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Action collective

Justice des étranger·e·s : le 14 octobre : loin des tribunaux, proche de la police

+ Comptes-rendus de la première séance du « tribunal d’exception » pour sans-papiers.

Article mis en ligne le mardi 15 octobre 2013


15 octobre 2013,

Le tribunal et le centre de rétention du Mesnil-Amelot
par Franck Johannès

Avec les liens et les photios
http://libertes.blog.lemonde.fr/2013/10/15/le-tribunal-et-le-centre-de-retention-du-mesnil-amelot/

C’est la justice aux champs. L’annexe du tribunal de grande instance de Meaux, en Seine-et-Marne, s’est posée au bord d’un immense champ de maïs, discrètement survolé par les avions qui se posent à l’aéroport de Roissy, tout proche. Le tribunal est bordé à sa droite par une compagnie de CRS et par le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot ; l’ensemble forme un même bâtiment ocre et terre de Sienne, un peu sévère mais flambant neuf.

C’est très commode ; les sans-papiers sont maintenus dans le centre de rétention, un magistrat statue sur leur sort à deux pas de là, ils sont renvoyés dans leur pays grâce à l’aéroport voisin, ils peuvent même regarder les avions par la fenêtre. Le tribunal, en son annexe, a tenu sa première audience, lundi 14 octobre, devant un public homogène de journalistes et de militants venus dénoncer cette « justice d’exception ». Les magistrats, sans surprise, ont balayé leurs arguments.

Boubacar F., un Sénégalais de 30 ans, a été le premier à essuyer les plâtres du nouveau tribunal. Il tourne en rond depuis vingt-cinq jours en rétention, et la préfecture réclame un nouveau délai de vingt jours pour permettre aux autorités sénégalaises d’établir qu’il est bien un de leur ressortissant. Le jeune homme n’a commis aucun délit, il est seulement sans-papiers. Depuis un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011, le défaut de titre de séjour n’est plus un délit, le jeune homme est donc retenu, pas détenu. Il peut téléphoner, recevoir des visites, mais pas sortir. Avant son expulsion.

Patrick Berdugo, son avocat, s’est jeté à l’eau le premier, pour dénoncer « des irrégularités de procédure » et « la violation des principes généraux ». « Les personnes retenues ont été placées ensemble en cellule, s’est indigné l’avocat, ce qui les prive par définition de la liberté d’aller et venir au sein du centre de rétention. Il n’est pas possible de s’entretenir confidentiellement avec eux, et les gens qui l’ont demandé non pas pu obtenir l’assistance de la Cimade ». La Cimade, association œcuménique d’entraide, est la seule à pouvoir assister les étrangers en rétention.

Sur le plan des principes, Me Berdugo soupçonne que « l’indépendance et l’impartialité de la juridiction » sont mises à mal. « La justice ne doit pas seulement être impartiale, mais doit en donner l’image. Or vous siégez dans une ancienne caserne, qui jouxte la police de l’air aux frontières, partie prenante de ce procès, puisqu’elle gère à la fois le centre de rétention et la salle d’audience, il y a un dangereux mélange des genres à craindre, et un risque de pressions extérieures. » Petite moue du juge des libertés et de la détention, qui constitue la juridiction à lui tout seul et supporte plutôt moins bien la pression des avocats.

Entretiens sur le parking

La Cour de cassation a jugé en 2011 qu’une salle d’audience ne pouvait pas être placée dans un centre de rétention mais devait être « autonome ». Pour l’avocat, une même enceinte englobe le centre de rétention et l’annexe, il s’agit en fait du même bâtiment. Enfin il estime que les droits de la défense ne sont pas respectés, que les avocats n’ont pas le temps de regarder les dossiers, pas de bibliothèque, et « ce qui était acquis hier au tribunal de Meaux ne l’est plus ici, et cette audience nous jette dans un néant judiciaire ».

A sa suite, Me Bruno Vinay, pour l’association ADDE (avocats pour la défense des droits des étrangers) a indiqué qu’il n’y avait aucun moyen de s’entretenir avec les familles des retenus, « sauf sur le parking » et il a marqué un point : « les retenus sont conduits à l’audience par un couloir interne, pas par la rue, qui passe par le centre de rétention, la compagnie de CRS puis le tribunal, ce qui en dit long sur l’autonomie de cette salle d’audience ».

