Une tribune pour les luttes

BASTA !

Les handicapés, ces « assistés » que les conservateurs britanniques veulent remettre au travail

par Ivan du Roy

Article mis en ligne le mardi 18 février 2014

http://www.bastamag.net/Les-handicapes-ces-assistes-que

17 février 2014

Sous prétexte de coupes budgétaires, le Royaume-Uni recourt à des sociétés privées pour sous-traiter des missions auparavant réalisées par son administration publique. La société française Atos s’est vue confier la tâche de mettre en œuvre la réforme des pensions que perçoivent invalides et handicapés. Et d’évaluer leur aptitude au travail. Résultat : malgré des pathologies lourdes, plusieurs dizaines de milliers de bénéficiaires ont été recalés et exclus de ce système de protection sociale. Les recours se multiplient et la colère gronde contre les méthodes d’Atos.

Evaluer l’aptitude au travail des personnes invalides et handicapées. Telle est la mission que le gouvernement britannique a confiée à l’entreprise française Atos, dirigée par l’ancien ministre de l’Economie Thierry Breton, à l’occasion d’une réforme de cette protection sociale, entamée en 2011. Les 2,6 millions de personnes qui bénéficiaient de ces différentes pensions d’invalidité et d’aides aux handicapés basculent dans un nouveau système de prise en charge, l’Employment and Support Allowance (ESA), censé simplifier et unifier l’ensemble de ces aides.

Ce n’est donc plus à l’administration britannique de vérifier que les bénéficiaires des anciennes aides ne sont vraiment pas en mesure de travailler, à cause de leur état de santé ou de leur handicap, et de leur attribuer une pension en conséquence. Mais à Atos. Si une personne est jugée apte, elle n’aura plus le droit de percevoir cette allocation – d’un montant moyen de 500 euros mensuels pour une personne de plus de 25 ans. Elle sera alors considérée comme demandeur d’emploi. Et pourra seulement prétendre à une aide de 350 euros pendant six mois. Elle coûtera donc moins cher à la sécurité sociale britannique... Gestion des prestations sociales, du droit d’asile, des prisons (lire notre article), du système de justice : le Royaume-Uni fait figure de pionnier européen pour confier la sous-traitance des services publics à des sociétés privées.


Trier les aptes et les inaptes au travail

Réaliser ce tri entre aptes et inaptes pour le compte du Département du travail et des retraites britannique (Department of Work and Pensions, DWP) rapporterait 134 millions d’euros par an à Atos. Qui s’est attelé à la tâche avec zèle depuis 2011, d’autant que tout doit être terminé cette année. Ses « évaluateurs  » examinent plus de 700 000 dossiers d’allocataires chaque année, sur la foi d’une méthodologie de plus en plus contestée, l’«  évaluation d’aptitude au travail » (Work Capacity Assessment, WCA). Celle-ci consiste à noter le niveau d’invalidité des demandeurs avec un système de points, qui déterminera le montant de la pension. Une note trop faible, et vous basculez dans la catégorie demandeur d’emploi. Résultat : plus de la moitié des demandes seraient désormais refusées. Les témoignages de personnes invalides subissant ces contrôles ou confrontées à la lenteur administrative d’Atos font désormais régulièrement la une des journaux britanniques. Et les histoires tragiques se multiplient : des personnes handicapées « évaluées  » se sont suicidées, d’autres sont jugées « aptes au travail  » alors qu’elles agonisent sur un lit d’hôpital.

(...)

Le gouvernement britannique et la firme française viennent de répondre à leur manière à la multiplication de ces contestations en justice. Selon The Independent, les demandeurs qui feraient appel à la décision d’Atos se verront désormais privés de leur allocation durant toute la durée de la procédure. Et contraints de faire réévaluer l’ensemble de leur dossier avant de pouvoir saisir les Citizen Advice Bureaux. Pour le directeur général de ces structures d’appui aux citoyens, ces nouveaux obstacles «  signifient que des milliers de gens seront forcés de se débrouiller tout seuls, sans source de revenus. Le meilleur moyen de réduire le nombre et le coût des appels est de s’assurer que les décisions prises sont bonnes au premier coup, plutôt que de les forcer à passer par des étapes supplémentaires inutiles et stressantes. » Pour le porte-parole de l’entreprise, «  les appels se font contre les décisions [de l’administration britannique], pas contre Atos.  » Une journée nationale d’action est prévue outre-Manche le 19 février prochain, soutenue par des organisations de défense des personnes handicapées, des mouvements sociaux, des syndicats et des partis politiques (Verts, Labour).

Ivan du Roy, avec l’Observatoire des multinationales

Notes

[1Intitulé Disabled or Faking it ? (« Handicapé pour de vrai ou pour de faux ? »), diffusé en 2012.

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