Une tribune pour les luttes

Attentats à Paris

À bas le terrorisme ! À bas la guerre ! À bas le capitalisme !

Courant Communiste International

Article mis en ligne le vendredi 4 décembre 2015

Une volonté de faire le maximum de morts. Un carnage. Vendredi 13 novembre, Paris et sa banlieue ont été le théâtre macabre d’actes sanguinaires commis par une poignée de terroristes ceinturés d’explosifs et munis d’armes de guerre. Leur cible ? Tous les « pervertis » par « le style de vie occidental »( 1), et tout particulièrement la jeunesse (2).
Le 7 janvier dernier, en exécutant les caricaturistes du journal satirique Charlie Hebdo, Daesh avait tué des « papys »( 3) à tendance libertaire et marqués par le mouvement social de mai 68. Cette fois-ci, en s’attaquant à des lieux festifs et à la mode (le Stade de France de Saint-Denis, les bistrots et restaurants des Xe et XIe arrondissements de Paris, la salle de concert du Bataclan (4), Daesh a volontairement visé une génération qui commet à ses yeux l’horrible crime d’aimer se rencontrer, discuter, boire, danser et chanter librement, autrement dit : d’aimer la vie (ce que la bourgeoisie, profitant de l’émotion et du lavage de cerveau médiatique, cherche à identifier au patriotisme !). C’est cette même génération qui avait rêvé de reprendre le flambeau de mai 68 lors du mouvement social de 2006 en France (5) et qui avait justement exprimé sa solidarité avec les artistes assassinés de Charlie Hebdo en se mobilisant massivement lors des manifestations de janvier .(6)
Ces nouveaux crimes froidement planifiés, motivés par une idéologie obscurantiste et morbide, digne du nazisme, ne sont pas le fruit de quelques « monstres » qu’il suffirait d’éradiquer( 7) ; cette logique est celle de la bourgeoisie. Elle ne sert qu’à justifier la guerre, à engendrer à son tour plus de haine et de crimes, et, surtout, à masquer les vraies causes de ces atrocités. Car, en réalité, à la racine de ces maux se trouve le système capitaliste tout entier, un système sans avenir, sans perspective, qui se décompose peu à peu en entraînant derrière lui toute l’humanité dans son engrenage meurtrier.

L’État islamique, un produit de l’impérialisme

Daesh est une manifestation particulièrement révélatrice de cette dynamique suicidaire du capitalisme. L’État islamique est un pur produit de la décadence, directement secrété par la phase actuelle de décomposition du capitalisme.
Dans ce cadre, l’aggravation et la multiplication des conflits impérialistes, la déliquescence accélérée de la société ont pour principale racine l’absence de perspective sociale affirmée au niveau historique. Des deux classes fondamentales et antagoniques, ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne parviennent à imposer leur projet historique, à savoir respectivement la guerre mondiale ou la révolution communiste. Depuis le milieu des années 1980, la société toute entière reste ainsi prisonnière de l’immédiat, apparaît sans avenir et pourrit peu à peu sur pied (8). L’effondrement de l’URSS en 1990, produit de cette dynamique, a exacerbé toutes les contradictions de ce système. Les expressions de cette phase de décomposition sont multiples : individualisme et chacun pour soi, gangstérisme, repli identitaire et sectaire, obscurantisme, nihilisme et, surtout, accentuation du chaos guerrier. Cela, au point de déstabiliser les États les plus faibles et de provoquer leur effondrement, poussant la logique des conflits à ravager des régions entières de la planète. Tout cela implique la responsabilité première des grandes puissances impérialistes, particulièrement en Afrique et au Moyen-Orient.