« La justice des étrangers est déjà une justice d’exception, a renchéri Mylène Stambouli, pour la Cimade et la Ligue des droits de l’homme, les délais sont extrêmement brefs, les appels non suspensifs, le juge unique. Pourquoi ne pas ouvrir des salles d’audience dans les maisons d’arrêt ou les commissariats ? » Me Stéphane Maugendre, le président du groupe de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti) et avocat du Syndicat de la magistrature a enfin rappelé que la publicité des débats, gage de l’indépendance de la justice, n’était pas possible si loin de tout.

Il exagère : on peut trouver un sandwich à un peu moins d’un kilomètre ; il ne faut que trois petits quarts d’heure en RER depuis Paris pour rallier le terminal 1 de Roissy, et dès qu’on a repéré le bus 701 à la gare routière, il vous pose dix minutes plus tard à un arrêt qui n’est pas signalé – mais on n’est plus qu’à dix minutes de marche de l’annexe du tribunal. L’aller-retour coûte 24 euros. Mais pour les voitures, le parking est gratuit, a rappelé sévèrement le président.

Transports hors du commun

Ils étaient deux juges à se partager l’audience lundi, dont Hervé Allain, qui s’était visiblement levé du pied gauche. L’un des retenus lui a expliqué qu’il n’avait pas pu joindre la Cimade le matin, il lui a répondu, « la Cimade touche 800000 euros par an pour être présente. Je vous rassure, en un peu plus d’un an et demi de fonction, je les ai vus une fois. » Consternation dans la salle, où le dévouement de l’association est notoire. Le juge s’est même donné la peine dans son ordonnance d’expliquer que le trajet du palais de justice de Paris au Mesnil-Amelot se faisait en cinquante-huit minutes – il dispose assurément de transports hors du commun- et que les salles d’audience comptaient 37 places chacune (en réalité douze pour l’une, treize pour l’autre).

Sur le fond, les magistrats sont tombés d’accord pour estimer que l’annexe comprend des salles d’audience « autonomes, qu’aucun barbelé ne ceint », « qu’elles sont aussi séparées des centres de rétention et autres locaux dépendant du ministre de l’intérieur et ne sont pas reliées, de quelque façon que ce soit, aux bâtiments composant les centres de rétention », bien que les retenus aient pu passer par l’intérieur. Tous les étrangers de la matinée ont écopé de vingt jours de rétention supplémentaires.


Avec les liens
http://www.liberation.fr/societe/2013/10/14/ouverture-du-tribunal-d-exception-pour-sans-papiers_939412

Ouverture du « tribunal d’exception » pour sans-papiers

REPORTAGE Sylvain MOUILLARD

Les premières audiences de l’annexe « délocalisée » du TGI de Meaux au Mesnil-Amelot se sont tenues ce lundi. Au pied des pistes de l’aéroport de Roissy et à deux pas du centre de rétention administrative.
Ce n’est pas un tribunal comme les autres. Coincé entre une caserne de CRS et un champ de maïs, bercé par le ballet incessant des avions de l’aéroport voisin de Roissy-Charles-de-Gaulle, l’annexe « délocalisée » du TGI de Meaux au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) a ouvert ses portes ce lundi matin. Un « tribunal d’exception », selon ses détracteurs, qui jugera quelque 3 000 étrangers en situation irrégulière enfermés dans le centre de rétention administrative (CRA) mitoyen. C’est là toute l’ambiguïté du lieu. « Tout, ici, est géré par les services de police, déplore Mylène Stambouli, avocate de la Ligue des droits de l’Homme et de la Cimade, venue argumenter à la barre. L’apparence d’impartialité du tribunal n’est pas respectée. »

Les associations d’aide aux sans-papiers et les avocats, après avoir organisé une visite des lieux fin septembre, sont venus en force pour les premières audiences, profitant de cette tribune pour dénoncer une réforme qu’ils jugent indigne. La petite salle qui accueille les débats est bondée de journalistes et de militants de RESF. Les « bip-bip bip » du portique de sécurité sonnent à intervalles réguliers, tandis que quatre agents de la police aux frontières (PAF) attendent, impassibles, adossés contre le mur. Le premier étranger à comparaître est un Sénégalais de 30 ans, en France depuis 14 années. Sweat à capuche, lunettes noires, l’homme est retenu au Mesnil-Amelot depuis vingt-cinq jours. Le juge des libertés et de la détention (JLD) doit statuer sur une éventuelle prolongation de sa rétention de vingt jours.


