Nous avons décidé de faire paraître aujourd’hui deux articles dont les thèmes nous semblent liés. Mille Bâbords étant essentiellement une tribune, les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de ses membres. Plusieurs d’entre nous en particulier ont estimé qu’il était pour le moins maladroit de parler de LA théorie du genre au singulier, au lieu de cibler plus spécifiquement les abus éventuels qui pourraient être fait de cette notion. Ce n’est pourtant pas là le centre de l’’article, qui porte plutôt sur les questions de l’identité et du poids de la religion dans la société en général et dans les minorités issues de l’’immigration maghrébine en particulier. Il s’agit, tout comme Sortie de route, d’’un témoignage singulier sur cette question, avec sa part inévitable de subjectivité, et non d’une analyse de fond. De toute manière, le débat reste ouvert et les commentaires sont libres.
L’équipe de Mille Bâbords
Sortie de route
Source : http://acontretemps.org/spip.php?article621
C’est en rentrant de l’école, française, laïque et républicaine, à 8 ans, que j’ai découvert que j’étais musulman. L’institutrice nous avait parlé des guerres de religion, de la Saint-Barthélemy et du conflit opposant les protestants aux catholiques. Je demandais à mon père dans lequel des deux camps nous nous trouvions ; ni l’un ni l’autre, me dit-il. J’apprenais que l’islam était la seule et vraie religion, et que seuls les musulmans avaient accès au paradis. J’apprenais aussi à cette occasion qu’il y avait aussi des juifs et des païens qui eux croyaient en une multitude de dieux aux noms bizarres.
Je suis retourné jouer aux petits soldats, et le lendemain, j’ai pu dire à mes copains de classe que je n’étais ni catholique ni protestant, mais je crois qu’ils s’en foutaient éperdument, et moi aussi à vrai dire. À cette époque-là, dans les années 1960, les musulmans en France étaient quasiment invisibles, les femmes ne portaient de foulards que lorsqu’il pleuvait, mais les non-musulmanes aussi, alors on ne faisait pas la différence. Mon père écoutait Radio Le Caire (« la voix de la Révolution arabe », j’ai encore le gingle en mémoire), sur ondes courtes ; ça crachotait et il fallait bouger l’antenne du poste sans arrêt dans tous les sens : on captait les discours enflammés de Nasser et les mélopées d’Oum Kalthoum. La guerre de Six-Jours et la défaite des troupes arabes devant Israël avaient traumatisé mes parents. Dans les cafés arabes de banlieue, on regardait des scopitones aux couleurs criardes de chanteurs algériens qui racontaient la douleur de l’exil, que mes parents ressentaient viscéralement, sans s’imaginer qu’une de ces chansons deviendrait un tube de la fin des années 1990.
Le fait d’être musulman, pour moi, c’était de ne pas manger de porc à la cantine, et pour mes parents de jeûner pendant le ramadan : c’était tout. Je me souviens de la charcuterie qui se trouvait sur le chemin de l’école, et de l’odeur très appétissante qui s’en dégageait et je pensais qu’il était vraiment bête de n’avoir pas le droit d’y goûter. J’étais jaloux de mes copains qui allaient au catéchisme et au patronage des curés, car ils avaient l’air de bien s’y amuser. Et puis ils m’ont raconté les cadeaux qu’ils avaient eus pour leur première communion, ou pour leur bar-mitsva ; moi je n’avais rien eu pour ma circoncision, en tout cas je ne m’en souvenais plus. Malgré tout, à Noël, mes parents nous offraient des jouets, et une fois, la maîtresse, qui devait être de gauche, m’a donné le sapin qui ornait la classe et on l’a installé chez nous avec les décorations et on était tout contents ma sœur et moi. Mon père m’emmenait avec lui le dimanche matin au café où il retrouvait ses copains devant le pastis et jouait au tiercé : je savais que l’alcool et les jeux de hasard étaient proscrits par le Coran mais mon père et ses copains ne semblaient pas en être plus malheureux que ça, et même ils s’amusaient bien ! Une fois, j’ai même été choqué : mon père avait rejoint ses copains au bistrot et ensemble ils levaient leur verre de vin rouge pour fêter la fin du ramadan ! Ce qui préoccupait mes parents, c’était surtout les difficultés de la vie quotidienne dans lesquelles nous nous débattions, et ce n’était certainement pas la religion qui allait nous permettre d’avoir un logement décent. À la maison il y avait bien un exemplaire du Coran, mais il y avait aussi un dictionnaire médical, L’Humanité, La Vie ouvrière (mon père militait à la CGT), et France-Soir pour le PMU. J’avais appris la profession de foi – « il n’y a de dieu qu’Allah et Mohamed est son prophète » –, que je récitais la nuit quand j’avais peur dans le noir et je croyais en un dieu unique et omniscient qui veillait sur moi et qui me guidait dans ce monde plutôt chaotique..., œuvre de ce même dieu en qui réside la perfection. Houlà ! Ça commençait à s’embrouiller, d’autant qu’à l’école j’apprenais que le monde n’avait pas été créé en six jours, qu’Adam et Ève n’étaient que des légendes et ainsi de suite.