Un bref aperçu de l’histoire des conflits de ces régions durant les dernières décennies illustre parfaitement cette réalité. Depuis l’effondrement de l’URSS, les États-Unis ont de plus en plus de mal à s’imposer comme « gendarme du monde ». Cela peut paraître paradoxal, mais l’existence de l’ennemi russe imposait à ses adversaires de se protéger derrière la puissance américaine. Les nations du bloc de l’Ouest étaient donc contraintes d’accepter la « discipline de bloc » de l’Oncle Sam. Dès que l’URSS s’est effondrée, le bloc de l’Ouest s’est désagrégé et chacun a aussitôt tenté de jouer sa propre carte impérialiste. Les États-Unis ont donc dû imposer de plus en plus par la force leur leadership. Tel est le sens de l’immense démonstration militaire de la Guerre du Golfe en 1990, moment durant lequel la bourgeoisie américaine avait ponctuellement réussi à contraindre tous ses « alliés » à se joindre à elle. Mais la situation a continué à se dégrader pour les États-Unis et c’est de plus en plus isolés qu’ils ont dû mener la guerre en Afghanistan en 2001 puis en Irak en 2003, avec pour seul résultat la déstabilisation géopolitique de ces deux régions. Cette dynamique, nous l’annoncions dès octobre 1990 : « Ce que montre donc la guerre du Golfe, c’est que, face à la tendance au chaos généralisé propre à la phase de décomposition, et à laquelle l’effondrement du bloc de l’Est a donné un coup d’accélérateur considérable, il n’y a pas d’autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d’un corps qui tend à se disloquer, que l’imposition du corset de fer que constitue la force des armes. En ce sens, les moyens mêmes qu’il utilise pour tenter de contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d’aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle est plongé le capitalisme. » (9)
Ainsi, l’intervention américaine en Irak en 2003, au-delà des 500 000 morts qu’elle a engendrés, a mis à bas le gouvernement sunnite de Saddam Hussein (10) sans être capable de le remplacer par un nouvel État stable. Bien au contraire, la mise à l’écart du pouvoir de la fraction sunnite et son remplacement par la fraction chiite a créé un chaos permanent. Ce sont sur ces ruines, sur le vide laissé par la déliquescence de l’État irakien qu’est né Daesh. Sa création remonte à 2006, lorsqu’Al-Qaïda forme avec cinq autres groupes djihadistes le « Conseil consultatif des moudjahidines en Irak ». Et le 13 octobre 2006, le Conseil consultatif proclame « l’État islamique d’Irak », lequel se considère à partir de cette date comme le « véritable État ». De nombreux ex-généraux de Saddam Hussein, compétents et hantés par l’esprit de revanche contre « l’Occident », ont rejoint durant cette période les rangs de ce qui allait devenir Daesh. La déstabilisation de la Syrie va ensuite être l’occasion d’un nouveau développement de l’État islamique. En 2012, il commence en effet à s’étendre en Syrie et, le 9 avril 2013, il devient « l’État islamique en Irak et au Levant ».
Chaque nouveau conflit impérialiste, dans lequel les grandes puissances jouent toutes un rôle incontournable, va chaque fois être l’occasion pour Daesh d’étendre son emprise en poussant sur le terreau pour lui fertile de la haine et de l’esprit de vengeance. Vont ainsi lui prêter allégeance plusieurs groupes djihadistes, tels Boko Haram dans le Nord-Est du Nigeria, Ansar Maqdis Chouras Chabab al-Islam en Lybie, Jund al-Khalifa en Algérie et Ansar Dawlat al-Islammiyya au Yémen. Indéniablement, la guerre impérialiste a nourri l’État islamique. C’est là un phénomène qui s’est développé et étendu depuis le milieu des années 1980 : sous le poids autant des contradictions économiques et politiques internes que des conflits impérialistes, les États les plus faibles s’effondrent. À l’Est dans les années 1990, particulièrement dans les Balkans, cela s’est concrétisé par un émiettement des nations et des conflits sanglants, telle l’explosion de la Yougoslavie. Du Caucase (Tchétchénie) jusqu’en Asie centrale (Afghanistan) ou en Afrique (avec l’ex-Zaïre, la Corne de l’Afrique etc.), l’instabilité étatique a laissé la place à l’apparition de proto-États parallèles et incontrôlables, dirigés par des seigneurs de la guerre. Daesh est une nouvelle expression de ce phénomène qui gangrène, mais à une échelle géographique inégalée à ce jour.
