Une tribune pour les luttes

3 mai 2005

Journal de notre bord

Lettre n° 56

Article mis en ligne le jeudi 5 mai 2005

Bonsoir à toutes et à tous,

Au stade actuel, la campagne sur le " traité constitutionnel
européen " est assez réjouissante. Certains vont me dire :
" Holà, du calme, le non ne l’a pas encore emporté et si
jamais il l’emporte, qu’allons-nous faire ? ". Certes et il
n’est pas question d’esquiver ces problèmes. Et l’objectif
d’une Europe des travailleurs construite par les
travailleurs eux-mêmes ne doit pas être perdu de vue un seul
instant. Examinons ce qui est déjà acquis et engrangé.

D’abord quelques moments de franche hilarité. Giscard
trouvant Cohn-Bendit " excellent " ou Chirac trouvant Jospin
" très bien ", ça vaut son pesant, sans être étonnant. Après
tout Chirac et Jospin avaient constitué un tandem très soudé
pendant cinq ans pour privatiser, casser les services
publics et dire amen aux traités européens favorisant les
grands groupes capitalistes. Quand Chirac clame que " la
culture n’est pas une marchandise " après avoir fait la bise
à Johnny Hallyday et à Line Renaud, sa marionnette des
guignols de l’info n’a plus qu’à aller se rhabiller car le
modèle est insurpassable. Les intermittents du spectacle,
les chercheurs et les artistes qui ne sont pas des
courtisans apprécieront...

Mais le meilleur de cette campagne, c’est qu’une affaire qui
semblait embrouillée et négative sous le rapport des
intérêts des travailleurs s’est finalement en grande partie
retournée contre leurs initiateurs. D’où la colère de gens
comme Delors qui commence à relâcher sérieusement son
langage. Ils ne pouvaient pas prévoir que des gens de plus
en plus nombreux, à gauche et à l’extrême gauche, allaient
se réunir, débattre et éplucher ce texte long et compliqué,
hybride et monstrueux dans sa forme et sur le fond. Le
constat est qu’on a là une forme juridico-économico-
politique qui n’a rien de neutre et d’innocent (aucune ne
l’est dans une société divisée en classes). Les nantis ont
besoin de telles formes facilitant et légitimant leurs
agissements.

Voilà donc ce que les classes dirigeantes européennes, à la
fois complices et concurrentes, ont réussi à pondre comme
chef-d’oeuvre politique, comme mode d’emploi à leur
domination sur les classes populaires ! Ces gens-là nous
demandent de voter pour leur système qu’ils perfectionnent
contre nous. Ils nous demandent de voter pour le capitalisme
qui précipite de plus en plus de personnes dans le chômage,
l’épuisement au travail et la misère. Eh bien, pour les
travailleurs et les jeunes conscients de leur manoeuvre, la
réponse à leur référendum est évidemment NON.


Renards libres dans des poulaillers libres
Diversion
Prion
En poche
Rencontres au sommet
Julia Varady
In situ


RENARDS LIBRES DANS DES POULAILLERS LIBRES

On sait que les libertés les plus chéries par les détenteurs
de capitaux consistent à n’être pas du tout contrôlés dans
leurs agissements et en particulier à pouvoir exploiter qui
ils veulent aux conditions fixées " librement " par eux.
D’une manière générale, les grands propriétaires de capitaux
conçoivent la liberté comme des renards qui exigeraient que
tous les poulaillers leur soient ouverts, de façon libre et
non faussée. Tel est le noyau dur, le socle " philosophique ",
la préoccupation obsessionnelle qui se trouve dans ce
traité constitutionnel : " la concurrence doit être libre et
non faussée ".

C’est déjà une bonne raison de voter non pour leur gâcher la
victoire morale et juridique sur laquelle ils spéculent,
c’est le cas de le dire.

