Une tribune pour les luttes

Pour le droit au blasphème politique

Éric Fassin

Article mis en ligne le lundi 25 janvier 2016

Un universitaire est convoqué le 27 janvier devant le tribunal correctionnel d’Avignon : il a été dénoncé par le président de son université pour avoir ironisé sur le Premier ministre. Ironie de la plainte : il est poursuivi pour provocation à la haine raciale… parce qu’il a cité Manuel Valls ! La liberté d’expression est sacrée, paraît-il – à condition de ne pas offenser ceux qui nous gouvernent.

Le 27 janvier 2016, un universitaire est cité à comparaître devant le tribunal correctionnel d’Avignon : Bernard Mezzadri est poursuivi pour provocation à la discrimination, la haine ou la violence raciale. Il y a huit mois, le président de l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse (UAPV), Emmanuel Éthis, s’était félicité de la venue du Premier ministre pour signer le nouveau Contrat de plan État-Région. Sur la liste de discussion de l’établissement, Bernard Mezzadri, helléniste engagé contre les dernières réformes, lui avait répondu le 27 mai 2015 : « J’espère qu’en cette grande occasion la délégation de l’UAPV comptera suffisamment de “blancos” (et pas trop de basanés), afin de ne pas donner une trop mauvaise image de notre établissement. Et s’il faut vraiment serrer la main du chasseur de Roms (qui naguère prônait la livraison des résistants basques aux tortionnaires franquistes), il existe des anti-émétiques moins dangereux que le Motilium... » En retour, le président dénonçait son collègue dans une lettre datée du 28 mai, veille de la visite de Manuel Valls, adressée au procureur, avec en copie le recteur de l’académie, le préfet de Vaucluse et le préfet de région.

Emmanuel Éthis y invoquait l’article 40 du code de procédure pénale : « tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République. » Mais de quel crime ou délit Bernard Mezzadri s’était-il rendu coupable ? Si la première phrase renvoie ironiquement aux propos de Manuel Valls en 2009 dans sa ville d’Évry sur les « blancos », la seconde rappelle son soutien à l’extradition de militants basques et sa politique d’expulsion systématique des bidonvilles roms en tant que ministre de l’Intérieur. La dénonciation visait sans doute la « nausée » politique : selon le courrier du président, ces phrases portaient atteinte au Premier ministre ; or l’article 433-5 du code pénal punit l’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (7500 euros d’amende et 6 mois de prison).

Bref, aucun rapport avec l’incitation à la haine raciale. D’ailleurs, l’université ne se sent nullement concernée par l’action en justice. Il est vrai qu’Emmanuel Éthis en a quitté la présidence : peu après la visite du Premier ministre, ce sociologue de la culture a été promu recteur de l’académie de Nice en conseil des ministres le 31 juillet. […]

lire la suite sur le blog d’Éric Fassin :
https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/230116/pour-le-droit-au-blaspheme-politique


Une pétition de soutien à Bernard Mezzadri est en cours :
http://www.petitions24.net/un_enseignant-chercheur_poursuivi_pour_avoir_cite_m_valls

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