La responsabilité des grandes puissances ne s’arrête pas à la seule déstabilisation des régions par leurs interventions militaires d’ordre stratégique ou plus simplement pour la défense d’intérêts sordides. Elles sont aussi bien souvent directement à l’origine de la création de toutes ces cliques meurtrières et obscurantistes qu’elles ont cherchées à instrumentaliser. L’État islamique est composé des fractions les plus radicales du sunnisme et a donc pour ennemi premier la grande nation du chiisme : l’Iran. C’est pourquoi tous les ennemis de l’Iran (l’Arabie saoudite, les États-Unis (11), Israël, le Qatar, le Koweït…) ont tous soutenu politiquement, financièrement et parfois militairement Daesh. La Turquie a elle-aussi appuyé l’État islamique afin de s’en servir contre les Kurdes. Cette alliance de circonstance et hétéroclite montre que les différences religieuses ne sont pas le réel ferment de ce conflit : ce sont bien les enjeux impérialistes et les intérêts nationaux capitalistes qui déterminent avant tout les lignes de clivages et transforment les blessures du passé en haine moderne.
Quoi qu’il en soit, tous ont finalement été obligés de se raviser. L’Arabie saoudite a interdit toute aide financière à Daesh et condamné à la prison tous ceux qui continuaient à jouer les mécènes. Et pour lutter contre l’État islamique, les États-Unis ont officiellement amorcé un certain rapprochement avec… l’Iran ! Pourquoi un tel revirement ? La réponse en dit long sur l’état de déliquescence du système capitaliste. La dimension obscurantiste, religieuse et surtout destructrice de Daesh est telle que ce groupe échappe à tout contrôle. De tels États sans avenir et dominés par la Charia ont déjà existé, en Afrique centrale notamment, mais ils ont toujours été limités à une dimension régionale. Là, le phénomène Daesh touche une zone bien plus vaste et surtout la partie hautement géostratégique et névralgique du Moyen-Orient. (12)
Les changements incessants d’alliances, cette politique à courte vue et chaque fois plus destructrice sont, tout comme l’existence de ce proto-État islamique, un révélateur de la décomposition du système tout entier, de l’impasse capitaliste, de l’absence de solution durable et de toute perspective pour toutes les nations.
Là aussi, la boussole du marxisme nous avait permis de comprendre dès 1990 que la société toute entière prenait ce cap : « Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe vien¬nent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d’empoigne, où jouera à fond la ten¬dance au « chacun pour soi », où les alliances entre États n’auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meur¬trier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme amé¬ricain tentera de faire régner un minimum d’ordre par l’emploi de plus en plus massif et brutal de sa puis¬sance militaire. » (13)
Dernier changement de bord en date : aujourd’hui, la France est prête à soutenir, à travers son rapprochement avec la Russie, Bachar el-Assad (officiellement responsable de 200 000 morts depuis le début de la guerre civile !) contre Daesh alors qu’elle s’était engagée de tout son poids diplomatique depuis 2011 auprès de « l’opposition syrienne ». Poutine et ses exactions ignobles en Tchétchénie puis en Ukraine redeviennent « fréquentables » !
En menant toutes ces guerres, en semant la mort et la désolation, en imposant la terreur des bombes et en attisant la haine au nom de la "légitime défense", en soutenant tel ou tel régime assassin, selon les circonstances, en ne proposant aucun autre avenir que toujours plus de conflits, et tout cela pour défendre leurs seuls sordides intérêts impérialistes, les grandes puissances sont les premières responsables de la barbarie mondiale, y compris celle de Daesh. En cela, lorsque ce prétendu « État islamique » a pour sainte trinité le viol, le vol et la répression sanglante, lorsqu’il détruit toute culture (la même haine de la culture que le régime nazi (14), lorsqu’il vend des femmes et des enfants, parfois pour leurs organes, il n’est rien d’autre qu’une forme particulièrement caricaturale, sans artifice ni fard, de la barbarie capitaliste dont sont capables tous les États du monde, toutes les nations, petites ou grandes. « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. » (15)


Un pas de plus dans la décomposition capitaliste