DIVERSION

Le seul argument des partisans du oui qui peut ébranler des
gens honnêtes mais mal informés est que " l’Europe est un
gage de paix ". Quand ils parlent de l’Europe, ils invoquent
une entité abstraite, mystificatrice, comme lorsqu’ils
parlent de " la République " ou de " la France ". Ensuite
tous les tours de passe-passe sont possibles. Précisons le
contenu de " leur Europe " en matière de paix. Dire que ce
continent vit en paix depuis des décennies est une
affirmation douteuse. Quid de l’Irlande du Nord, du Pays
Basque espagnol, de l’ex-Yougoslavie ? Quid de la véritable
guerre sociale menée partout contre les salariés et qui ne
fait que s’intensifier ? Sans parler de la multitude de
guerres auxquelles l’Union Européenne en tout ou en partie a
participé en Afghanistan, en Afrique noire, en Irak... Les
concepteurs du traité constitutionnel ont d’ailleurs prévu
une série de dispositifs militaires pour mener toutes les
guerres qui leur sembleront opportunes à l’extérieur de
l’Union Européenne mais aussi à l’intérieur. Les partisans
du non se contentent souvent de seulement relever les
affirmations d’allégeance à l’OTAN. Mais il y a bien plus :
le militarisme européen y est clairement et largement
institutionnalisé, structuré, pour mener des guerres aussi
bien " externes " qu’" internes ", la frontière ayant
tendance à s’estomper. Cette question est bien informée et
argumentée dans les chapitres 8 et 9 du livre de Claude
Serfati, " Impérialisme et militarisme : Actualité du XXIe
siècle " (éditions Page Deux).

PRION

" Pomme, pomme, pomme, pomme ! " vous connaissez ? Non, nous
n’allons pas vous parler de la 5e symphonie de Beethoven
mais d’un petit livre de 57 pages sur le prion, paru dans la
collection " Les Petites Pommes du Savoir " (éditions Le
Pommier, http://www.editions-lepommier.fr/).

Corinne Ida Lasmézas est vétérinaire et neurovirologue. Elle
répond avec clarté, rigueur et un humour bien agréable à la
question " Qu’est-ce qu’un prion ? ". Le prion est un agent
pathogène qui a été sous les feux de la rampe au cours de
l’affaire de la vache folle. Le prion n’est ni un virus ni
une bactérie, ce qui a déconcerté pendant longtemps les
chercheurs. De plus, un de ses composants principal est une
protéine que notre organisme produit normalement ! Le prion
cache encore drôlement son jeu. On apprend beaucoup de
choses sur sa structure et son mode d’action mais aussi sur
le système nerveux, le système immunitaire, etc. Ce qui est
attractif dans cet exposé, c’est de voir comment le problème
posé par cet agent infectieux s’est présenté historiquement,
et les défis qu’il a lancé et lance encore aux scientifiques
au niveau de leurs raisonnements et démarches
expérimentales.

EN POCHE

Une amie nous recommande " La Dame à la Licorne " de Tracy
Chevalier qui vient d’être rééditée en folio. On y retrouve
les qualités d’évocation qui faisaient le charme de " La
Jeune Fille à la Perle " sur le peintre Vermeer. Les six
tapisseries énigmatiques de la Dame à la Licorne ont été
conçues et réalisées probablement vers 1490. Elles se
trouvent actuellement au musée national du Moyen Âge à Paris
jouxtant le Boulevard Saint-Michel. (Cela se situe entre le
Quick et le Mc Do, mais le musée de Cluny est un lieu
nettement plus beau et attrayant)

Tracy Chevalier s’est sérieusement documentée sur la société
parisienne et bruxelloise du 15e siècle, sur l’art des
peintres et des lissiers de l’époque, et son imagination a
fait le reste.

Un beau roman de l’écrivain américain Jack London vient
d’être réédité en collection Phébus libretto, " Radieuse
Aurore ". C’est à la fois un roman d’aventure, un roman
politique et social et un roman d’amour. Comme dans " Martin
Eden ", London se livre à une réflexion de haut vol sur les
contradictions d’un individu dans une société basée sur
l’argent et la réussite sociale. Nous vous conseillons de
sauter allègrement la préface de Max Gallo, ex-ministre, qui
est aussi inutile que ridicule.

RENCONTRES AU SOMMET

Les rencontres ou les retrouvailles entre grands musiciens
dits de jazz peuvent être convenues, ratées, couler de
source ou être étonnamment réussies. Quand le saxophoniste
Archie Shepp retrouve le pianiste Siegfried Kessler, c’est
forcément très bien et pas banal (" First Take " CD Archie
Ball). On songe à d’autres belles rencontres il y a plus de
quarante ans.

