Une tribune pour les luttes

Communiqué de la Coordination des intermittents et précaires

Strass, Paillettes et Précarité

+ lettre ouverte aux absents immobiles

Article mis en ligne le jeudi 17 avril 2014

Ce Jeudi 17 Avril a lieu la conférence de presse du Festival de Cannes, annonçant la sélection officielle des films.
Avant que le champagne ne tourne les têtes, rappeler - tout aussi officiellement - la persistance de la mobilisation contre l’agrément de l’accord du 22 mars sur les règles relatives à l’assurance chômage, ne nous semble pas être du luxe.

Cette lutte nous concerne tous. Même au sein d’un festival culturel, outre les intermittents, ce sont des milliers de travailleurs intérimaires, saisonniers, précaires, à contrats courts et flexibles qui œuvrent dans le même temps. Alors, pourquoi tenter, une nouvelle fois, de nous diviser ? Pourquoi mentir sur les conséquences dramatiques d’accords pernicieux ?

Certains sont sous les feux des projecteurs, pendant que d’autres ont le feu au cul.

Le franc-parler de la rue, au cinéma, ça vous fait rire, mais dans la vie ?

Perdre son emploi et lutter pour survivre, au cinéma, ça vous fait pleurer, mais dans la vie ?

Se révolter contre l’injuste, au cinéma, ça vous donne le frisson, mais dans la vie ?

Dénoncer le cynisme des personnes qui gouvernent nos pays, au cinéma, vous applaudissez, mais dans la vie ?

La violence de l’intolérance, au cinéma, ça vous révolte, mais dans la vie ?

La force d’un mouvement solidaire, au cinéma, ça vous bouleverse, mais dans la vie ?

Puisqu’il est question d’images, rappelons celles des interruptions de journaux télévisés de France 2 : en 2003, ils n’étaient que des intermittents, en 2014 ce sont tous les chômeurs et précaires qui défendent ensemble leur droits. Et cette fois, ils n’ont pas eu la parole. Tout est reconduit -en pire- depuis 2003.
Nous voulons arrêter ce massacre
Le plein-emploi est mort, 80% des embauches se font en contrats courts, plus d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté... Et, pendant ce temps : casse des droits sociaux, du droit syndical, de la Sécurité Sociale, de l’inspection du travail... Tout est fait pour obtenir une main d’œuvre corvéable à merci !

Arrêtons le massacre

Mme la Ministre de la Culture et de la Communication croit pouvoir dire qu’il n’y a « pas de risque pour les festivals » parce que la mesure sur les délais d’indemnisation « va être corrigée ». Mais, Monsieur le Ministre du Travail le sait bien : nous réclamons que les propositions de tous les concernés soient examinées. Il s’agit aujourd’hui d’une lutte de tous les travailleurs, unitaire, grandissante et qui ne s’arrêtera pas, tant que les droits sociaux seront mis à mal.

En même temps, ce jeudi 17 Avril est le 39e jour de grève de la faim de Franck de Bourgogne. Ont également lieu des actions dans les agences d’intérim, des mobilisations dans les rues, des grèves dans des théâtres, des AG ; des gens se coordonnent partout en France, continuent de lutter contre la précarisation et préparent la suite...

La lutte est loin d’être endiguée.

Et tout ça ce n’est pas du cinéma !

Au fait, c’est quand Cannes ?

Coordination des intermittents et précaires (idf)
http://www.cip-idf.org/


Lettre ouverte aux absents immobiles

http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6970

« Quand ceux qui luttent contre l’injustice montrent leurs visages meurtris,
Grande est l’impatience de ceux qui vivent en sécurité.
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus, alors taisez-vous !
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence n’a pas le droit d’accuser la violence !
Ah ! mes amis, vous qui êtes à l’abri, pourquoi cette hostilité ?
Sommes-nous vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus,
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous, ne prouvent rien,
Sinon que nous sommes trop peu nombreux à lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent qu’ils éprouvent au moins quelque honte. »

Bertolt BRECHT

Lettre ouverte aux absents immobiles, structures culturelles qui profitent de l’intermittence du spectacle sans jamais la défendre, sans oublier les grosses boîtes de production audiovisuelles et de spectacle qui exploitent toujours plus, et pour des salaires de plus en plus indécents, des techniciens qui, eux non plus, ne s’intéressent pas au sujet... par Franck de Bourgogne, metteur en zen dijonnais membre de la Coordination des Intermittents et Précaires, 38e jour de grève de la faim.

Salut, c’est Franck Halimi, dit Franck de Bourgogne.

Cette lettre vous est destinée à vous, mes chers zamis (qui nous embrassons sur les deux joues lorsque nous nous croisons à la sortie d’un spectacle). Mais à vous aussi, moins chers collègues (qui m’évitez soigneusement à la sortie des mêmes spectacles ou ailleurs, pour cause de mauvaise conscience, à moins que ce ne soit ma mauvaise haleine).

