Une tribune pour les luttes

Quelle laïcité pour l’éducation nationale ?

Par des enseignant-e-s parisien-ne-s

Article mis en ligne le dimanche 4 octobre 2015

Réflexions critiques sur une conférence d’Alain Seksig à la Mairie de Paris Vingtième.

Article publié sur le site : Les mots sont importants.

Nous avions, sur ce site, signalé en septembre 2013 les terrifiants propos d’un certain Alain Seksig sur le vivre-ensemble, et parlé à leur propos de sociopathie légitime. Voici aujourd’hui que ledit Alain Seksig est invité, dans les prestigieux locaux d’une mairie de sinistre mémoire, à expertiser sur la laïcité et les inévitables valeurs de la République...

Dans le cadre de la Refondation de l’Education Prioritaire, les enseignant.e.s d’un réseau d’écoles REP+ parisien se voient invité.e.s à travailler sur le thème “Laïcité et valeurs de la République”. La première question qui se pose est : quel rapport le rectorat de Paris établit-il entre l’Education Prioritaire (c’est-à-dire l’attention aux élèves en difficultés scolaires) et “la laïcité et les valeurs de la République” ?

Quel est le lien avec “le recul de la mixité sociale” et “le creusement des inégalités sociales” que la circulaire de “Refondation de l’éducation prioritaire” du 4 juin 2014 entend combattre ?

Qui a besoin d’une formation sur “les valeurs de la République” ?

Les décideurs qui laissent “se creuser” les inégalités sociales ?

Les enseignant.e.s qui choisissent de travailler dans les établissements difficiles ?

Ou les élèves de ces établissements ?

Considèrerait-on que les difficultés scolaires des élèves sont dues à leur ignorance des “valeurs de la République” ?

Mais d’abord, de quelles valeurs parle-t-on ?

En effet, il n’y a pas historiquement une conception de la République et de ses valeurs. Par exemple, les Communards de Paris en 1871 se battaient pour la République (“A quand enfin la République / De la Justice et du Travail” étaient les derniers vers de la chanson “La semaine sanglante”), et ils ont été massacrés par les armées des “Versaillais” qui ont institué ensuite la Troisième République (Thiers, Jules Ferry...). Deux conceptions de la République tragiquement opposées.

À quelles “valeurs de la République” va-t-on donc former les enseignant.e.s ? Et à quelle “laïcité” ?

Par ailleurs, dans ce REP+, la première initiative sur ce thème va être, le mardi 6 octobre, une conférence d’Alain Seksig.

Qui est Alain Seksig ?

Ancien directeur d’école, inspecteur général de l’Education Nationale, Alain Seksig s’exprime depuis 25 ans sur la question de la laïcité. Dans une tribune publiée dans Libération en 1999, il précisait que “…tout le monde se réclame de la laïcité mais sans toujours lui donner le même sens”. En effet, de même qu’il y a plusieurs conceptions des “valeurs de la République”, il existe plusieurs conceptions de la laïcité. L’historien et sociologue Jean Baubérot, auteur depuis 1990 d’une vingtaine de livres sur le sujet et membre de plusieurs commissions officielles (dont la “Commission Stasi” en 2003) a publié cette année un petit livre où il en dénombre sept (Les sept laïcités françaises, éditions de la Maison des Sciences de l’Homme).

Alain Seksig représente une conception de la laïcité parmi d’autres. Il exprime des convictions très fortes. La cible principale de son combat est le voile porté par des musulmanes. Il a d’abord combattu pour qu’une loi interdise aux élèves le port du voile musulman dans les établissements, ce fut la loi de 2004.

Il a soutenu la circulaire Chatel de 2012 qui entendait interdire aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires de leurs enfants, considérant que leur statut s’apparentait alors à celui d’ “agent du service public” soumis à une obligation de neutralité (le Conseil d’Etat, en décembre 2013, a invalidé cette idée, réaffirmant le statut d’ “usager du service public” des parents accompagnateurs, ce qui a dans les faits rendu caduque l’application de cette circulaire).

