Une tribune pour les luttes

Extrait de Débat militant n° 89

Chili : Face au renouveau du mouvement ouvrier et populaire, les vieilles recettes d’une Présidente socialiste...

par Sophie Candela

Article mis en ligne le jeudi 19 janvier 2006

Cet article est extrait du n° 89 de "Débat militant" daté du 19 janvier 2006. Il s’agit d’une lettre éditée par des militants de la LCR (tendance ?) sur Internet.

C’est la premières prise de position sur l’élection de Michelle Bachelet qui nous soit parvenue et il nous a semblé intéressant de la publier pour introduire un débat sur le Chili aujourd’hui.

Comme tous les articles publiés dans cette rubrique, il ne s’agit donc pas d’une position de Mille Bâbords, mais d’un éclairage permetant d’introduire le débat.

Voir aussi nos articles sur la population Mapuche.

Vous trouverez en fichier joint le numéro 89 de Débat

debat militant 89.rtf

militant, car les autres articles du sommaire ne manquent pas d’intérêt non plus :
- Malgré les dissonances sur le calendrier, socialistes et communistes s’entendent sur l’objectif
- La dette publique : le pillage organisé des richesses collectives au profit de la finance

Pour contacter Débat militant :
Contact-abonnement-désabonnement : debatmilitant chez lcr-debatmilitant.org
Site : www.lcr-debatmilitant.org
Comité de coordination : Fabienne Autan, Charles Boulay, Serge Godard, Valérie Héas, Yvan Lemaitre, Galia Trépère, Gérard Villa

MB


Chili : Face au renouveau du mouvement ouvrier et populaire, les vieilles recettes d’une Présidente socialiste...

Les politiciens de gauche -et de droite ! - en mal de popularité ont tous essayé de capter l’image sympathique donnée par Michelle Bachelet, élue confortablement ce 15 janvier à la tête du Chili. Son image est d’autant plus sympathique que c’est une femme et qu’elle a battu le multimillionnaire Piñera, le « Berlusconi chilien », propriétaire de la compagnie aérienne LAN-Chile et d’une chaîne de télé, avec, parmi de hauts membres de son alliance, des pinochétistes notoires...

Première femme de gauche élue à la tête d’un pays latino-américain (après les réactionnaires « Evita » Perón en Argentine, et Violeta Chamorro, de la contre-révolution nicaraguayenne...), elle rejoint ainsi le camp des présidents de gauche qui ont émergé ces dernières années, après son prédécesseur le socialiste Ricardo Lagos, Lula, Chávez, Vázquez en Uruguay et Evo Morales en Bolivie...

Derrière ces élections, ce qui transparaît, c’est le renouveau du mouvement ouvrier et populaire face à l’offensive de la mondialisation et de l’impérialisme... que ces dirigeants sont tout prêts à canaliser, sans autre perspective que socio-libérale et réformiste.

Une femme de gauche à la tête de la Concertación...

Après la visite surmédiatisée de Ségolène Royal, Hollande en a profité pour réaffirmer son projet « d’une gauche durable, unie, renouvelée » en ajoutant : « c’est une femme qui est Présidente (au Chili), comment pourrais-je l’oublier ! »(Vœux à la presse du 16/01/06).

Les hommes de gauche ne perdent pas une occasion de faire des appels à l’union... derrière leur politique de droite, Lang précisant même : « La gauche française doit suivre le modèle de la gauche chilienne qui a su se retrouver autour d’un programme et d’une candidate » : suivez mon regard...

Michelle Bachelet, la candidate socialiste de la coalition de gauche et du centre appelée Concertación, a en effet l’aura d’une militante socialiste de la première heure, dont le père, général resté fidèle à Allende, est mort dans les geôles de Pinochet, et qui a subi des tortures dans la sinistre Villa Grimaldi...

Aujourd’hui, elle plaisante en se présentant : « Femme, divorcée, socialiste et agnostique : tous les péchés réunis ! », ce qui la rend proche des plus démunis.

