Une tribune pour les luttes

CQFD n°115 (octobre 2013)

Pôle emploi 2015 Quand la radiation devient une fonctionnalité du logiciel

par Sébastien Navarro, illustré par Nardo
+ Sommaire du CQFD n° 116

Article mis en ligne le dimanche 17 novembre 2013

La une du 116 par Pirikk

Avec les liens et l’iconographie :
http://cqfd-journal.org/Quand-la-radiation-devient-une

Le précédent quinquennat ne les a pas épargnés. Et si les trois millions de chômeurs ont cru souffler avec le début de l’ère hollandaise, les dernières évolutions de Pôle emploi en matière de numérique démultiplient les possibilités du flicage. Au nom bien sûr de la lutte contre le chômage.

➢ Pôle emploi 2015 Sur la porte d’entrée de l’agence Pôle-emploi de Toulouges (Pyrénées-Orientales), une affiche informe que Disneyland recrute. Dedans, une dizaine de chômeurs font la queue. Pas d’oreilles de Mickey ni de ricanement à la Picsou, les mines sont plutôt sinistres.

Un par un, les conseillers surgissent d’un espace feutré pour venir chercher les convoqués. Les gens attendent leur tour avec une patience qui confine au fatalisme. Dans un recoin, le panneau réservé aux offres d’emploi ne contient aucune offre d’emploi. à la place, un avis de concours de la fonction publique territoriale et un article des pages économie du Figaro du 17 septembre qui annonce le chiffre faramineux de 170 000 projets d’embauches pour 2013. En tête des 140 recruteurs, McDonald’s et la force de frappe de ses 1 228 restaurants. A quoi sert Pôle emploi ?

Vincent, conseiller Pôle emploi à Lorient (Morbihan) depuis 2005, a un début de réponse : «  Pôle emploi sert à trois choses : primo, il sert à indemniser les gens qui ont leurs droits ouverts à l’assurance chômage. On peut considérer que, bon gré mal gré, ce service-là est à peu près rendu. Secundo, et plus politiquement, Pôle emploi sert à culpabiliser les chômeurs et ça, ça marche impeccablement. C’est même l’objectif numéro un. Quand tu fais culpabiliser les gens, tu arrives à ce que des offres d’emploi de merde soient pourvues : des temps partiels, CDD, contrats d’apprentissage et de professionnalisation. Sachant que la moitié des gamins en contrat d’apprentissage ne vont jamais jusqu’au diplôme, que l’employeur les paie en dessous du Smic et touche une montagne d’aides. Un rêve de patrons. Enfin dernier aspect : Pôle emploi est là pour faire baisser les chiffres du chômage. Non seulement avec les radiations, mais en misant aussi sur cette masse de gens complètement découragés de trouver un emploi décent et qui ne s’inscrivent plus.  »

Le récent imbroglio médiatique impliquant l’opérateur SFR au sujet de la « vraie-fausse  » baisse spectaculaire des demandeurs d’emploi pour le mois d’août témoigne parfaitement de cette obsession statistique chez nos gouvernants. L’emploi, celui-là même que l’on détruit, délocalise ou précarise, reste ce référent ultime, ce moule unique dans lequel chacun est sommé de glisser sa couenne de peur de rejoindre la cohorte grandissante des parias. Les stigmates du chômeur « canapé  », mis à vif par le quinquennat sarkozyste, sont toujours d’actualité. Cécile, tour à tour pigiste et chômeuse, membre du blog « Minisphère du chômage et des idées reçues  » témoigne : « On l’entend peut-être un peu moins maintenant qu’on a changé de présidence mais les gens au chômage souffrent toujours des idées reçues, de cette image du gars qui n’en branle pas une et qu’on dénonce comme un profiteur du système.  »