« Une famille de sans-papiers n’osera jamais venir assister à l’audience »

Les avocats multiplient les réserves. Outre le manque « apparent » d’impartialité du tribunal, ils dénoncent l’absence de publicité des débats. « L’accès à cette salle est très difficile, déplore Mylène Stambouli. Il faut près d’une heure et demie en transports en commun depuis Paris, ce qui représente aussi un budget important pour les familles, plus de 20 euros. Les chauffeurs de bus ne connaissent même pas l’existence de cette annexe, et la signalétique pour y accéder est insuffisante. » Rien à voir,
selon les avocats, avec les palais de justice classiques, situés dans au cœur des villes.
« Comment voulez-vous que la justice soit rendue sereinement et de manière impartiale dans ces conditions ? », se demande Catherine Herrero, du Syndicat des avocats de France (SAF). « Tout se
déroule sous les yeux des agents de la PAF, qui contrôlent les entrées. Une famille de sans-papiers n’osera jamais venir assister à l’audience.
 » Sa consœur Mylène Stambouli redoute également une possible démobilisation des avocats. « Nous ne pourrons pas être là tous les matins, quand il faudra se lever à 6 heures et prendre le RER à 7 heures », le tout pour une rémunération modeste, la plupart des défenseurs exerçant au titre de l’aide juridictionnelle.
« Cette salle d’audience, le précédent ministre de l’Intérieur en avait rêvé. La garde des Sceaux l’a réalisée », résume Stéphane Maugendre, avocat du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Fustigeant une « régression totale du fonctionnement de la justice », il appelle le juge à mettre fin à cette nouvelle expérience. Les associations comptent faire appel d’un maximum de décisions, espérant qu’une plus haute juridiction obligera à fermer la salle d’audience. Du côté des représentants de l’Etat, on n’en démord pas. L’antenne délocalisée est une « avancée », qui évitera de longs et coûteux transferts au tribunal de Meaux. Évoquant la jurisprudence existante, les avocats des préfectures martèlent que la salle est tout à fait « licite ».

« On verra pour le chauffage »
Une position reprise par le JLD chargé de l’examen du premier dossier de la matinée. La salle est bel et bien « conforme aux exigences de la Constitution » et « sauvegarde les libertés fondamentales ». De plus, si elle est à « proximité immédiate » du centre de rétention, elle en est « séparée » et tout à fait « autonome ». Enfin, les transports en commun sont « certainement perfectibles, mais d’ores et déjà suffisants » pour garantir la publicité des débats, relève l’ordonnance. Quant aux protestations de la Cimade, qui déplore ne pas avoir pu rencontrer les sans-papiers dans la salle d’attente qui leur est dévolue, elles sont balayées par le deuxième juge présent ce lundi matin. « C’est le problème de la Cimade, qui, je le rappelle, touche 800 000 euros d’argent public par an pour exercer cette mission. »
Protestations feutrées dans la salle : « C’est un con, ce juge ! Il est vraiment partial. »
Au final, le jeune homme sénégalais voit sa rétention prolongée. « Est-ce que je peux regagner ma cellule ? Il fait trop froid dans la salle d’attente », demande-t-il. Le juge accepte. « On verra pour le chauffage. Il y a peut-être effectivement un problème de réglage. »

Sylvain MOUILLARD


Gisti

Le 17 septembre dernier, répondant à l’appel de plusieurs organisations, des journalistes, parlementaires et personnalités politiques ont participé au Bus Tour visant à une mobilisation sur place contre les délocalisations prévues prochainement au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot et de la zone d’attente de Roissy.