Mais dès le soir de son élection, elle a rendu un hommage ému à son père, dont elle a rappelé le « sens du service public, l’amour de l’ordre, le don du commandement » (Il avait en effet été chargé par Allende de remettre de l’ordre dans la distribution alimentaire en 1973, contre les initiatives populaires).

Et elle a ajouté que ses souffrances lui avaient seulement donné envie de se réconcilier, pour conclure : « Mon gouvernement sera le gouvernement de l’unité de tous les Chiliens », s’adressant aussi à ceux de droite qui n’avaient pas voté pour elle !

...qui dirige le Chili depuis 1990

Et c’est bien là la politique de la Concertación, résultat d’un pacte politique pour l’après Pinochet entre la Démocratie Chrétienne, l’alliée du dictateur contre Allende et le mouvement populaire, et la gauche reconstituée autour du PS.

Car, après que le mouvement ouvrier a été décapité par la dictature sanglante de Pinochet avec ses milliers de victimes, le Chili est devenu l’arène ouverte de la mondialisation avec privatisations, licenciements, endettement forcenés, d’abord du fait des Chicago Boys de Milton Friedman, puis, suite à la crise de 1982 (au cours de laquelle le chômage est passé de 15 % à 31 %), et celle de 1999.

Les premières réactions sont venues en 1983, à l’appel du Congrès syndical des mineurs, dans les quartiers populaires, les poblaciones (les bidonvilles de la périphérie des grandes villes), puis de la jeunesse estudiantine.

C’est ce mouvement de contestation sous influence des réseaux ayant pu survivre à la dictature, qui a commencé à ébranler la dictature. Pinochet a fini par édicter, en 1988, une Constitution sur mesure l’instaurant chef des armées à vie, mais laissant la place de Président, après référendum, à un civil.

Lors de chaque élection, la droite a été battue car elle rappelait sans cesse Pinochet et son régime, sans même s’en cacher. C’est ainsi que la Concertación s’est retrouvée au pouvoir depuis 1990. Et c’est sous sa direction que le Chili est arrivé à la deuxième place pour les inégalités sociales dans le continent, avec entre 9 et 12 millions de pauvres sur 15 millions d’habitants (selon des statistiques indépendantes).

Il est devenu le meilleur élève du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC dans la région, ainsi qu’un pilier de la politique étrangère de l’ONU et des Etats-Unis dans le monde.

Candidat zélé au Mercosur et à l’ALCA, il a pratiqué avec discipline les coupes sombres dans les dépenses publiques, la flexibilisation du travail, la libéralisation des secteurs de la santé et de l’éducation avec des licenciements massifs... C’est ainsi que dans ce pays, parmi ceux qui avaient la moyenne bourgeoisie la plus nombreuse, les traditions culturelles et démocratiques les plus implantées d’Amérique latine, il n’y a, par exemple, plus une seule Université publique...

Au Sud du pays, la minorité indigène mapuche est toujours aussi réprimée ; 25 % d’entre eux sont indigents ; ce mois-ci encore, 18 de leurs militants ont été arrêtés en se battant pour la reconnaissance de leurs droits, en particulier contre les multinationales qui leur prennent leurs terres, qui détruisent et polluent la forêt...

Au niveau international, le socialiste Lagos, actuellement au pouvoir, a ainsi mis à la tête de la force d’intervention de l’ONU en Haïti que le Chili dirige, un ex-officier de Pinochet connu...

Son gouvernement s’est fait le champion de la « réconciliation nationale », symbolisée par le fameux indulto (« pardon ») aux ex-militaires putschistes qui, à l’image de Pinochet, ne sont toujours pas jugés quand ils ne sont pas encore en poste (13 hauts officiers actuels sur 36 sont des ex de Pinochet !), au grand dam des associations de familles de prisonniers et de disparus.