Les seuls moments où je baignais dans une atmosphère religieuse, c’était pendant les vacances au pays. Ma grand-mère maternelle nous accueillait en postillonnant sur nos visages pour écarter de nous les génies malfaisants ; avec les années et la progression des idées hygiénistes, et aussi à cause de nos mines dégoûtées, elle remplaça les postillons par un souffle d’air, tout aussi efficace contre ces sales petits génies. Elle portait sur elle un tas d’amulettes odorantes, brûlait de l’encens à tout propos et lançait des « sorts » à ceux qui l’embêtaient. Son monde était peuplé d’êtres légendaires : elle s’adressait quotidiennement aux ancêtres de la famille, comme s’ils étaient réellement là, à ses côtés, et elle leur vouait un culte sincère et naïf. Elle avait l’habitude de se rendre au cimetière pour invoquer l’esprit d’une ancêtre, sur la tombe de laquelle une modeste coupole blanchie à la chaux avait été érigée autrefois : là, elle allumait des bougies, versait de l’huile et de la farine, et chantait de vieilles litanies, oubliées de tous les autres membres de la famille. Un jour, peu après la « révolution » des mollahs en Iran, qui a marqué partout dans le monde musulman un retour à un islam plus rigoureux, les notables du village réunis en conclave décidèrent de faire détruire cette coupole, qu’ils jugeaient non conforme à l’orthodoxie musulmane. Ma grand-mère ne se démonta pas : sur les ruines de la coupole, elle traça un cercle de pierre, et continua ses rituels, au grand dam des bien-pensants. Je préférais de loin ces légendes aux textes orthodoxes. Mêlées de superstitions et de poésie, elles m’entraînaient à mille lieux de mon quotidien désenchanté et matérialiste. J’éprouve encore aujourd’hui une grande tendresse, empreinte de nostalgie, pour les souvenirs que m’ont laissés les femmes et les hommes de la génération de mes grands-parents, dont les croyances et le mode de vie se sont à jamais perdus.
Vers 16 ans j’ai découvert le soufisme, en écoutant une émission de France Culture consacrée à Al Hallaj, mystique crucifié au Xe siècle à Bagdad pour ses propos jugés hérétiques. J’ai lu quelques livres consacrés à la voie soufie, j’ai eu ma petite crise mystique, qui a duré quelques mois et s’est évanouie avec ma première cuite. J’aimais bien les cours de philo, j’y apprenais le doute, l’esprit critique, la liberté de pensée, toute choses incompatibles avec la religion. Ma religiosité fragile avait du mal à tenir devant ces contradictions, aussi j’évitais de trop m’y confronter. Et puis la fidélité à ma famille, la sensation d’être écartelé entre deux cultures que je pensais incompatibles, avec l’idée fausse d’être sur la défensive, ont fait que j’ai continué de me dire musulman, sans pratiques et sans convictions bien solides. Je rencontrais un jour un chauffeur de taxi d’origine tunisienne, qui m’emmenait vers Orly d’où je prenais l’avion vers le bled, et qui m’a dit sans détour qu’il était devenu athée, qu’il avait rejeté l’islam et qu’il s’en trouvait très bien. Cette affirmation m’a perturbé, dérangé et m’a mis mal à l’aise : je n’étais pas prêt à l’accepter, sans pouvoir la rejeter définitivement. Le doute s’était instillé en moi.