Après la douloureuse fusion de l’ANPE et des Assedic, Pôle emploi a signé en 2012 une nouvelle convention tripartite avec l’état et l’Unedic nommée Pôle emploi 2015. Dans cette novlangue creuse où la première qualité des mots employés est leur interchangeabilité, Jean Bassères, directeur général, annonçait la couleur : « Pôle emploi [doit devenir] un service public de référence, capable de faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin ; d’innover, d’agir en plus grande proximité encore avec nos partenaires ; de simplifier son organisation et d’être plus attentif aux résultats de son action. » Au titre des innovations apportées par le dispositif, il faut noter une attention particulière au développement du numérique dans l’« accompagnement  » des chômeurs, avec son préalable : la suppression du suivi mensuel. Ouf ! pourrait-on dire, voilà un progrès qu’on ne peut que mettre au crédit de la gauche hollandaise. Cécile de s’étouffer : « La suppression du suivi mensuel ? Mais il n’a jamais existé dans les faits ! Je peux en témoigner à titre personnel. Ça fait deux ans que je suis inscrite à Pôle emploi et je n’ai vu qu’une fois mon conseiller. J’ai été convoquée une autre fois pour une espèce de truc collectif où on nous a dit de signer un papier, histoire de dire youpi c’est cool on est venus…  » Assertion confirmée par Vincent : « Il était notoire que personne n’était suivi de façon mensuelle à part quelques personnes à la marge ; il y avait une souplesse malgré tout qui s’était installée. Avec l’abandon du suivi mensuel personnalisé physique, tout va se passer à distance à travers les spams sur téléphone portable, à travers les plates-formes de traitement de contrôle des chômeurs qui se sont implantées de façon expérimentale sur plusieurs régions. L’avenir, c’est de ne plus recevoir les gens dans les agences, à part la première fois pour leur expliquer leur droit à indemnisation. Après on les bascule sur le flicage numérique.  »

Outre sa casquette de conseiller Pôle emploi, Vincent fait partie de la CGT «  chômeurs rebelles  » du Morbihan. Début juillet 2013, le site publie un décryptage kafkaïen du nouveau site Internet pole-emploi.fr. Outre le casse-tête concernant les critères à renseigner, le bridage de la machine dont les réponses sont limitées à 150 offres, l’analyse met en exergue cette obligation faite au chômeur de se connecter une fois par mois et de mettre régulièrement ses données à jour afin de rester en « “tête de liste” de la consultation des patrons, comme sur “leboncoin.fr” ». Tandis que de l’autre côté de l’écran, les «  flics de l’emploi  », installés dans le QG de leur plate-forme de contrôle numérique, veillent au grain et n’hésiteront pas à intervenir si les démarches virtuelles du chômeur réel ne font pas montre d’une volonté active de retrouver du taf. Une traçabilité qui fait basculer le contrôle du chômeur en mode «  industriel  » selon les termes de Vincent. « Si le demandeur d’emploi ne va jamais aux réunions d’informations collectives, ne répond jamais aux offres d’emploi qu’on lui envoie sur son portable par SMS, le conseiller qui a directement accès à son dossier lui demandera des comptes. Et même s’il ne le reçoit pas, quelqu’un sur une plate-forme de traitement des chômeurs aura accès à son dossier de façon aléatoire et pourra lui demander pourquoi il n’a pas répondu à toutes les “magnifiques” propositions qu’on lui a faites. Avec ce nouveau dispositif de spams numériques, on intensifie plus encore le potentiel de radiations ou, a minima, la pression sur les chômeurs pour qu’ils acceptent des emplois que j’appelle “dégradés”. » Rappelons au passage que la radiation pour un allocataire équivaut à la suppression de deux mois d’indemnisation chômage. «  Pôle emploi 2015 ? C’est de l’humain dans la merde face à la machine, résume Cécile. On dépersonnalise encore plus les rapports entre le service et les demandeurs d’emploi. Ils ont déjà fait quelques tests, comme d’installer des bornes dans des agences.  »

A quoi sert Pôle emploi ? Cécile encore : « Un jour, un communiquant de Pôle emploi m’a dit clairement que son rôle n’est pas d’aider les gens à trouver du travail.  » Forcément puisque le susdit travail n’existe plus. Le rôle de Pôle emploi est d’obliger les demandeurs d’emploi à justifier en permanence leurs «  actes positifs de recherche d’emploi  ». A ce petit jeu du sadisme de masse, la déferlante numérique ouvre des perspectives insoupçonnées. Reste un moyen d’échapper à ce flicage numérique, Vincent lâche la combine : «  Il faut indiquer dès le départ lors du premier entretien qu’on ne souhaite recevoir aucune proposition de Pôle emploi ni par mail ni par SMS. Mais combien de gens sont au courant ?  » Désormais toi, camarade lecteur, et bientôt la terre entière.


