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Humiliations, mises en danger, violences : enquête sur les abus policiers contre les migrants

Article mis en ligne le mardi 6 novembre 2018

Le procès des « 7 de Briançon », poursuivis après leur participation à une manifestation contre l’action à la frontière des militants d’extrême-droite de Génération identitaire, démarre ce 8 novembre. Le tout sur fond de crise franco-italienne, après l’intrusion récente côté italien de gendarmes français refoulant des migrants. Au quotidien, sur les chemins alpins qui relient les deux pays, les réfugiés voient leurs droits piétinés, subissent des courses poursuites dangereuses, des humiliations et même des violences de la part des forces de l’ordre. Du point de vue des migrants, peut-on encore parler d’État de droit ?

« Nous gérons ensemble une frontière commune et il y a ponctuellement, des deux côtés, de petits incidents regrettables. » Par ces mots diffusés dans la presse le 16 octobre, l’Élysée tentait de minimiser une crise diplomatique en train de gonfler avec l’Italie [1]. Le 12 octobre, deux gendarmes français étaient surpris par la police italienne sur la commune de Clavière, en train de déposer en camionnette, côté italien, deux réfugiés, ce qui déclencha l’ire de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur issu du parti d’extrême droite La Ligue. Résultat, depuis le 20 octobre, des patrouilles de la police italienne gardent la frontière à l’entrée du village de Clavière, sur la route de Briançon à Turin.

Cette frontière a vu passer, depuis un peu plus de deux ans, des milliers d’exilés à la recherche d’un avenir meilleur. Pour éviter les forces de l’ordre et le poste de la police aux frontières (Paf) de Montgenèvre, les migrants traversent à pied, par le col de l’Échelle (1762 m) et, surtout depuis l’hiver dernier, par le col de Montgenèvre (1854 m). Quand ils sont arrêtés, ils sont ramenés côté italien. La grande majorité retente alors la traversée, une deuxième, une troisième... et même parfois une dixième fois, jusqu’à atteindre Briançon, un peu plus bas côté français. Le Refuge solidaire, lieu de premier accueil qui y est mis à disposition par la Communauté de communes, a hébergé un peu plus de 6250 personnes depuis son ouverture en juillet 2017 [2]. Depuis des mois, des associations, notamment Tous migrants, dénoncent régulièrement des pratiques policières violentes et illégales qui poussent les exilés à prendre toujours plus de risques en altitude.

Saisis de cette alerte nous avons enquêté, autour de la frontière, sur ces possibles violences policières. Fin août une première fois, puis fin septembre et début octobre, nous avons d’abord circulé sur ces chemins en simples promeneurs. Nous avons ensuite complété nos observations par le recueil de plusieurs dizaines de récits d’exilés et de témoins oculaires. Enfin, des rapports d’ONG viennent confirmer la litanie des « incidents regrettables » constatés.

Tourisme de masse et rejet des migrants

Depuis les attentats de novembre 2015, la France a rétabli les contrôles à sa frontière avec l’Italie. Ce qui se joue au cœur de la station de Montgenèvre apparaît comme un concentré des inégalités du monde. Skis aux pieds en hiver ou club de golf à la main en été, les touristes passent d’un pays à l’autre à leur guise. La traversée de Clavière à Briançon se fait sur 16 kilomètres de chemins balisés. Pour un randonneur un peu expérimenté, c’est une belle demi-journée. Mais les migrants peuvent être amenés à prendre d’autres itinéraires, parfois plus en altitude, sur une durée de plusieurs jours, soumis aux dangers des accidents de terrain, du froid, de la déshydratation...

Fatigués, ils descendent parfois à Montgenèvre, tels des papillons de nuit. Là, quelques habitants les mettent à l’abri. D’autres les dénoncent. « Je suis allé à un restaurant. Je demande : "Est-ce qu’il y a le numéro d’un taxi, je voudrais partir à la croix-rouge" », nous raconte Abdoulaye*, un Guinéen de 19 ans. Sans l’inquiéter, son interlocuteur le fait patienter. C’est finalement la police qui est venue le récupérer... D’autres s’offusquent des vêtements abandonnés en route par les migrants, en quantité pourtant infime par rapport aux deux tonnes de déchets déversés par les touristes sur les pistes de Montgenèvre, ramassés par des bénévoles au début de l’été.

