Une tribune pour les luttes

TOUS ENSEMBLE (II)

Raoul Marc JENNAR, chercheur au service du mouvement social

Article mis en ligne le mardi 21 juin 2005

Mon premier texte intitulé « Tous ensemble » (14 juin) a suscité un nombre considérable de réactions positives et quelques critiques et interrogations. J’entends poursuivre, comme citoyen sans affiliation à un parti, une réflexion qui me semble centrale pour la suite de ce qui a fait la victoire du « non de gauche ».

On nous dit aujourd’hui, que le débat oui/non est derrière nous, qu’il faut dépasser, à gauche, le clivage oui/non et refermer la parenthèse du référendum, qu’il y a des partisans du oui de gauche qui sont des antilibéraux et que ce qui rassemble les gens de gauche est plus important que ce qui les a divisés sur le traité constitutionnel européen. On veut même nous faire croire qu’il y aurait, chez certains dirigeants et cadres du PS, une adhésion antilibérale à une Constitution libérale !!!

Je suis en total désaccord avec ce discours.

1. Affirmer que le débat oui/non est dépassé est une insulte aux peuples qui ne se sont pas prononcés, qui n’ont même pas encore eu ce débat et que les chefs d’Etat et de gouvernement réunis ces 16-17 juin ont décidé de museler ; c’est exactement le contraire de ce que nous-mêmes avons prôné en proposant d’encourager le débat partout en Europe ; c’est en outre faire le jeu de tous ceux que la victoire du « non » de gauche a désavoués. D’autant qu’il serait bien imprudent, même si nous entendons qu’il en soit ainsi, d’enterrer dès à présent le TCE. Ce serait minimiser la toute puissance du patronat qui a voulu ce texte. Ce serait faire preuve d’une étonnante surdité aux propos tenus, depuis le 29 mai, par les partisans, en France comme en Europe, de ce TCE.

2. Le référendum ne fut pas une parenthèse, mais un tournant. Ce qui était en cause, ce qui demeure en cause, c’est un choix de société. Identitaire pour la direction du PS, le TCE a représenté le modèle à rejeter pour le peuple de gauche. Les dirigeants de ce parti ont soutenu un projet de société caractérisé par le déclin des pratiques démocratiques, le rejet de la laïcité, la négation de l’autonomie de la femme, la primauté de l’économique sur le politique, la régression des droits sociaux, l’abandon de la solidarité au profit de la compétition, le productivisme, la généralisation du dumping social et des précarités, l’aliénation définitive à l’OTAN. C’est à cela qu’ils ont dit « oui » ; c’est à cela que nous avons dit « non ».

3. Par millions, des femmes et des hommes de gauche ont désavoué les quelques milliers de militants qui animent l’appareil du PS. Ne confondons pas les militants avec les électeurs. Et n’envoyons pas aux électeurs un message de désaveu en renonçant au primat de l’expression citoyenne. La représentativité des militants a été totalement désavouée le 29 mai. Ceux qui, à gauche, ont massivement rejeté un projet néolibéral de société méritent un autre respect que celui annoncé par la volonté annoncée, ici et là, de « tourner la page » et de dialoguer avec toute la gauche.

4. Il y a des gens de gauche qui ont voté en faveur du TCE et pourtant leur qualité de femmes et d’hommes de progrès ne peut être contestée. Je suis d’accord. Il y a encore des gens qui s’en remettent à leurs dirigeants pour décider de l’avenir et qui, de bonne foi, font confiance. Mais le verdict populaire leur a donné tort. Et il a prouvé qu’ils ne sont qu’une minorité non représentative.

5. Par contre, nul ne peut contester qu’une importante partie de ceux qui, encore étiquetés à gauche, ont dit « oui » l’ont fait par conviction. Les arguments qu’ils ont employés, les méthodes qu’ils ont utilisées, leur recours à des pratiques de droite ont signé ce qu’ils sont devenus. La brutalité avec laquelle la social-démocratie, en France et dans toute l’Europe, a défendu le TCE rend illusoire et dangereuse toute espérance de retrouvailles. Illusoire, parce qui peut croire un seul instant que sur le fond de la critique du TCE, il soit possible de bâtir un projet commun avec une Aubry, une Guigou, une Royale, un Hollande, un Kouchner, un Lang, un Moscovici, un Strauss-Kahn, un Blair ou un Schröder qui, depuis le 29 mai, s’emploient à culpabiliser les tenants du non ? Dangereuse, parce que cultiver cette espérance, c’est une fois de plus mettre en marche la machine à décevoir.

6. Combien de fois faudra-t-il être encore trahis et déçus par ceux qui de tous temps dans la sociale démocratie se sont faire élire par le peuple de gauche pour ensuite faire la politique attendue par la patronat ? Combien de fois faudra-t-il encore déplorer que le peuple de gauche soit pris en otage par ceux qui n’ont pour buts que de satisfaire des appétits de pouvoir et de carrière ? L’union de la gauche telle qu’on l’a connue n’est plus un argument opératoire. Laisser entendre qu’une autre union de la gauche est possible avec les personnalités déjà citées, c’est ouvrir la voie à de nouvelles déceptions.

Pour conclure. Répondant à l’Appel des 200, nous avons fait le pari d’une possible démarche commune non seulement à toutes les composantes politiques de la gauche de gauche, mais également à des syndicalistes, à des associatifs et à des personnes sans affiliation. Nous avons, pendant des mois, fourni des efforts hors du commun pour faire renaître l’espérance dans l’action citoyenne. Nous avons fait appel à l’intelligence et à la raison. Nous avons refondé un discours de gauche crédible. Et nous avons gagné !

Qu’on ne nous demande pas aujourd’hui d’effacer cela. Tout ce qui a été fait ne peut être réduit à une alternance à la Mitterrand ou à la Jospin, une alternance qui ne remet pas en cause un modèle de société, une alternance qui conduit les peuples à la catastrophe sociale et écologique et à l’autoritarisme politique.

Nous avons besoin d’un projet alternatif construit et porté par une alternative crédible au paysage politique tel qu’il se présente aujourd’hui à gauche.

Le report à 2007 des décisions sur le « traité établissant une Constitution pour l’Europe » va faire coïncider le débat européen avec le débat national. La cohérence que nous avons soulignée entre les choix libéraux européens et les choix libéraux nationaux n’en sera que plus manifeste. Notre attitude devra d’autant plus être dépourvue de toute ambiguïté. Ce n’est pas de l’Europe des Delors et des Lamy que nous voulons.

Les collectifs pour un non de gauche peuvent devenir le creuset où va s’élaborer une alternative pour nos sociétés. Parce qu’ils sont au plus près des gens, ils peuvent écouter, interroger, informer, susciter le débat et les propositions. Et faire jaillir de la base les fondements d’une autre manière de vivre ensemble.

Le XXIe siècle sera celui des peuples. Si nous le voulons. Tous ensemble. En France et en Europe. Résolument à gauche.

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