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Lucha libre en Gueletao

De l’autre coté du charco - carnet de passage par Abya Yala (Traba , Patxi Beltzaiz)

Article mis en ligne le jeudi 26 mars 2020

El Santo contre Blue Demon . Des noms qui n’évoquent rien pour le commun des mortels. Mais, ici, au Mexique, ce sont de véritables stars, élevées au rang de Dieu. Leur cénacle, l’arène de la lucha libre. Il s’agit à la fois d’un sport, d’un spectacle, le tout baigné dans une ambiance de cirque. Un condensé de l’âme mexicaine où se rejoue, le bien, le mal, la vie, la mort, l’humour et les humeurs d’un pays qui sait aussi se moquer de lui-même.

Aujourd’hui à Gueletao de Juárez, c’est jour de fête. Sur la place du village, un ring vient d’être installé. Un spectacle totalement gratuit. Pour démontrer que la lucha libre est, et restera, un sport populaire qui coule dans les veines de milliers de Mexicains, comme autant de litres de mezcal ou de tequila.

Il se dit que la lucha libre existe depuis 1840. À cette époque-là, les Mexicains ne s’y intéressaient que de manière sporadique. D’ailleurs, au début du XXe siècle, les promoteurs de la lucha libre étaient principalement des étrangers. Par exemple, le Belge Constant le Marin qui organisa, en 1921, une confrontation entre un Mexicain et un Roumain. La popularité se fait croissante et le 21 septembre 1933, le premier spectacle de lucha libre se tient dans l’arène de Mexico. Face à face, un Californien et un Mexicain de l’État de Sonora. Le Mexicain gagne. C’est le début d’une grande histoire d’amour entre la lucha libre mexicaine et son peuple. On parlera même de son âge d’or. Mais peut-être que ce qui plaît le plus, ce n’est pas le sport en lui-même mais tout le décorum qu’il y a autour. Et par-dessus tout, les masques qui cachent le visage du lutteur mais aussi qui révèlent son style, sa fantaisie personnelle. Le catcheur sans son masque n’existe pas. Il l’habille, l’habite de toutes ses forces et certains mêmes lui donneraient des pouvoirs magiques. Des masques dont les couleurs racontent la complexité et les turbulences de l’âme mexicaine. Certains deviennent alors de véritables légendes vivantes comme El santo . Sa première apparition date de 1942. Facilement reconnaissable à son masque argenté, sa cape et ses bottes de la même couleur. Son véritable nom, personne ne s’en souvient. Célèbre catcheur, il devient aussi un super-héros pour la bande dessinée et le cinéma. Des films qui ne marquèrent pas les annales mais qui firent de lui, un héros populaire, une légende vivante. Son film le plus connu est Santo contre les femmes vampires. Un titre qu’on peut oublier aussitôt après l’avoir lu. Le film également. El Santo se retire du ring en 1982. Il meurt deux ans plus tard, à l’âge de 66 ans. Plus de dix mille personnes assistèrent à ses funérailles. Il sera enterré avec son célèbre masque. Un autre catcheur est tatoué dans le cœur de des Mexicains. Il s’agit de Blue demon. Ses premiers combats remontent à 1948. En 1949, il est désigné meilleur débutant de l’année. Avec le lutteur Black Shadow , ils formeront une belle paire de catcheurs. Lors d’un combat mémorable, El Santo démasque Black Shadow. Lors de ce combat, pris par l’excitation, il essaie de lui enlever le masque, au lieu de le laisser le retirer lui-même, ce qui est de l’ordre du sacrilège dans le monde la Lucha libre. Blue Demon saute sur le ring et l’en empêche. Un vrai affront pour El Santo. Ils deviennent ennemis pour toujours. En août 1953, ils se retrouvent sur le ring de l’Arena Coliseo de Mexico. Blue Demon gagne. El Santo le défie pour le championnat du monde des poids welter. Plus de 9 000 personnes assisteront à ce combat anthologique. Par une clé de son invention « La estaca india », Blue Demon gagne à nouveau. Black Shadow est vengé. En parallèle, Blue Demon s’essaie au cinéma. Ses films sont du même acabit que ceux de El Santo. Facile à regarder. Facile à oublier.

Parfois, le catcheur sort du ring pour devenir un héros de rue, un lutteur social. Ce fut le cas de Super Barrio . Le tremblement de terre à Mexico en 1985 fut terrible, l’incurie du gouvernement totale. En avril 1987, après que la majeure partie de la reconstruction ait été achevée, les groupes de victimes s’unissent pour former l’Assemblée de quartier dans le but de faire pression pour le relogement des sinistrés. Sa figure tutélaire, un catcheur vêtu d’une cape jaune et d’un masque rouge et jaune. Sur sa poitrine, deux lettres majuscules SB . Son combat sera celui du droit au logement pour tous, pour ceux qui n’ont que des taudis comme logis. Super Barrio est devenu le porte-parole de ceux que personne n’écoutait. Un super-héros peut-être plus populaire que Superman car lui, il existait. En chair et en couleur. Dans les ruelles dévastées de Mexico, il était impossible de le manquer. Intransigeant sur la cause à défendre, il n’hésitait pas à s’inviter au ministère de l’Intérieur, et même à Los Pinos, la résidence officielle des présidents de la République. Par son combat populaire, Super Barrio est rentré dans le cœur de tout un peuple. Au même titre qu’El Santo ou Blue Demon. La Sainte-Trinité, version mexicaine.

La suite et les photos ici

P.-S.

Nous vous invitons à suivre "De l’autre coté du charco" sur place :

https://delautrecoteducharco.wordpress.com

Nous publierons sur ce blog des articles et des photos des différents lieux et situations que nous rencontrerons durant notre passage en Amérique, ou plutôt en Abya Yala.
Abya Yala est le nom indigène pour désigner le continent Amérique.
Photographies : Patxi Beltzaiz / Textes : Vero Traba

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