Durant l’été 1984, nous étions en vacances au pays en famille : c’était la première fois que nous y fêtions l’aïd el kebir qui tombait cette année-là pendant les grandes vacances. La veille du grand jour, j’avais demandé à mon père de me réveiller pour que je puisse me rendre avec lui à la grande prière de l’aïd à la mosquée, qui a lieu très tôt. Je n’y étais jamais allé avec lui. Lorsque je me levais, mon père était déjà parti, et à son retour je lui demandais pourquoi il ne m’avait pas prévenu : il m’a répondu que m’ayant trouvé endormi, il n’avait pas voulu me réveiller, que j’étais en vacances et que j’avais le droit de me reposer. Mes cousins, s’ils avaient le malheur d’être encore endormis à l’heure de l’office étaient brutalement sortis du lit par leur père. La tendresse que mon père m’a témoignée ce jour-là, sa tolérance et son peu de foi m’émeuvent d’autant que jamais plus je n’ai eu l’occasion de fêter avec lui l’aïd el kebir, la maladie devant l’emporter quelques mois plus tard. Paradoxalement, c’est peut-être là que s’enracine mon cheminement vers l’athéisme.
Les antennes paraboliques ont commencé à fleurir sur les toits des maisons du village de mes grands-parents. À côté des clips des chanteuses et bimbos européennes court vêtues, qui aiguisaient les frustrations de la jeunesse, se glissaient sur les chaînes moyen-orientales les prédicateurs barbus qui distillaient leur poison intégriste à longueur de journée. On voyait de plus en plus de barbes et de voiles, les mosquées faisaient le plein, il en poussait un peu partout dans le pays. Bref, l’ambiance devenait délétère. Le même mouvement se faisait sentir à Paris, et y trouvait un terrain propice : avenir bouché, chômage, dépit et frustration font les délices des curés et imams de tout poil.
Peu à peu, mon petit vernis religieux se lézardait : mes amis étaient pour la plupart non croyants, et nos aspirations nous menaient vers la volonté de changer la société et de vivre aussi librement que possible nos désirs, que nous savions déjà limités par les contraintes matérielles et sociales. Alors y rajouter une contrainte religieuse, pas question ! Et en grandissant, j’ai eu plus d’assurance quant à mon identité : j’ai accepté pleinement ma part française. J’ai fait mien l’héritage de Rabelais et de Diderot aux côtés d’Ibn Khaldoun et d’Omar Khayyam ; je passais sans encombre d’Oum Kalthoum à Georges Brassens, de la musique arabo-andalouse aux lieds de Schubert. Et c’est grâce à Khomeiny que j’ai définitivement largué les amarres.
C’est la fatwa du barbu contre Salman Rushdie qui m’a permis d’affirmer clairement mon athéisme, mon rejet de toute forme d’oppression, y compris religieuse. Bien que n’ayant jamais été contraint par ma famille qui ne m’a jamais imposé quelque pratique que ce soit (prière, jeûne, etc.), je me suis senti libéré, comme si un poids m’était ôté d’un coup. Je n’avais pas le sentiment de trahir qui que ce soit : je gardais pour les miens le même attachement, pour les origines de mes parents la même reconnaissance.
J’ai pu lire depuis des témoignages d’ « ex-musulmans » : certains ont rompu non seulement avec la religion mais aussi avec leurs origines en se plaçant dans le camp « occidental » contre le camp « oriental », apportant consciemment ou non une force d’appoint à ceux qui veulent escamoter la lutte des classes et la remplacer par le prétendu choc des civilisations. D’autres disaient avoir rompu après avoir découvert la violence, bien réelle, des textes coraniques et de la tradition musulmane. Est-ce à dire que si ces textes étaient tout miel et fleurs, ils n’auraient pas décroché ? La religion est un instrument de pouvoir, et les circonstances historiques de la naissance de l’islam en sont un parfait exemple ; tout instrument de pouvoir est basé sur la coercition et la violence. Je sais par l’apprentissage, et non par croyance, que le destin de l’homme est celui qu’il se forge par lui-même, par ses désirs et ses luttes, en association avec ses semblables et ses égaux, contre toutes formes d’asservissement et d’endoctrinement ; qu’il n’y a pas d’autre monde que celui-ci et qu’il nous appartient de le rendre vivable afin que nul prophète, nul guide suprême ne vienne nous promettre ses chimères contre une foi aveugle et la démission de la pensée.
Quand je me tiens devant la tombe de mon père, entre les deux oliviers qu’il avait désignés pour son dernier repos, je me rends compte du chemin que j’ai parcouru – et qu’il avait initié. Je lui en serai reconnaissant à jamais.