http://cqfd-journal.org/CQFD-no116-novembre-2013

Au sommaire du 116

paru dans CQFD n°116 (novembre 2013), rubrique , par l’équipe de CQFD, une par

CQFD n°116, en kiosque à partir du 15 novembre 2013

Les articles sont mis en ligne au fil de l’eau après la parution du CQFD d’ensuite. D’ici-là, tu as tout le temps d’aller saluer ton kiosquier ou de t’abonner...

Les dossiers

Papouasie occidentale : De l’or dans les arachides, pour les Papous, peanuts !

Baya Biru, district de Paniai, Papouasie occidentale. Quand, en 2002, Yulianus Tagi trouve une pépite d’or de la taille d’une cacahuète sur sa parcelle d’arachides, il ne se doute pas qu’il va être à l’origine d’un bouleversement radical de la société locale. Jusqu’alors, les trois tribus autochtones, Wolani, Mee et Moni, vivaient de petite agriculture (patate douce essentiellement), d’élevage de porcs, de chasse et d’orpaillage traditionnel dans le lit du Dageuwo, qui charrie des paillettes d’or comme nombre de rivières en Papouasie…

Bédé : « Un cri de naissance, un cri d’agonie et un cri de rage »

Fin octobre, c’était Noël avant l’heure. Faisant claquer sa mandibule endiablée, la revue AAARG ! déboulait sur les étals des libraires. Aux manettes du projet, Pierrick Starsky, sorti indemne de sa baignoire de spaghettis, a accepté de raconter le début de l’épopée.

Mais aussi les chroniques BD de la rédaction. Bientôt noël ? Un anniversaire ? Pour se faire plaisir ? Pour profiter à l’aise de son chômage ou de la retraite ?

Les articles

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Police : Wissan est mort, et il ne se passe rien Wissam el Yamni est passé d’une fête entre amis au musée des refroidis aussi rapidement que l’on se souhaite « Bonne année ! ». Il lui aura suffi de croiser les forces de l’ordre. C’était le 1er janvier 2012. Depuis, la justice s’empresse de traîner.

Un guide de la prison Petite présentation d’un guide pour ces voyages qu’on ne choisit pas.

Agro-industrie : Ça barde chez les Bretons En breton, on dit « mois noir » (miz du) pour novembre. Manière d’illustrer l’ambiance de crise et le malaise qui frappent l’industrie agroalimentaire locale.

Dieudonné : La sinistre farce des quenelles MDR. Dire qu’il y a des gens qui croient encore que Dieudonné est un comique, le « meilleur de sa génération » même, dont la provocation de trop lui vaut d’être ostracisé depuis une dizaine d’années aux marges du showbiz. Mais comment ne pas voir derrière ses mimiques l’expression achevée d’une dérive antisémite et homophobe ?

Chronique Périrurale : Des légumes dans leur gazon C’est un caillou dans la godasse de l’université de Grenoble. Quand la galerie des amphis s’est vidée en 2006, à la fin du mouvement anti-CPE, il n’en est resté qu’un potager collectif, autogéré, installé sur les pelouses du « domaine public de l’état ». Sept années plus tard, les Jardins d’utopie sont toujours là, mémoire bien vivante des luttes étudiantes.

Réédition Relire Front populaire révolution manquée aujourd’hui

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Made in Bangladesh Olivier Cyran nous entraine au pays où les t-shirts sont faits à bas prix... mais pas pour tout le monde.

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Marseille 2013 n’aura pas lieu : Culture contre culture En pleine année Capitale de la Culture, deux associations emblématiques de quartiers populaires de Marseille se voient l’une contrainte à la fermeture et l’autre lourdement menacée dans sa pérennité. En cause : un furieux coup de rabot sur leurs subventions. état des lieux.

Mais qu’est-ce qu’on va faire de… Milipol, d’EDEN et de leurs gadgets ?

Casse Noisette Les 19 salopards

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Je vous écris de l’usine Travailleurs, travailleuses…

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