Armer le renouveau qui vient d’en bas

Dans ce contexte, des transformations profondes, économiques, sociales et politiques ont vu le jour dans le pays. A la faveur de la mondialisation et de la politique d’exportations massives, l’agro-buisness s’est répandu dans les campagnes, et les petits paysans qui ont dû vendre leurs terres ont rejoint les ouvriers licenciés dans les ceintures des grandes villes. Les femmes ont été nombreuses dans les milieux populaires à se retrouver chefs de famille, à devenir des salariées à part entière pour le compte des multinationales, en particulier dans les services.

Ces transformations entraînent progressivement des prises de conscience dans les milieux populaires.

Ce mois-ci, dans la région de Rancagua, 8 000 travailleurs en CDD pour la compagnie nationale d’exploitation du cuivre Codelco, (principale production du pays dont les cours s’envolent aujourd’hui), se sont mis en grève illimitée parce qu’ils touchaient moitié moins que les travailleurs embauchés. Ils ont coupé des routes à l’aide de barricades en feu. Signe des temps : une grève très dure avait déjà éclaté dans cette entreprise en 1991 ; c’étaient alors les embauchés qui se battaient pour des augmentations de salaires...

Voici ce qu’a déclaré le responsable du syndicat lors de la grève : « Ce n’est pas seulement la responsabilité des employeurs en CDD, car la législation donne à la Codelco les outils pour mettre fin à ces pratiques abusives et, cependant, même si c’est encore une entreprise d’Etat, elle n’arrête pas ces abus. Bref, la Concertation qui gouverne notre pays, applique et perfectionne chaque jour la surexploitation. (...)Il est indispensable de combattre le réformisme qui n’attaque pas le système capitaliste et qui pousse à la modération des luttes syndicales. Il faut combattre le bureaucratisme présent dans les actuelles centrales syndicales qui privilégie le dialogue avec l’Etat et le capital par-dessus les luttes et les intérêts des travailleurs, la lutte des classes, en définitive. Le chemin des travailleurs, ce n’est ni Bachelet, ni Piñera, mais la lutte et l’organisation ».

Les revendications et la lutte de ces travailleurs, qui s’est soldée par 43 arrestations, sont bien loin des timides revendications de l’alliance Juntos Podemos Más (« Ensemble nous pouvons plus », dont le slogan est « Un autre Chili est possible »). Créée par le PC avec le soutien de syndicalistes, associations, de l’organisation la plus connue de l’extrême gauche (le MIR), elle a été rejointe par le responsable du Parti Humaniste, Tomás Hirsch, devenu finalement le candidat de la coalition.

Après avoir obtenu un peu plus de 5 % des voix au premier tour, cette coalition a appelé à l’abstention... sauf si Bachelet s’engageait à prendre davantage en compte les problèmes sociaux et surtout... renoncer au système électoral dit binominal !

Après de vagues promesses de la candidate socialiste ne s’engageant surtout pas pour des hausses de salaires, ni contre le travail précaire, ni la répression syndicale (la grève n’est toujours pas officiellement autorisée au Chili) ni celle des indigènes, le PC a appelé à voter Bachelet.
Mais si Bachelet n’a donné aucune garantie concrète aux modestes demandes de cette coalition, elle en a donné de vraies aux milieux patronaux. Elle se revendique entièrement de la politique de son prédécesseur Lagos. Et elle a rappelé le 15 Janvier : « nous devons stimuler les entreprises qui entreprennent et avancent » en disant que la première et principale réforme qu’elle compte mettre en route est celle du système des retraites, déjà privatisées, mais dont les caisses sont en grave déficit, ce qui annonce de nouveaux coups durs contre les plus pauvres.

Au Chili comme en Amérique latine et dans le monde, l’heure est au renouveau du mouvement social. Pour répondre aux dégâts réalisés durant ces 10 dernières années par l’offensive du capitalisme financier, l’oubli des leçons passées est préjudiciable. Tout au contraire, l’expérience de la gauche et de ses alliés du centre, gravée dans la chair des classes populaires qui l’ont si durement payée, doit nous servir pour apprendre, pour donner des réponses qui arment le mouvement ouvrier et populaire renaissant.

Sophie Candela

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110