Ce sont donc bien d’abord les grandes puissances qui déchaînent leur propre barbarie sur la terre et dans les airs des nations capitalistes plus faibles (toutes autant barbares). Et c’est cette même barbarie qui, finalement, échappe à leur contrôle et revient les frapper en plein cœur du système comme un boomerang. Telle est la réelle signification des attentats du 13 novembre à Paris. Ils ne sont pas seulement un énième acte terroriste ; ils révèlent qu’un pas supplémentaire a été franchi dans l’exacerbation des tensions impérialistes et dans le pourrissement de la société capitaliste. En effet, si des attentats déciment régulièrement les populations d’Afrique et du Moyen-Orient (16), l’atteinte du cœur historique du capitalisme est particulièrement significative de la dégradation de la situation mondiale. Lors des attentats qui avaient frappé Paris en 1985 et 1986, nous écrivions : « ce que traduit la vague actuelle d’attentats terroristes, c’est que cette décomposition de la société atteint aujourd’hui un tel niveau que les grandes puissances sont de moins en moins à l’abri de ses manifestations les plus barbares, qu’elles éprouvent de plus en plus de difficultés à contenir dans le Tiers-monde ces formes extrêmes de convulsions d’un système à l’agonie. De même que les métropoles capitalistes avaient pu, dans un premier temps, repousser vers la périphérie les manifestations les plus catastrophiques d’une crise qui trouve pourtant son origine dans le cœur même du système, dans ces métropoles, elles avaient repoussé vers ces mêmes pays périphériques les formes les plus barbares – et notamment les affrontements armés – des convulsions que cette crise engendre. Mais aujourd’hui, de même que la crise revient frapper avec une force décuplée les pays centraux du capitalisme, elle ramène avec elle une partie de cette barbarie qu’elle avait déchaînée dans le Tiers-monde. » (17)
Ce processus à l’œuvre depuis le milieu des années 1980 et surtout depuis l’attaque des Twin Towers en 2001, n’a cessé de s’amplifier. Les attentats du 13 novembre viennent donc marquer un pas supplémentaire, qualitativement important, y compris par rapport aux attentats de Madrid (2004), Londres (2005) ou Boston (2013). Pour l’heure, le bilan provisoire s’établit à 130 morts et 351 blessés dont 98 graves. Cette hécatombe effroyable est parmi les pires qui aient frappées le cœur de l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, alors même que les attentats à la bombe du Stade de France ont échoué. (18) Mais la réelle différence ne se situe pas à ce seul niveau quantitatif, d’ailleurs les attentats de Madrid avait eux aussi été d’une immense ampleur (200 morts, 1400 blessés). Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un acte isolé et bref : l’État islamique est parvenu au contraire à multiplier les lieux d’attaques et à massacrer trois heures durant en plein Paris ! Il a ainsi importé en Occident, durant toute une soirée, l’atmosphère de guerre que vit quotidiennement la population en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, au Nigeria etc. (et qu’elle tente d’ailleurs désespérément de fuir). La mise en scène « minutieusement » (19) préparée de ces attentats a ainsi permis d’engendrer une véritable onde de choc et de panique. La retransmission en direct des événements par toutes les télévisions du monde, de ces images de guerre urbaine, l’incertitude quant au nombre de victimes, au nombre d’attaques et de terroristes impliqués… tout cela a créé un climat insoutenable de terreur. Par millions, les spectateurs impuissants sont restés scotchés devant leur écran et ont ensuite été incapables de fermer l’œil durant la nuit. L’État islamique est parvenu à faire ici la preuve qu’une grande puissance économique et militaire comme la France était incapable d’empêcher de tels actes. Et effectivement, l’État français, alors qu’il s’attendait à des attaques imminentes, s’est révélé impuissant à éviter la tuerie.
Pire encore, Daesh a pu s’appuyer sur des hommes et des femmes nés et vivant en France et en Belgique, capables de commettre les pires crimes au nom d’une idéologie irrationnelle, nauséabonde et morbide. Autrement dit, c’est d’abord la décomposition même de la société gangrenant le cœur du capitalisme qui a engendré directement une telle atrocité.
Nombreux sont les rescapés qui, ayant vu de près les terroristes, ont témoigné de l’apparence banale de leurs bourreaux : des jeunes entre 20 et 30 ans, tremblant de peur et dégoulinant de sueur, (20) mais déterminés, justifiant leurs actes meurtriers inqualifiables par la nécessité de « venger les crimes commis par l’armée française en Syrie ». Ces actes horribles n’ont pas été commis par des monstres mais par des êtres humains complètement broyés et endoctrinés, nés pour la plupart dans une Europe « civilisée ».