Cette justice d’exception réservée aux étrangers - rendue à l’écart des palais de justice et du public, à la demande et sous le seul regard de l’administration précisément chargée de mettre en œuvre la politique d’éloignement - heurte plusieurs principes fondamentaux destinés à garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice.

Lundi prochain, le 14 octobre, se tiendra la première audience dans l’annexe du tribunal de grande instance de Meaux accolée au CRA du Mesnil-Amelot.

À cette occasion, L’Observatoire de l’Enfermement des Étrangers, dont le Gisti est membre, ainsi que l’ensemble des associations et syndicats signataires de ce communiqué, réaffirment leur opposition à la mise en place de cette justice d’exception et demandent au gouvernement d’y renoncer.

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OEE - Observatoire de l’enfermement des étrangers

Justice des étranger·e·s

Le 14 octobre : loin des tribunaux, proche de la police

Lundi 14 octobre se tiendra la première audience dans l’annexe du tribunal de grande instance de Meaux accolée au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, le plus grand de France, où sont enfermé-e-s des étranger-e-s en attente d’éloignement forcé.

Ni Manuel VALLS ni Christiane TAUBIRA n’auront donc été ébranlés par la forte mobilisation suscitée par les projets d’ouverture de cette annexe et de celle programmée dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Seule concession : un report de quinze jours de l’ouverture de la salle d’audience du Mesnil-Amelot - initialement fixée au 30 septembre -, l’administration ayant omis de faire connaître cette date d’ouverture à La Cimade et aux ordres des avocats, ce qui démontre le peu de considération accordée aux droits de la défense.

Les ministres restent ainsi sourds aux appels que leur ont personnellement adressés la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), le Conseil National des Barreaux (CNB) et de très nombreux parlementaires, élus, personnalités, associations... (cf. annexe : récapitulatif de l’ensemble des interventions et interpellations).

Située à proximité immédiate des pistes de l’aéroport de Roissy et dans les locaux d’une caserne de CRS, l’annexe du Mesnil-Amelot accueillera donc à partir de lundi les audiences du juge des libertés et de la détention (JLD), et potentiellement celles du juge administratif, chargés de se prononcer sur le maintien en rétention des étranger-e-s que l’administration veut éloigner de notre territoire. Jusqu’ici, ces audiences se tenaient au sein du tribunal de Meaux situé à une trentaine de kilomètres, dans un lieu de justice commun à tous les justiciables. Désormais, les étranger-e-s retenus au CRA du Mesnil-Amelot relèveront de ce tribunal d’exception.

Au choc d’un enfermement souvent incompréhensible, s’ajoute pour les étranger-e-s l’isolement d’une justice rendue loin des tribunaux et sous le seul regard de l’administration et des forces de l’ordre.

Par ailleurs, très peu desservies par les transports en commun, ces annexes judiciaires seront difficilement accessibles aux familles et aux avocat-e-s des personnes.

Ce sont plus de 3.000 personnes placées au CRA du Mesnil-Amelot et près de 7.000 maintenues en zone d’attente de Roissy qui seront susceptibles d’être présentées chaque année devant ces tribunaux d’exception.

Ces projets, initiés par la majorité précédente, sont indignes d’une justice respectueuse des standards internationaux les plus fondamentaux.

Parce que la délocalisation de ces audiences dans des lieux de police heurte les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice, parce qu’elle compromet la publicité des audiences, garantie pourtant essentielle du droit à un procès équitable, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), ainsi que l’ensemble des associations et syndicats signataires, dénoncent la mise en place de cette justice d’exception et demandent au gouvernement d’y renoncer.

Le 10 octobre 2013

Organisations signataires membres de l’OEE :

ACAT-France
Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE)
Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé)
Comède
Genepi
Gisti
La Cimade
Ligue des droits de l’homme
Mrap
Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau
Syndicat des avocats de France (SAF)
Syndicat de la magistrature (SM)

Autres signataires :

Observatoire Citoyen de la Rétention 77
Réseau éducation sans frontières (RESF)
Réseau Education Sans Frontières 77
Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires
Union syndicale des magistrats administratifs (USMA)

Vous pouvez retrouver ce communiqué sur le site
http://observatoireenfermement.blogspot.com

Envoi par le Groupe d’information et de soutien des immigrés
www.gisti.org

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