Une tribune pour les luttes

Responsabilité environnementale
Grands barrages : des groupes français au cœur d’un business controversé

par Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales

Article mis en ligne le jeudi 14 novembre 2013

Avec les liens et les documents
http://www.bastamag.net/article3499.html

12 novembre 2013

Impliquée dans plusieurs grands barrages controversés, Alstom joue un rôle majeur dans le marché mondial de l’hydroélectrique. Et semble se laver les mains des conséquences sociales et écologiques. Déplacement de millions de personnes, submersion de villages, décisions autoritaires, tensions géopolitiques, désastres environnementaux... Les impacts de ces mégaprojets, comme celui des Trois Gorges en Chine et de Belo Monte au Brésil, sont considérables. Mais Alstom se considère comme un simple fournisseur de turbines. Et dénie toute responsabilité quant à ces conséquences. Ce qui lui vaut une nomination au Prix Pinocchio 2013.

Le mégabarrage de Belo Monte, en Amazonie brésilienne, a fait la une de la presse française et internationale en raison du mouvement de résistance emblématique des indigènes de la région, emmenés par le cacique Raoni, et du soutien qui leur a été apporté par plusieurs vedettes hollywoodiennes. Ce que l’on sait moins, c’est que deux groupes français, GDF-Suez et surtout Alstom, sont parties prenantes de ce projet dont l’impact social et environnemental promet d’être considérable, pour des bénéfices douteux [1]. En tant que fournisseur de turbines – un marché partagé entre une poignée d’entreprises européennes et chinoises – Alstom est l’un des principaux acteurs du secteur des grands barrages au niveau mondial.

Sur son site, le groupe se vante ainsi d’avoir équipé « le quart de la capacité hydroélectrique installée dans le monde ». Et notamment « les cinq plus grandes installations hydroélectriques au monde en termes de capacité  ». Mais derrière l’image d’une entreprise qui ne fournirait qu’un appui et des compétences techniques, se cache une réalité environnementale et humaine souvent dramatique. On assiste depuis quelques années à un nouveau boom des grands barrages, sous l’impulsion de la Chine et des autres pays émergents. Ceux-ci sont souvent présentés, à tort, comme une source d’énergie « propre », alors qu’ils sont des sources importantes de méthane, gaz à effet de serre plus puissant que le CO2, du fait de la décomposition de la végétation dans les retenues d’eau. Ces mégaprojets sont souvent la manifestation de politiques de développement autoritaires, qui occasionnent d’importantes destructions écologiques et des atteintes aux droits des minorités (notamment indigènes), sans aucun débat démocratique sur leurs coûts, leurs bénéfices et les alternatives.


Des millions de personnes déplacées

L’Observatoire des multinationales a consacré une enquête approfondie à l’implication d’Alstom dans de nombreux grands barrages controversés. Celui des Trois Gorges, en Chine, a entraîné le déplacement de presque deux millions de personnes et la submersion de treize villes et de centaines de villages. Son impact à moyen et long terme sur les équilibres écologiques de la région et du bassin du Yangtze alimente toutes les inquiétudes. Au Brésil, les barrages de Belo Monte, Jirau et Santo Antonio sont en train de détruire des écosystèmes uniques, et avec eux les moyens de subsistance des indigènes et autres populations traditionnelles de l’Amazonie, pour des gains énergétiques qui auraient pu être assurés autrement, à moindre coût.

À Merowe, au Soudan, Alstom est l’une des seules entreprises européennes à avoir accepté de s’impliquer dans un ouvrage qui a entraîné la submersion, sans notification préalable, de plusieurs villages abritant des minorités en conflit avec le gouvernement. Dans le cas de Lower Subansiri, en Inde, les communautés paysannes locales en lutte bloquent depuis des mois la livraison des turbines d’Alstom, empêchant l’achèvement des travaux. Et la liste n’est pas prête de se clore, puisqu’Alstom vient d’inaugurer une usine de turbines flambant neuve à Tianjin en Chine, avec pour objectif d’équiper les mégabarrages, qui sont appelés à se multiplier en Asie du Sud-est et notamment en Birmanie. Et cela au mépris des droits des minorités et des grands équilibres écologiques de la région. Le groupe français a également accepté de s’impliquer dans le projet de barrage de Grand Renaissance, construit dans la précipitation par le gouvernement éthiopien sur le Nil bleu, alors même que ce projet occasionne de fortes tensions géopolitiques avec l’Égypte en aval.

Irresponsabilité ?

Alstom a toujours refusé de reconnaître une quelconque responsabilité vis-à-vis de l’impact environnemental et social occasionné par les grands barrages, ainsi que des violations des droits humains. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui sa nomination au prix Pinocchio lancé par l’ONG Les Amis de la Terre. Si le groupe français est régulièrement malmené par les ONG pour son implication dans de multiplesaffaires de corruption, dans le secteur du charbon ou dans les colonies israéliennes illégales, c’est l’une des premières fois qu’Alstom est directement ciblée pour son implication dans les grands barrages.