Un grand nombre des djihadistes européens, aujourd’hui en Syrie, sont issus de la petite-bourgeoise qui, en l’absence de perspective autre que le déclassement, emplie de jalousie vis-à-vis des modèles de la grande-bourgeoisie et, surtout, étrangère à tout autre projet de société alternatif, est gangrenée par le nihilisme et la haine. C’est d’ailleurs cette même couche de la société qui avait constitué déjà, dans les années 1930 et 1940, le gros des troupes de choc du nazisme.
Une autre partie non négligeable de l’armée de Daesh, est issue des banlieues pauvres. Il s’agit de gamins au parcours chaotique, humiliés par un système les rejetant de sa sphère économique mais aussi culturelle et sociale. Là aussi, la volonté de vengeance d’un côté et le nihilisme de l’autre, expressions d’une société sans avenir, sont probablement les ressorts fondamentaux de leur trajectoire. Par ces massacres lâches, ignobles et absurdes, les plus radicaux ont l’impression d’exister enfin au prix, sans importance pour eux, de la mort et de s’en prendre au système qui les a exclus.
Une dernière partie enfin (surtout parmi les kamikazes) est directement recrutée dans la frange délinquante. Ce sont souvent eux qui, après avoir volé ou agressé à de multiples reprises se retrouvent quelques années plus tard la kalachnikov à la main à décimer, prétextant une idéologie d’inspiration religieuse des plus rigoristes.
Autrement dit, de l’Europe au Moyen-Orient, comme partout dans le monde, l’absence de perspective d’abord, puis ses conséquences les plus graves (la putréfaction sociale, le gangstérisme, le développement de la morale du lumpenprolétariat), forment le terreau de cette dérive morbide. La rencontre de ces jeunes nés en Europe et des groupes irakiens et syriens, obscurantistes et meurtriers, capables de déployer une stratégie et un véritable savoir-faire militaire, n’est donc en rien liée au hasard.
Les grandes puissances utilisent les morts du terrorisme pour justifier la guerre…
Pour résumer, l’impérialisme et la décomposition sont les deux parents qui, en s’accouplant, engendrent le terrorisme actuel. Guerre, no-future, peur et haine, effondrement moral, terrorisme… puis de nouveau la guerre. Il s’agit d’un cercle vicieux sans fin. Le capitalisme entraînera dans cet engrenage et dans sa chute l’humanité toute-entière, jusqu’à annihiler toute vie, s’il n’est pas détruit et dépassé par une autre société.
Ainsi quelle a été la réaction de toutes les grandes nations au soir-même des attentats du 13 novembre ? Les mots du Premier ministre français socialiste, Manuel Valls, prononcés dès le lendemain du drame sur la plus grande chaîne du pays donnent le ton : « volonté d’anéantir Daesh » ; « nous répliquerons coup pour coup » ; « nous serons impitoyables » ; « nous répondrons au même niveau » ; « nous sommes en guerre », une guerre qui « pourrait prendre des mois et peut-être même des années » et qui « nécessite des moyens exceptionnels », ajoutant : « je ferai tout pour que l’unité, pour que l’union sacrée soit préservée » et terminant par cet appel guerrier : « soyons des patriotes pour abattre le terrorisme ».
