symptomatiques d’un certain comportement policier, pas de la police dans son ensemble. » Comme Me Brel, la LDH indique qu’en cas de classement de l’affaire, «  nous serons attentifs sur les suites à y donner« .

(*) Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.


Blessé par un tir de flash-ball, Joan Celsis mène un combat judiciaire depuis quatre ans

Pauline Croquet

16 janvier 2013

avec liens, photos et vidéo
http://carredinfo.fr/blesse-par-un-tir-de-flash-ball-joan-celsis-mene-un-combat-judiciaire-depuis-quatre-ans-19180/

(...)

Le visage de Joan Celsis ne porte pas les stigmates apparents de sa blessure. A la rigueur, une petite cicatrice sous l’oeil… Peut-être le regard a-t-il un peu changé pour qui le connaît de longue date ou le détaille longuement. Pourtant, ce Toulousain de 29 ans a été irrémédiablement blessé par un tir de flash-ball policier, lors d’une manifestation étudiante, il y a 4 ans. Depuis, il ne voit plus de son œil droit.

Après avoir refusé une reconstitution des faits demandée par Joan Celsis, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non lieu en octobre 2012 parce que l’enquête n’avait pas pu amener à identifier l’auteur du tir.

«  Nous relevons appel de cette ordonnance, car c’est justement une enquête qui pourra identifier le policier qui a commis l’infraction et donc l’amener à être jugé  », défend Julien Brel, l’un des avocats du jeune homme, « d’autant que l’enquête est pleine de versions contradictoires . Dans ce dossier, nous avons le sentiment que les choses n’ont pas été poussées ». Et Joan de compléter : «  Les policiers de la BAC [brigade anticriminelle NDLR] ont menti lors de l’enquête interne conduite par l’inspection générale des services. Ils ont d’abord soutenu qu’ils n’étaient que trois à être armés de flash-balls. Nous avons porté la preuve qu’ils étaient quatre. Ils ont fini par rectifier leurs témoignages. »

19 mars 2009 à Toulouse. Joan est alors étudiant en sociologie, anthropologie et économie à l’université du Mirail. Il milite aussi au syndicat Aget-FSE. Avec «  ses camarades », il participe à la deuxième manifestation contre la loi LRU sur l’autonomie des universités dont l’opposition était très vive à Toulouse. «  Ce jour là, il y avait une grosse manif interpro de 80 000 personnes  », raconte le jeune homme.

« Le parcours était classique, calme, plan-plan. Une partie des étudiants s’est détachée pour mener une action symbolique non violente dans le Monoprix, rue Alsace-Lorraine. Je ne participais pas à cette action. J’étais parmi les badauds, dans la rue en pleine aprèm. Je me suis alors dirigé rue de la Pomme avec une vingtaine de camarades. C’est là que nous avons entendu les premières charges dans la rue Alsace. Nous avons décidé de rejoindre en rang serré les autres  », se souvient-il.

Bras dessus, bras dessous, des militants dont Joan forment une chaîne humaine face aux CRS et aux policiers de la brigade anticriminalité. «  C’est assez classique dans les manifestations. Les CRS nous font reculer, on tient tête sans violence. Puis on finit par reculer à une quinzaine de mètres. C’est là, alors que nous allions partir, que des policiers de la BAC tirent au flash-ball dans le tas et que je suis blessé  », relate Joan.

http://www.youtube.com/watch?v=nc8L...

« J’étais sonné mais je n’ai pas perdu connaissance. Cela m’a fait l’effet d’un gros coup de poing. Mais j’ai de suite compris que j’avais été blessé par un flash-ball. Les policiers étaient juste en face de nous. Pourtant nous n’avions pas provoqué. Nous nous tenions par le bras alors comment faire un geste déplacé ? »

Sous l’effet de l’adrénaline, Joan ne se rend pas tout de suite compte de l’ampleur de sa blessure, «  je voulais rester ». Une fois évacué, le bilan est lourd : pommette, arcade et plancher orbital fracturés, la rétine et le champ de vision de son œil droit définitivement endommagés. Plus d’une semaine d’hôpital, plusieurs opérations dont de la chirurgie réparatrice. Un parcours « assez lourd » de plusieurs mois.

Faute de pouvoir assister aux examens, il lâche progressivement la fac. Enchaîne les petits boulots. Aujourd’hui, il recherche un emploi. Continue de s’engager. « Je suis à la CGT même si c’est difficile de lutter sur ce terrain quand on est au chômage. Toute ma vie je lutterai… »

Pour autant, le jeune homme ne s’apitoie pas sur son sort. «  Ce jour n’a rien changé pour moi. Je savais en tant que militant que ce genre de choses pouvait arriver, que les violences policières existaient. Ma blessure ne m’a pas éveillé à cette réalité. Je n’ai pas été surpris. D’ailleurs je suis loin d’être le seul. »

Joan Celsis noue des relations avec d’autres victimes de tirs de flash-ball, en France et à l’étranger, elles aussi souvent blessées à l’œil. Parmi elles, Pierre Douillard éborgné en 2007. Le policier qui avait tiré a été jugé en mars dernier, puis relaxé parce qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres de sa hiérarchie. Joan Celsis a fait le déplacement à Nantes, « en soutien » lors du procès.

Même s’il admet «  être un peu fatigué en quatre ans  », Joan ne lâche rien. « J’espère aller au bout de toutes les démarches. Je veux obtenir justice, que les policiers soient réetentendus par l’inspection générale et que la personne qui a tiré soit inquiétée à titre personnel, qu’elle ne puisse plus exercer dans les mêmes conditions, utiliser de nouveau le flash-ball », faisant ici référence à la relaxe de Mathieu Léglise, le policier auteur du tir Nantais.

«  Certains policiers tirent dans le tas et s’en suivent des blessures graves. Dans le meilleur des cas, ils sont jugés et relaxés. En matière de violences policières en France, il y a une vraie chape de plomb, tout est rendu plus difficile par la justice et les victimes ne sont pas traitées comme des victimes classiques. De plus ces armes dites non létales décomplexent les policiers. C’est un véritable permis pour blesser  », résume maître Brel.

«  Cette histoire n’est pas une simple bavure policière, un cas isolé  », conclut Joan Celsis. «  Ce type d’arme permet de faire peur aux gens pendant les mouvements politiques », interprète-t-il. La même année que lui, le flash-ball fait cinq autres « gueules cassées  ».

(...)

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