Ce coup de gueule s’adresse à vous tous qui ne parlez jamais de l’intermittence du spectacle et de la précarité qui touchent nos métiers.

Et la même question me revient, inexorablement, depuis toutes ces années où je vous vois soigneusement éviter le sujet. Mais, pourquoi toutes ces personnes qui vivent des cultures et des arts - et qui sont incontestablement des passionnés, qui ont fait le choix de s’investir corps et âmes dans ce secteur d’activité - deviennent-ils liquides et immatériels dès lors que l’on essaie de leur parler de droits sociaux collectifs ? Mais, quelle est donc cette malédiction qui touche notre milieu, certes atomisé, qui fait que, dès que l’on aborde le sujet, on a la sensation de devenir un « intouchable » (au sens hindou du terme) ? Mais, bordel de merde, que vient donc foutre cette espèce de résignation qui ne dit pas son nom, à un endroit où nous sommes censés être à l’avant- garde des idéaux ? Que sommes-nous donc devenus, nous, les visionnaires-précurseurs, qui avons fait évoluer la machine sociétale, et que pourtant, aujourd’hui, la question sociale rebute autant, comme si elle incarnait un animal pestiféré ?...

C’est parce que c’est sale de mettre les mains dans le cambouis des droits sociaux ? C’est parce que vous avez la trouille de rencontrer dans la même unité de temps et de lieu (chère aux théâtreux) vos semblables si différents, qu’ils soient intérimaires, chômeurs, travailleurs pauvres ou sans-papier au bout du rouleau ? [1] C’est parce que vous pensez que votre activité se suffit à elle- même et que monter Brecht va vous dédouaner de vous inscrire dans le présent ?...

Mais, répondez, bordel ! Où êtes-vous donc ? Dans quel époque vivez-vous ? Et dans quel espace ? Une poignée d’ultra-libéraux mènent la danse, et ces mauvais chorégraphes vous guident, nous guident comme des marionnettistes manchots [2]. Pour autant, vous, grands esprits qui dirigez structures culturelles et grandes maisons, que ne réagissez-vous devant ce spectacle à chier ? Attention, je ne dis pas que vous l’achetez (ce serait vous faire un faux procès, injuste de surcroît). Mais, vous y assistez, les yeux fermés. Et si, par mégarde, vous les ouvrez, vous demeurez incompréhensiblement apathiques. Mais, vous attendez quoi ?...

Avez-vous oublié 2003 et ses drames que furent les annulations de festivals ? N’avez-vous point encore compris que si vous pouviez continuer à faire des programmations aujourd’hui, c’est parce que des interluttants avaient, durant 11 longues années, perpétué cette guerre de tranchées contre une ploutocratie dirigiste, aveugle, incapable et implacable ?...

Alors, prenez enfin conscience que cette façon que vous avez de vous désintéresser de la chose politique (au sens premier et noble du terme) est juste une faute professionnelle de votre part ! En effet, ne vous voir à aucune des manifestations-actions pour la défense des droits de ceux qui vous permettent de faire votre grand-oeuvre (ah si, pardon, on a vu quelques-uns d’entre-vous, à l’occasion de deux marches pour la Culture - avec un grand « C »), je l’analyse comme un désintérêt patent pour notre coeur de métier. Vous serez bien avancés quand, dans 3 ans, lors de la prochaine négociation sur l’assurance chômage, le Medef aura les mains libres pour déblayer ce qui restera des trop maigres droits sociaux des chômeurs [3]. Et que vous n’aurez alors plus de personnel qualifié pour pouvoir monter, assurer et jouer vos spectacle, tiens...

Par ailleurs, ça me rend fou de savoir qu’il faut négocier durant des plombes avec des directeurs de théâtre, pour obtenir un bout de lieu pour que la lutte puisse s’organiser, et afin que ceux qui s’y collent puissent débattre, croiser leurs intelligences, fabriquer du sensible [4] et se donner de l’oxygène collectivement...

Mais, putain ! au contraire, vous devriez venir à notre rencontre, ouvrir vos lieux qui manquent de respiration pour créer un appel d’air ! Nous ne devrions pas vous demander refuge quand c’est à vous d’offrir l’hospitalité à ceux qui vous permettent d’exister ! Le monde est devenu complètement fou et notre monde est devenu complètement con !

Voilà, c’est un petit bout de ce que j’avais à vous dire, à vous les responsables qui faîtes, en l’occurrence, montre d’irresponsabilité. Vous, qui parvenez, dans un stupéfiant élan d’immobilité schizophrénique, à articuler suffisance et insuffisance.

Bref, j’espère que ma colère saura atteindre, non pas votre petit coeur, mais au moins votre intelligence, pour que, sachant séparer le bon grain de l’ivraie, vous sachiez vous mobiliser pour les causes essentielles qui touchent le plus grand nombre.

Parce que ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ! À bon entendeur, salut !

Dijon, le 16 avril 2014

Franck de Bourgogne

En Bourgogne les intermittents interpellent Rebsamen, une vidéo FR3.

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