Et tous les journaux nationaux de reprendre en chœur « Maintenant c’est la guerre ! », « C’est la France qui est attaquée ! », etc. Cette campagne patriotarde, nationaliste a été relayée à l’échelle internationale, orchestrée autour du drapeau bleu-blanc-rouge et de la Marseillaise. Partout dans le monde, sur tous les grands monuments, mais aussi sur les réseaux sociaux, dans les stades de sport… a été brandi le drapeau français. Les paroles de la Marseillaise ont été publiées dans tous les journaux anglais afin que le public l’entonne le 18 novembre lors du match Angleterre-France à Wembley. Il n’y a là évidemment aucune solidarité réelle des grandes puissances envers la France, toutes ces nations se mènent une concurrence sans pitié, économiquement et parfois militairement. Non, chaque bourgeoisie nationale a simplement utilisé les 130 morts de Paris, et la peur engendrée, pour faire passer l’idée putride que l’unité nationale est la plus belle et la plus haute des unités possibles, celle qui fait le « vivre ensemble », celle qui nous protège de « l’extérieur ». Or, en vérité, les drapeaux nationaux sont toujours les drapeaux de la guerre ! Les drapeaux nationaux, c’est le symbole de l’idéologie qui soude les différentes classes de la nation contre les autres nations ; c’est fondamentalement la même idéologie que celle de l’État islamique ! Et en France, c’est aujourd’hui le Parti socialiste au pouvoir qui est à la pointe de cet esprit va-t-en-guerre. Résultats : l’état-major français a largué « en représailles aux attentats » des dizaines de bombes en quelques jours et a envoyé son porte-avion le Charles De Gaulle afin de tripler la capacité de frappe de l’armée française en Syrie. Ces attaques s’ajoutent, par exemple, aux 4111 cibles atteintes par l’armée russe ces quarante-huit derniers jours. Si la presse relate chaque jour les victimes « collatérales » liées à ces bombardements massifs (21), il est aujourd’hui impossible d’avoir accès à un bilan sérieux. Il en est ainsi de chaque guerre menée par les grandes nations démocratiques qui interviennent au nom de la « paix », de « l’humanitaire », de la « sécurité des peuples », etc. Et chaque fois, les bilans humains publiés quelques années après sont effroyables. Un seul exemple. Selon le rapport : Body Count, Casualty Figures after 10 years of the ’War on Terror ’(22), la « guerre contre le terrorisme » lancée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 a causé en douze ans la mort d’au moins 1,3 million de personnes dans trois pays (Irak, Afghanistan et Pakistan), précisant qu’il s’agit là d’une « estimation basse » qui ne tient pas compte des autres conflits (Yémen, Somalie, Libye, Syrie). C’est l’Irak qui aurait payé le plus lourd tribut à la guerre contre le terrorisme, avec environ un million de morts, contre 111 000 selon les médias américains et 30 000 selon l’ex-président George W. Bush. Le rapport évoque un « crime contre l’humanité proche du génocide ». Voilà le vrai visage de la guerre impérialiste ! Voilà le véritable et lourd tribut des frappes « chirurgicales » !
Les frappes actuelles sur la Syrie mettront peut-être Daesh à mal, ce qui rendra, d’ailleurs, ce proto-État encore plus suicidaire et meurtrier, mais surtout elles vont alimenter dans ces régions, et partout dans le monde, la peur et la haine. Le phénomène que représente Daesh et qui lui a donné naissance en sortira donc, à terme, renforcé. La « riposte » des États face au « terrorisme » ne peut signifier qu’une escalade du militarisme et un déchaînement de la même barbarie de plus en plus irrationnelle, dans la spirale infernale d’un chaos sanglant.

… exacerber les haines et renforcer le flicage !

Tirant les leçons des attentats du 7 janvier dernier contre Charlie Hebdo, où la bourgeoisie, surprise par les manifestations spontanées, avait été obligée de prendre rapidement le train en marche, l’État français a empêché cette fois-ci que puissent s’exprimer ces mêmes élans spontanés de solidarité qui favorisent la réflexion, les discussions et induisent potentiellement l’idée que "la rue" peut représenter une force politique. Au contraire, tout rassemblement a été interdit et chacun a été appelé à « rester chez soi » et à s’identifier à la « nation », à la « patrie », et à accepter la logique de guerre ! Aujourd’hui, l’idée même de service national et d’une « garde nationale » refont surface. Ne perdant pas une occasion, le Parti socialiste en France a aussi profité des attentats pour justifier le renforcement de l’arsenal répressif et de surveillance. En particulier, l’état d’urgence a été décrété puis prolongé de 3 mois, pour la première fois depuis la guerre d’Algérie (en 1958 et en 1961), sur tout le territoire métropolitain, comme sur les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, la Réunion et Mayotte). Cet état d’urgence est une situation spéciale, une forme d’état d’exception qui restreint les « libertés ». Il « confère aux autorités civiles, dans l’aire géographique à laquelle il s’applique, des pouvoirs de police exceptionnels », (23) comme, par exemple, la possibilité de réaliser des perquisitions massives. Il s’agit en fait d’habituer la population à ce renforcement drastique du flicage et de la répression que la bourgeoisie sait pertinemment pouvoir utiliser demain contre la classe ouvrière, et déjà quantité de lois sont en discussion pour renforcer la « sécurité nationale ». Cette même campagne sécuritaire est actuellement menée partout dans le monde.