MORIEL
Apostille.– J’ai écrit ce texte, en 2008, en réponse à une enquête portant sur les motivations et parcours de vie d’athées issus de familles musulmanes. Alors qu’on pouvait croire que la question religieuse était, sinon résolue, du moins renvoyée à la sphère privée, hors du champ social, on assiste, en fait, à son retour bruyant dans les débats et dans l’actualité. Les crispations autour de la question de l’islamophobie, qui n’épargnent pas les milieux libertaires, avec les accusations de racisme visant les critiques de l’islam, ajoutent à la confusion ambiante. Cette confusion est savamment entretenue par une certaine extrême gauche, qui sous couvert de lutte contre la situation d’exclusion et de relégation des populations issues de l’immigration, n’hésitent pas à manier des concepts les plus critiquables, comme ceux de « race » et d’ « identité ». Ces discours, s’ils ne parviennent pas à mobiliser aussi massivement les populations cibles (habitants des quartiers populaires issus de l’immigration) que ne le souhaitent leur instigateurs, parviennent toutefois à avoir un écho médiatique, et à créer des clivages et des dissensions qui viennent fragiliser un peu plus un milieu d’extrême gauche et libertaire déjà bien affaibli, depuis une grosse trentaine d’années, par l’offensive capitaliste.
S’il n’en est qu’une condition nécessaire, car non suffisante, l’athéisme revendiqué a de tout temps accompagné les luttes d’émancipation de la classe ouvrière. Que l’on songe à la Commune de Paris ou à la révolution espagnole, entre autres... En finir avec l’aliénation religieuse est indissociable du projet révolutionnaire. Réaffirmer aujourd’hui cette évidence, en l’ancrant dans la mémoire des luttes passées et dans la perspective de l’émancipation sociale et individuelle, est plus que jamais nécessaire.– M.
Dichotomie
Occident/Orient
Blancs/Non blancs
Homme/Femme
Croyant/Non croyant
`
Je ne suis pas cultivée, je ne suis pas une intellectuelle mais est-ce que cela doit me rayer de la liste de ceux qui ont des convictions, un regard sur le monde qui les entoure ? Est-ce que cela discrédite mon discours ? N’ai-je pas le droit d’exposer mes réflexion afin d’avoir un retour critique sur ces réflexion ?
Je suis algérienne. J’ai grandi dans une famille musulmane, une famille que j’aime. Mais je ne me reconnais ni dans la religion musulmane ni dans l’éducation traditionnelle que j’ai reçue.
En ce qui concerne la religion, on ne peut prouver l’existence ou l’inexistence de « Dieu ». On ne sait pas ce qu’il y a après la mort, s’il y a quelque chose. C’est un mystère. Et tant mieux. J’ai d’abord été croyante (avant l’adolescence), puis athée. Aujourd’hui, je ne cherche pas une réponse. Après la mort, c’est une question sans réponse. Avant, c’est la vie. Et c’est ce qui m’intéresse. Vivre ensemble en étant différents dans une perspective de partage.
La religion, quelle qu’elle soit, Islam, Christianisme, Judaïsme, ou même croire qu’un poireau est un Dieu, peu importe, du moment que cela reste dans la sphère privée. Mais la liberté, on ne peut la trouver qu’ensemble. Aujourd’hui, elle est restreinte, voir inexistante. Car pour faire partie de ce monde, il faut y être intégré, être comestible, consommable : être un consommateur à tous les niveaux : être formaté soit de façon « traditionnelle » via le capitalisme ambiant, soit à l’intérieur de ce capitalisme ambiant, de façon « tradi-gauchiste », enfermé dans la « tri-théorie » : théorie de l’opposition Orient/Occident, théorie victimaire, théorie du genre. Tout est noir et blanc : le blanc est mauvais (colonialiste, capitaliste…), le non-blanc est bon (victime du blanc). Nous sommes dans une xénophobie, un manichéisme qui exclut toute nuance.
Dans ma famille, il y a des croyants (musulmans), des athées, des « paumés » (qui se demandent si ils sont musulmans ou pas) et moi qui suis agnostique (je ne cherche pas une réponse à l’existence ou non de « Dieu » car on ne peut prouver ni l’un ni l’autre). Je respecte la croyance ou l’athéisme des uns, l’incertitude des autres. Mais je ne peux accepter que l’on mette une personne dans une position « inconfortable » de par son sexe. C’est une considération rétrograde de la femme. J’ai été élevée avec cette vision de la femme : femme soumise, obéissant aux hommes, étant à leur service, devant s’occuper du ménage, de la cuisine, du linge, d’élever les enfants et de fermer sa gueule.
