Une tribune pour les luttes

La revue Marianne interroge Rony Brauman sur l’État d’Israël

Vers la fin de l’impunité politique d’Israël ?

Article mis en ligne le vendredi 8 août 2014

Un cessez-le-feu de 72 heures a été accepté hier par le Hamas. Cette trêve signe un peu de répit dans le rythme effréné des affrontements sanglants. La France à l’image des grands pays occidentaux s’est fait d’une grande discrétion sur le sujet. Rony Brauman, ancien Président de MSF, critique la position « pro-israélienne » de la diplomatie française et envisage la fin de l’impunité pour les agissements de l’État hébreu.

Marianne : Après un long silence, François Hollande, Laurent Fabius et Arnaud Montebourg ont exprimé, ce lundi, des propos très virulents pour qualifier l’opération menée par Israël dans la bande de Gaza. Comment expliquez-vous une prise de conscience si tardive de la part de la diplomatie française ?

Rony Brauman : D’après mes informations, huit jours avant leurs déclarations François Hollande et Laurent Fabius ont rencontré des représentants d’ONG présentes à Gaza. Suite à cet entretien où il a été question des crimes et de la violence de l’armée israélienne, le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, ont fait part à ces associations de leur indignation. Ils se sont estimés « baladés » par le discours du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Je ne sais pas pourquoi il leur a fallu autant de temps pour s’exprimer sur le sujet mais leurs dernières déclarations ne sont pas le fruit d’un revirement idéologique mais d’une prise de conscience progressive à la tête de l’État.

La première réaction de François Hollande après le début du conflit a été l’apport de son soutien à Israël. Depuis il a tempéré sa position mais il semble très lié à cet État, quelles en sont les raisons ?

François Hollande est issu de la SFIO de la IVème République. Celle qui était favorable à l’Algérie Française. Et ça ne vous aura pas échapper mais Israël mène une politique très agressive sur ce plan-là. Alors le Président Hollande n’est pas un néocolonial mais il doit garder au fond de lui un sentiment particulier pour cette période. L’Etat hébreu symbolisait à l’époque pour la gauche la démocratie et la liberté. François Hollande en bon atlantiste entretient ce lien avec l’État hébreu mais quand il trinque et chante avec Benjamin Netanyahou, une personnalité très à droite de notre extrême droite, c’est plus un réflexe qu’une réflexion. En clair : on soutient Israël parce qu’on l’a toujours fait. Sans distinction.

Les agissements d’Israël dans la bande de Gaza avec des tirs dans des écoles, hôpitaux ou sur des enfants n’ont pas fait sourciller les grands dirigeants occidentaux, plus occupés à prendre des sanctions contre la Russie. Cette inaction est-elle un signe pour Israël qu’il peut agir en toute impunité ?

Oui,tant qu’il n’y aura aucune sanction, ni mesures de contrainte, ça ne pourra pas être autrement. On sait très bien qu’il n’y aura aucune enquête, ni saisie de la Cour Pénale Internationale. En dépit des violentes attaques de Netanyahou et de la presse israélienne contre Obama dans le passé, celui-ci a été incapable d’élever la voix depuis le début du conflit. En revanche, je pense que ces agissements ne resteront pas sans conséquence. La fréquentation d’Israël devrait diminuer et le mouvement de boycott né après 2009 gagnera sans doute de l’ampleur avec les dernières actions de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Je n’étais personnellement pas favorable à cela, mais il est très difficile de le critiquer aujourd’hui. L’Espagne a aussi suspendu ses livraisons d’armes vers Israël. C’est insignifiant en terme de quantité mais très symbolique. On peut noter aussi le cas de la Grande Bretagne où le Parlement a été très dur contre la complaisance de Cameron. Ce sont des petites choses mais qui sonnent le glas de l’impunité politique d’Israël. A mesure que les États ferment les yeux sur la politique d’Israël, les populations ou/et parlementaires de l’opposition secouent les dirigeants face à cette inaction. Il n’est pas impossible d’assister à des sanctions internationales à terme. Une chose est sûre ce mouvement ne viendra pas des États-Unis, un pays paralysé par un Congrès d’une sympathie quasi-hystérique à l’égard d’Israël. Sans parler du poids de l’AIPAC (Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes), le lobby israélien qui est bien plus puissant que ce que l’on connaît en France par exemple. On peut très bien envisager la rupture des accords d’association entre Bruxelles et Tel Aviv.

D’une manière plus générale, quel regard portez-vous sur la diplomatie française depuis le début du conflit au Proche-Orient ?

Elle a été très largement pro-Israélienne, les termes employés par les Français reprenaient les codes de la communication israélienne comme : « Israël doit assurer sa sécurité ». Les dirigeants français se sont efforcés de renvoyer le Hamas et Israël dos à dos comme si nous assistions à un combat à armes égales. Jamais, la situation antérieure à celle du conflit et entre autres le blocus imposé par Israël n’a été évoqué. Les Français ont préféré ignorer les revendications légitimes du peuple palestinien tout en portant une adhésion à la politique israélienne. Quand Hollande s’est rendu en Israël devant la Knesset en novembre dernier, il a réussi l’exploit de ne jamais prononcer l’expression « droit international ». C’est navrant et tellement contradictoire avec notre histoire où l’on revendiquait le droit des palestiniens. La seule chose positive à tirer de cette boucherie c’est peut être le redressement de la diplomatie française !

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