Pour résumer, l’État profite du terrorisme pour se présenter comme le garant de la paix afin de mieux faire… la guerre, comme le protecteur des droits humains pour renforcer… le contrôle de la population et, évidemment, comme la caution de l’unité sociale pour attiser… les haines. Ainsi, en permanence sont incitées la xénophobie, la haine du musulman et toutes autres divisions permettant à l’ordre capitaliste de régner en maître sur ses exploités. Partout en Europe, les courants politiques bourgeois xénophobes connaissent une recrudescence. Des actes anti-immigrés se multiplient d’ailleurs un peu partout, comme en Allemagne, où des foyers ont également été incendiés et des ratonnades organisées. En France, les discours du Front national et d’une partie de la droite, à l’image de Nadine Morano, jouent sur les mêmes ressorts que ceux de l’État islamique : le repli, la peur, l’exclusion et la haine de l’autre.
Une seule perspective pour l’humanité : la lutte ouvrière contre le capitalisme !
Dans un tel contexte social, les quelques actes de solidarité réelle apparaissent héroïques. Le soir du 13 novembre, malgré les risques et le danger, des personnes ont porté immédiatement assistance et sont venues spontanément secourir les blessés. Dans les quartiers visés, des habitants n’ont pas hésité à ouvrir leurs portes pour prêter refuge à des gens paniqués dans la rue. Un peu partout, une brève tendance au rassemblement de solidarité et d’indignation s’est exprimée que les interdictions de manifester ont rapidement étouffé. Tout cela montre que « l’indifférence » et « l’ignorance de l’autre », qui en temps normal dominent dans la société capitaliste, peuvent être dépassées quand s’exprime la volonté consciente de solidarité, celle de porter assistance dans les coups durs. C’est ce que nous avons pu voir également ces derniers mois de la part d’une partie significative de la classe ouvrière avec l’accueil des migrants, notamment au début de leur arrivée en Allemagne. Mais comme le montre aussi la situation présente, cet élan fragile, du fait des faiblesses importantes de la classe ouvrière, peut être très facilement dévoyé sur le faux terrain du patriotisme et du nationalisme, derrière la logique meurtrière et in fine xénophobe des États les plus démocratiques. Le climat de terreur et de peur comme la propagande après les attentats de Paris pèseront lourdement sur la conscience de la classe ouvrière ; l’union sacrée réclamée autour de l’État et de la nation en danger ne peut que renforcer le poids des illusions mortelles sur la défense de la démocratie et la frénésie sécuritaire au niveau international. Ce qui participera à boucher encore un peu plus toute perspective et donc à renforcer les forces suicidaires de ce capitalisme pourrissant.
La seule véritable solidarité pour la classe ouvrière ne peut s’exprimer que de façon autonome, en dehors de toutes les influences de l’idéologie bourgeoise bien-pensante, notamment au moment de luttes ouvrières. La génération qui a été la cible première des attentats du 13 novembre avait d’ailleurs justement su, lors du mouvement social de 2006, initier un large élan de solidarité au sein de toute la classe ouvrière. Et quand quelques jeunes à la dérive, issus de banlieue pauvres, étaient venus racketter les manifestants, cette génération d’étudiants et travailleurs précaires avait refusé de tomber dans le piège de la division. Ils avaient été à la rencontre de ces mêmes jeunes dans les quartiers pour tenter de les gagner à la lutte générale. S’ils avaient eu cette intelligence, c’est parce que ce mouvement social avait su se doter d’assemblée générale permettant la réflexion, la discussion et l’élaboration collective, autrement dit l’élévation de la conscience politique. Telle est aussi la seule voie possible à emprunter face aux développements des pires effets de la décomposition : la solidarité dans la lutte, le débat franc et ouvert, le développement de la conscience ouvrière.