Mon père est un musulman fervent. Il n’est pas intégriste. Il est réactionnaire. Sur 5 frères, un seul a échappé à cette mentalité bien particulière, à cette éducation traditionnelle où les femmes sont des objets et les non-musulmans au pire des mécréants, au mieux des personnes dans l’erreur susceptibles de trouver un jour le droit chemin en se tournant vers l’Islam.
J’aime mes frères. Ils sont généreux. Mais ils sont enfermés dans la religion. Ils n’ont pas de sens critique concernant la religion alors qu’ils font une critique du capitalisme. Les conséquences désastreuses du capitalisme sur nos vies n’est pas l’occasion pour eux d’avoir une critique dans son ensemble mais par opposition, l’Islam devient le modèle unique face au capitalisme.
La religion est un tout. Elle est au centre de leur vie. Elle régit leur vie. C’est un enfermement. J’ai étouffé dans cette éducation traditionnelle et religieuse. J’en ai retiré une soif de liberté.
Cette liberté, je ne la retrouve pas dans cette « démocratie » qui a vu sa cote décoller depuis les attentats du 13 novembre 2015. Face aux méchants, il y a la démocratie, les valeurs françaises. Je ne me retrouve ni dans les uns ni dans les autres. Les criminels qui ont assassiné à Paris sont à l’image de ceux qui les dénoncent pour asseoir leur autorité et pour que l’on resserre nos liens[1]. Pas les liens qui nous unissent mais ceux qui nous asservissent, qui nous séparent des uns, des autres, de nous-mêmes.
Il y a un élan national, nationaliste. Dommage que cet élan n’ait pas la couleur du temps des cerises. Il a la couleur du drapeau. Lorsque je vois un gus agiter un drapeau, la phrase de Coluche me revient à l’esprit : « lorsque je vois un mec entrer dans un bureau de vote, j’ai l’impression de voir un crocodile entrer dans une maroquinerie ».
A chacun son voile : il y a celles qui le portent et ceux/celles qui l’agitent. Que ce soit le drapeau ou le voile, c’est la même prison. On se voile la face, on s’éloigne de soi.
Le voile : on doit cacher ce qui pourrait susciter des réactions inappropriées. Ce qui est inapproprié, c’est de considérer le désir comme une réaction inappropriée. Que serait la vie sans désir ? Le souci, ce n’est pas le désir, c’est la violence. Notamment lorsque cette violence se traduit par un acte qui réduit une personne à un objet, par exemple le viol. Où se trouve la limite entre le désir, la violence, le passage à l’acte lorsque le discours sur le désir est sous-tendu par une morale qui réduit les femmes à des objets que l’on doit cacher ? Et donc, ce qui n’est pas caché et qui pourrait susciter du désir, qu’est-ce que c’est ? Un « objet impur » ? Qui ne mérite pas de respect ?
Est-ce la « réflexion » de ces crapules qui ont violé de façon préméditée, calculée, organisée à Cologne le 31 décembre 2015 ? Ces crapules qu’il est de bon ton de défendre dans une partie des milieux d’extrême-gauche en France où les bourreaux sont des victimes de par leur situation ou origine géopolitique (pays qui subissent les conséquences de la politiques occidentale).
S’il y a une réalité historique (colonialisme, par exemple), une réalité politique, économique qui entraine des inégalités, de l’exclusion, une stigmatisation de ceux que l’on considère comme étrangers, et j’en passe, cette réalité ne fait pas des personnes victimes de ce système des personnes exemptes de toute responsabilité quant à leurs actes, leur discours, leur comportement. Ces victimes sont parfois des bourreaux, des xénophobes (envers les noirs, les personnes de confession juive, envers les personnes qui ne partagent pas leur religion, envers les « culs-blancs » comme ils les appellent) et sont parfois sexistes, machistes, homophobes.
Le fait qu’une partie de l’extrême-gauche française les mettent sur un piedestal et les enferme dans la seule perspective victimaire, c’est une réduction xénophobe.
D’autre part, cette position victimaire permet à ces soit disant victime de laisser libre court à toute une idéologie d’extrême-droite (sexiste, xénophobe, homophobe), une idéologie de l’exclusion, une idéologie de régression.