Au moins par trois fois, cette frontière a tué. Début mai, Blessing Mathew, une jeune nigériane, se noie dans la Durance. Elle aurait paniqué à cause d’une « course-poursuite » policière, accuse l’association Tous migrants. Le même mois, le corps d’un jeune homme, probablement mort d’épuisement, est retrouvé dans un bois proche du hameau des Alberts, sur la commune de Montgenèvre. Inconnu, les montagnards solidaires l’on dénommé Alpha. Enfin, le corps de Mohamed Fofana, venu de Guinée Conakry, est découvert dans un vallon de Bardonecchia en Italie, après avoir passé une partie de l’hiver sous la neige [3]. Quand elle ne tue pas, la frontière peut aussi mutiler. L’hiver dernier, l’hôpital de Briançon a hospitalisé pour gelures plus de 300 malheureux qui avaient tenté de braver la neige. Heureusement, les secours de la gendarmerie de haute montagne (PGHM) et des CRS sauveteurs portent assistance à toute personne en détresse, sans distinction d’origine.

« Arrête-toi ou je te tue ! »

La préfecture des Hautes-Alpes rejette en bloc les accusations portées par les associations. « L’action conduite en matière de lutte contre l’immigration irrégulière est conforme en tout point aux règles de droit national, européen et international. Nous nous attachons à appliquer ces règles de droit avec humanité et discernement. Ces accusations reposent sur des supputations », nous indique-t-elle par courriel.

Ce samedi 29 septembre, alors que nous cheminons en début d’après-midi, de Montgenèvre à Clavière, nous sommes pourtant témoins de faits donnant une autre vision de la situation. Au loin, deux « randonneurs » sortent du poste de la Paf. Allure sportive, tee-shirts bleu ciel et lunettes de soleil. Dans le bois vers Clavière [4], au moment où nous croisons un groupe d’une dizaine de migrants originaires d’Afrique subsaharienne, l’un de ces deux « randonneurs » demande son chemin au premier migrant qu’il rencontre. Le second surgit alors en courant, comme sorti de nulle part. Il tient dans ses mains une perche en plastique bleu d’environ deux mètres, qui sert normalement au balisage d’une piste de ski. « Arrête-toi ou je te tue ! », hurle-t-il, juste avant de bousculer en passant l’une de nous deux. Il plaque ensuite un homme au sol. Nous constatons trois arrestations réalisées par les deux « randonneurs ». Les autres migrants se dispersent dans la forêt.

Opération « anti-terroriste » au milieu des bois

Au crépuscule, dans le même secteur, nous croisons un homme athlétique, tout de noir vêtu. « C’est la dame qui a été bousculée tout à l’heure ? », nous demande-t-il. Après avoir acquiescé, nous feignons la surprise, affirmant ne rien comprendre à la situation qui s’est déroulée un peu plus tôt. « Je suis de la gendarmerie. Nous menons une opération anti-terroriste à la frontière », annonce l’homme en noir. Puis il contrôle nos identités « par mesure de sécurité », avant de disparaître dans les bois. Dans sa réponse à nos interrogations, la préfecture ne nous a pas confirmé le cadre « anti-terroriste » de l’opération.

Depuis le début de l’été, le recours à des faux randonneurs a déjà été constaté par des observateurs locaux. Nous avons eu un autre aperçu de cette pratique grâce à une observation réalisée à la longue-vue, de celles dont on se sert plutôt, habituellement, pour observer les chamois. Mercredi 3 octobre, à 16h10, nous nous trouvons sur un point surplombant le village de Montgenèvre. Deux hommes en civil – l’un couvert d’un bob et l’autre vêtu d’une veste sportive noire et orange – amènent cinq jeunes gens, dont la peau est noire, à des gendarmes en uniforme. « A cause de ces faux randonneurs, les migrants se méfient de tout le monde. Ils peuvent partir en courant quant on vient à leur rencontre pour les aider », explique un maraudeur solidaire. […]

La suite de cet article et des compléments sur :
https://www.bastamag.net/migrants-refugies-route-police-violences-gap-alpes-briancon#nh253-4

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Notes

[1Voir par exemple cet article.

[2Comptabilisées au 30 septembre 2018.

[3Voir cet article.

[4Toujours côté français. La frontière épouse les contours ouest du village de Clavière depuis que l’Italie a cédé du territoire à la France en 1947 au titre des réparations de la Seconde guerre mondiale.

[5Voir par exemple cet article.

[6Comptabilisées au 30 septembre 2018.

[7Voir cet article.

[8Toujours côté français. La frontière épouse les contours ouest du village de Clavière depuis que l’Italie a cédé du territoire à la France en 1947 au titre des réparations de la Seconde guerre mondiale.

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