Face aux critiques, Alstom a l’habitude de se retrancher derrière son rôle de simple fournisseur de turbines. Mais le groupe est souvent impliqué très en amont dans la conception des projets de mégabarrages. Au niveau brésilien, il est au cœur du réseau d’influence et d’intérêts partagés, entre firmes publiques, entreprises privées et responsables politiques, qui est derrière le développement hydroélectrique de l’Amazonie. Dans ce pays, Alstom est pris depuis plusieurs mois dans une série de scandales de corruption, principalement dans le domaine des transports [2]. Les activités d’Alstom dans le secteur hydroélectrique sont désormais elles aussi concernées, puisque de récentes révélations du magazine brésilien Veja laissent soupçonner l’existence d’un système similaire de pots-de-vin en lien avec des chantiers de grands barrages.

Antonia Melo, de l’association Rio Xingu Vivo para Sempre, l’une des grandes figures du mouvement de résistance au barrage de Belo Monte, aux côtés du chef Raoni, sera présente prochainement en France. Avec les organisations qui la soutiennent, elle a demandé à rencontrer Patrick Kron, PDG d’Alstom (voir sa lettre ouverte).

Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales

- Antonia Melo participera notamment à une conférence au Parlement européen, à Bruxelles, le jeudi 14 novembre et à un rassemblement citoyen à Paris le 15, à l’appel de Planète Amazone et de l’initiative européenne Arrêtons l’écocide en Europe.

- Le Prix Pinocchio est organisé par les Amis de la terre en partenariat avec le Crid et Peuples Solidaires, Radio Mundo Real, Basta ! et l’Observatoire des multinationales. Les votes sont ouverts jusqu’au 18 novembre 2013.

Notes

[1] GDF-Suez est impliquée à travers deux de ses filiales d’ingénierie, Tractebel et Leme, qui ont conçu l’étude d’impact du barrage de Belo Monte et les programmes de compensation sociale et écologique qui doivent l’accompagner. Un rôle qui n’a rien d’anodin lorsque l’on sait que l’étude d’impact cristallise souvent les controverses liées aux grands barrages. GDF-Suez est par ailleurs impliquée dans la construction d’autres mégabarrages amazoniens, notamment celui de Jirau (lire l’enquête de l’Observatoire des multinationales).

[2] À lire sur le site de l’Observatoire des multinationales : Au Brésil, Alstom rattrapée par plusieurs affaires de corruption.

Voir aussi le Dossier de BASTA !
Modèle de développement
Des grands projets... inutiles ?
Pourquoi ce dossier ?
Aéroports, stades, autoroutes, centrales nucléaires, parcs de loisirs... à l’heure de l’austérité, les grands projets inutiles se multiplient en Europe
http://www.bastamag.net/spip.php?page=dossier&id_mot=87


Quatre journalistes de Basta ! mis en examen suite à une plainte du groupe Bolloré

http://www.bastamag.net/article3402.html

Le 9 octobre, deux journalistes de Basta !, Nadia Djabali et Agnès Rousseaux, se sont vu signifier leur mise en examen par Mme Saida Kelati, juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris. Julien Lusson, directeur de publication, et Ivan du Roy, journaliste, avaient également été mis en examen le 1er août.

Cette décision fait suite à une plainte en diffamation déposée par le groupe Bolloré suite à la publication d’un article de synthèse sur l’accaparement des terres, le 10 octobre 2012 (voir l’article concerné). S’appuyant sur des rapports des Nations unies et d’organisations internationales, l’article dresse un état des lieux du mouvement d’accaparement de terres en Afrique, en Amérique latine ou en Asie. Le groupe Bolloré est la seule des grandes entreprises françaises mentionnées dans l’article à avoir engagé des poursuites.

Cet article a été mentionné par Rue 89 dans sa « vigie » (revue de presse signalant « le meilleur du Web »). Raison pour laquelle Pierre Haski, son directeur de publication, a également été mis en examen. D’autres responsables de blogs et de sites sont aussi mis en examen, pour avoir reproduit l’article ou publié un lien vers celui-ci.

Le groupe Bolloré a déjà attaqué en justice plusieurs médias, dont France Inter suite à la diffusion d’un reportage sur ses activités au Cameroun, ainsi que le journal Témoignage Chrétien (lire ici). L’agence d’informations économiques Ecofin, spécialisée sur l’Afrique et basée à Genève, vient également de recevoir une plainte pour diffamation de la part du groupe Bolloré, pour sa reprise de propos cités dans un article du Monde du 27 avril 2013.

Basta ! conteste la diffamation. La procédure devrait déboucher sur un procès d’ici un an. Nous vous tiendrons informés des évolutions de cette procédure.

En attendant, si vous souhaitez nous soutenir, c’est ici.

La Rédaction de Basta !

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