Le pianiste et chef d’orchestre Duke Ellington a organisé à
plusieurs reprises des rencontres hors normes qui furent des
événements passionnants avec notamment, Mahalia Jackson,
Louis Armstrong, Count Basie, John Coltrane, Charles Mingus
et Max Roach. Nombre de critiques de jazz ont fait la fine
bouche sur ces rencontres en parlant de mondanité ou
d’incompatibilité esthétique. Leurs arguments ont moins bien
tenu l’épreuve du temps que ces disques sur lesquels ils
avaient de sérieuses réserves. Tendons l’oreille aux audaces
du pianiste Duke Ellington en compagnie du bassiste Charles
Mingus et du batteur Max Roach dans l’album enregistré le 17
septembre 1962, " Money Jungle " (" la jungle du fric ",
violente, chaotique et lancinante comme l’évoque cette
musique) (CD Blue Note). Ecoutons l’aisance et le lyrisme du
même Ellington et du saxophoniste John Coltrane lors de leur
rencontre en ce même mois de septembre 1962 (CD Impulse).

Côté " mondanité ", on ne refusera pas de prendre plusieurs
coupes de champagne musical en compagnie de Duke Ellington,
Count Basie et de leurs grands orchestres respectifs qui
fusionnèrent en 1961 pour enregistrer " First Time " (CD
Columbia/Legacy, avec de nombreux morceaux en bonus). Le
dialogue entre les deux pianistes est un régal. Même sur
leurs deux thèmes indicatifs, " Take The A Train " et
" Jumpin’At The Woodside ", les deux compères et leurs
musiciens réussissent à faire du neuf. Les solistes et les
sections ronronnent ou crachent le feu avec un plaisir
communicatif. Les saxophonistes Franck Wess, Franck Foster,
Budd Johnson et Paul Gonzalves sont particulièrement en
verve.

Il est recommandé d’emporter tous ces CD sur une île
déserte, à condition qu’elle soit équipée d’une bonne chaîne
hi-fi.

JULIA VARADY

Julia Varady est une grande chanteuse mais elle n’est pas
une diva. Pour être une diva ou un divo, il faut peut-être
donner, volontairement ou involontairement, matière à
anecdotes piquantes alimentant la fascination. De nos jours
il faut être présent sur les scènes du monde entier et donc
passer plus de temps en avion et en promo qu’à chanter et
approfondir son art et le répertoire.

On sait peu de chose sur la vie personnelle de Julia Varady
qui a fui les interviews et n’a fait que peu de tournées
internationales : née en Roumanie en 1941, étudie le chant
au conservatoire de Cluj, fait ses débuts sur la scène en
Allemagne fédérale en 1970, épouse le chanteur Dietrich
Fischer-Dieskau, chante avec lui à diverses reprises et vit
toujours avec lui aux dernières nouvelles. Julia Varady
décide de quitter la scène de l’opéra en 1997 en pleine
gloire et possessions de ses moyens. Elle avait fini par
avoir une aversion à l’égard de certaines mises en scène
maltraitant les oeuvres des grands compositeurs (comme on la
comprend !). Elle se consacre depuis aux récitals.

Julia Varady a une tessiture très large et une émission
parfaite aussi bien dans les notes graves, les mediums que
les aigus. Ses interprétations sont nuancées et remarquables
aussi bien dans Bach, Mozart, Verdi, Tchaïkovski que Wagner.
Le label Orfeo a édité l’an dernier un CD regroupant
quelques extraits de représentations enregistrés en direct à
l’opéra de Munich. (Live Recordings 1975-1992 Bayerische
Staatsoper) Ce CD peut être aussi une excellente occasion
pour découvrir de grands airs relativement peu connus
d’opéras de Mozart (Idoménée, La Clémence de Titus), de
Richard Strauss (Arabella), de Wagner (Le Vaisseau fantôme,
les Maîtres Chanteurs de Nuremberg) ou de Verdi (La Force du
destin, Nabucco, Le Trouvère).

IN SITU

Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un point
de vue sur le roman d’Erri De Luca, Montedidio. Nous avons
également mis dans nos liens le site http://lelibraire.org/,
site québécois produit par l’Association pour la promotion
de la librairie indépendante.

Bienvenue à nos nouveaux abonné(e)s

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder


Pour recevoir cette lettre, écrivez-nous :

mél : Culture.Revolution chez free.fr

http://culture.revolution.free.fr/

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Lire c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 340