À terme, seule cette logique permettra de retrouver une identité politique de classe, la perspective historique d’une autre société. Alors s’ouvrira la possibilité d’un monde sans classes, sans guerres ni frontières, où la satisfaction des besoins humains (en particulier le goût pour l’art, la science et la culture) et non la recherche du profit seront au cœur de la communauté humaine mondiale. « Cette folie, cet enfer sanglant cesseront le jour où les ouvriers (...) se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le chœur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes en poussant le vieil et puissant cri de guerre du travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (24)

CCI, 21 novembre 2015

1 Communiqué de Daesh revendiquant les attentats.
2 Une grande partie des victimes sont âgées de 25 à 35 ans. Lire par exemple : "A Paris, une génération visée", (Le Monde) ou : "La jeunesse qui trinque", (Libération du 15.11.2015).
3 Cabu (76 ans), Wolinski (80 ans), Bernard Maris (68 ans).
4 …« où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité », toujours selon le communiqué de Daesh.
5 Lire notre article disponible sur notre site web : "Salut aux jeunes générations de la classe ouvrière".
6 Lire à ce sujet, "les portraits poignants des victimes du 13 novembre", publiés sur le site du journal Libération.
7 « Si l’ensemble des pays du monde n’est pas capable d’éradiquer 30 000 personnes, qui sont des monstres, c’est à n’y rien comprendre », Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères du gouvernement socialiste en France (déclaration sur la radio France Inter le 20 novembre).
8 "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste", Revue Internationale n° 62, mai 1990.
9 "Militarisme et décomposition", (Revue Internationale n°64, 1er trimestre 1991).
10 Rappelons que ce sont ces mêmes États-Unis qui avaient largement contribué à l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 en Irak, en tant qu’allié contre l’Iran.
11 « Daesh dispose d’un véritable « trésor de guerre » (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daesh dispose d’équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d’une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels. Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs - dont certains s’affichent en amis de l’Occident - d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis. » (propos tenus par le Général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris lors de son audition par le Sénat français au sujet de l’opération « Chammal » en Irak et disponible sur le site web du Sénat).
12 Le califat qu’il prétend conquérir par les armes comprend ainsi : l’Irak, la Syrie, le Liban, le Kurdistan, le Kazakhstan, les pays du Golfe, le Yémen, le Caucase, le Maghreb, l’Anatolie, l’Égypte, l’Éthiopie, la Libye, toute la corne d’Afrique, l’Andalousie et une partie de Europe. Ce projet irréalisable n’est rien d’autre qu’une entreprise suicidaire mais non moins dévastatrice.
13 "Militarisme et décomposition".
14 Autre point commun avec l’État islamique, le régime nazi avait lui-aussi un objectif de conquête et de politique irréaliste et suicidaire. C’est pourquoi le terme d’islamo-fascisme pour qualifier l’idéologie de Daesh est particulièrement adapté.
15 Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, 1915.
16 La liste macabre des attentats à travers le monde depuis ceux des Twin Towers en septembre 2001 serait interminable. Il suffit de mentionner l’attaque et la prise en otage de la clientèle internationale et du personnel local d’un hôtel au centre de Bamako au Mali par un groupe lié à Al-Qaïda une semaine après les massacres de Paris qui a rajouté au moins 27 morts.
17 Attentats terroristes en France : une expression de la barbarie et de la décomposition du système capitaliste (Révolution internationale n°149, octobre 1986).
18 L’ampleur des massacres qui frappent régulièrement les marchés du Moyen-Orient lors de ce même type d’attaques-suicides, laisse présager du terrible carnage si les terroristes étaient parvenus à pénétrer dans l’enceinte du stade.
19 Communiqué de Daesh revendiquant les attentats.
20 Ces kamikazes sont d’ailleurs souvent fortement drogués lors de leur passage à l’acte, comme ce fut le cas pour celui qui a commis le massacre de l’hôtel de Sousse en juin en Tunisie.
21 Un exemple parmi d’autres innombrables : « Hier, « Au moins 36 personnes, dont 10 enfants, ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées lors de plus de 70 raids effectués par des appareils russes et syriens contre plusieurs localités de Deir Ezzor », selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme ». (L’express du 20 novembre).
22Publié par les organisations Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW, prix Nobel de la paix en 1985), Physicians for Social Responsibility et Physicians for Global Survival.
23 Sénat, Étude de législation comparée no 156, janvier 2006, L’état d’urgence.
24 Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, 1915.

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