Grâce à une partie de l’extrême-gauche française, ils sont devenus « intouchables » et les personnes comme moi qui sont issues de ce milieu et qui ne partagent pas leurs idées, leur façon de vivre, leur croyance, j’ai l’impression que cette partie de l’extrême-gauche française m’enfonce la tête sous l’eau en justifiant les actes, les idées de personnes qui veulent que je sois à l’image de l’éducation traditionnelle, musulmane que j’ai reçue, qui veulent que j’emprunte leur chemin, une ligne bien droite, extrêmement droite basée sur la soumission de la femme, la domination masculine, sa suprématie, le rejet de ceux qui sont différents, qui n’entrent pas dans le moule.
Il y a un gros souci en France concernant une grande partie de l’extrême-gauche : il n’y a pas de luttes basées sur un objectif réellement anticapitaliste avec une perspective réellement communiste, dans le sens de la Commune.
Un exemple : la théorie du genre. Elle dénonce le sexisme, le machisme, l’homophobie mais pour inverser le processus et non pour le faire disparaître. Cette théorie est hétérophobe, anti-homme et place la femme dans une position de victime exempte de défaut. La femme serait par essence parfaite et l’homme par essence mauvais. Cette théorie veut gommer les différences sexuelles en insistant dans le même mouvement sur la différence homme/femme. Je ne vois pas de différence entre une pensée réactionnaire qui a comme modèle le mariage, l’hétérosexualité et la théorie du genre qui nous explique que l’hétérosexualité est un formatage. Dans les deux cas, on veut imposer une forme de sexualité. Ma sexualité, c’est mon intimité et personne n’a le droit de regard sur mon intimité. Je ne peux comprendre, accepter qu’un mouvement , en l’occurrence gay/lesbien/trans, vienne m’expliquer que je suis « naturellement » homosexuelle ou bisexuelle et que si je suis hétérosexuelle, c’est que je suis formatée. Ce n’est ni plus ni moins que du fascisme. C’est vouloir imposer une forme de sexualité.
La sexualité, c’est peut-être la seule « liberté » que nous ayons dans ce monde qui enferme toute velléité de liberté. La théorie du genre s’attaque à cette « liberté » en jouant sur la culpabilité des hommes et des femmes hétérosexuelles. Il y a en effet une domination masculine. Ça ne veut pas dire que tous les hommes sont dans ce cas de figure et qu’aucune femme n’est dans la domination, dans la recherche du pouvoir. Encore une fois, c’est une vision manichéenne et basée sur le rejet d’un des deux sexes. On inverse le processus sexiste, on ne résout pas le problème.
La théorie du genre est une supercherie et une théorie dangereuse car fonctionnant sur un mode « fasciste », dans le sens où elle veut imposer une forme de sexualité et en éradiquer une autre.
La théorie du genre ne s’attaque pas aux « rapports capitalistes » entre homme et femme (rapport de profit, de domination) mais reproduit ce rapport en l’inversant, la femme devenant « toute puissante » face à un homme mauvais qu’il faut exclure de la sexualité de la femme. La théorie du genre profite du sentiment de culpabilité des hommes et des femmes hétérosexuelles pour faire passer son idéologie.
Je rêve d’un monde sans profit, où il y a une place à part entière pour tous, un monde basé sur le partage, la liberté, la fraternité. Un monde où le dieu Argent et le dieu Travail n’auront plus leur place. Un monde où la différence est une valeur. Un monde qui n’est pas dans la consommation. Un monde respectueux de la Nature, de l’humain, un monde vivant.
Nous vivons dans un monde mort. La terre asphyxiée par les pesticides est morte. L’air pollué, les eaux polluées, les nappes phréatiques polluées : un monde mort. L’être humain enfermé dans une sphère où il n’est plus qu’un consommateur, dépossédé de lui-même, mort.
On nous chante la vie sur tous les tons alors que c’est la mort qui donne le rythme. Nous sommes coupés du vivant. Nous sommes coupés de nous-mêmes.
Essayons de recoller les morceaux et de faire du champ de bataille que nous sommes et qui nous entoure un pré vert.
Djamila
[1] Lorsque je parle de ceux qui dénoncent ces criminels, je parle des gouvernants, des hommes politiques qui nous gouvernent et de ceux également qui ne nous gouvernent pas mais qui ont un parti politique assez « important » pour que les médias leur donnent la parole. Je dénonce également ces criminels mais pas dans le but, contrairement à ces partis politiques français, de manipuler la population en jouant sur les émotions.
P.-S.
Publié ici avec l’autorisation de l’auteure et sur le blog de la revueTemps Critiques
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