Il a écrit en 2011 un rapport prônant l’interdiction du port du voile pour les femmes travaillant comme assistantes maternelles ou auprès de personnes âgées, ainsi que la possibilité pour les entreprises privées d’interdire le port du voile par leurs employé.e.s.

Son combat actuel concerne l’interdiction du voile dans les universités.

Ajoutons qu’il défend simultanément une école publique laïque totalement étanche à tout signe religieux et la création d’établissements confessionnels. C’est une conception du “vivre ensemble” qui mérite débat.

Étant donné la force des convictions d’Alain Seksig, il aurait sans doute été plus profitable aux enseignant.e.s convié.e.s d’assister à un débat contradictoire plutôt qu’à une conférence de deux heures.

Cela amène à se poser une deuxième question : Pourquoi l’administration lui a-t-elle demandé à lui d’intervenir ?

Est-ce parce qu’il est dans les murs (il est inspecteur général) ?

Ou est-ce le signe que le rectorat de Paris porte cette conception de la laïcité à l’exclusion des autres et veut en faire la propagande auprès des enseignant.e.s ?

Quel est l’objectif de cette “formation” ? Aider les enseignant.e.s à se poser des questions, ou leur apporter une réponse toute prête ?

Laîcités au pluriel, Féminismes au pluriel

Dans ces établissements en “éducation prioritaire”, quelle liberté de conscience sera laissée aux enseignant.e.s qui ont une autre conception de la laïcité et des valeurs de la République ?

Eviter l’exclusion, favoriser le dialogue pour faciliter l’accueil bienveillant de tous les enfants et de leurs parents qui font le choix de l’école publique, et non pas exiger d’emblée une adhésion à certaines valeurs de la République partiales (une tenue vestimentaire codifiée par exemple) avant d’entamer le dialogue.

Respecter les différences culturelles pour construire le respect de la culture scolaire. Instituer la confiance, favoriser la présence des parents dans les établissements, pour que les élèves se sentent légitimé.e.s à y étudier. Favoriser la scolarisation la plus longue possible, par-delà tous les obstacles (et sans rajouter des obstacles supplémentaires), des enfants des quartiers populaires.

Et favoriser notamment la scolarisation la plus longue possible, sans leur rajouter des obstacles supplémentaires, des filles des quartiers populaires ! Car ces lois votées ou appelées de leurs vœux par les laïques du courant d’Alain Seksig revendiquent parfois la “défense du droit des femmes”.

Il est pourtant clair qu’il y a également plusieurs courants féministes. Et l’un des effets paradoxaux de cette conception de la laïcité est, au nom de la liberté des femmes, de ne s’en prendre qu’à elles : stigmatisation et éventuelle mise au ban des jeunes élèves, obstacles mis à la poursuite de leurs études supérieures, et volonté d’empêcher les mères (et non les pères) d’accompagner leurs enfants en sortie et de participer ainsi à la vie de la classe et de l’école.

Il existe d’autres conceptions du féminisme : favoriser l’accès des filles aux études, encourager la présence des mères (et des pères) et surtout, ne pas dicter aux femmes la façon dont elles doivent s’habiller ni les chemins de leur libération.

Ceci nous mène à une dernière question : Pourquoi cette conférence réservée à des personnels de l’Education Nationale n’est-elle pas organisée dans un établissement scolaire mais dans une salle de la Mairie du vingtième arrondissement ?

Là même où la maire d’arrondissement avait refusé en mars dernier la projection d’un film sur la féministe historique Christine Delphy, et la tenue d’un débat avec la journaliste Rokhaya Diallo, fondatrice de l’association antiraciste “Les Indivisibles”.

Ce refus avait-il à voir avec le fait que Delphy comme Diallo prônent un féminisme qui dénonce toutes les discriminations subies par les femmes, et qu’elles combattent à ce titre les lois d’interdiction vestimentaire ?

Qui organise cette conférence du 6 octobre à destination des enseignant.e.s : le rectorat de Paris ou la mairie d’arrondissement ?

par Des enseignant-e-s parisien-ne-s
1er octobre 2015

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