Une tribune pour les luttes

Lettre III.

Article mis en ligne le lundi 4 mai 2020

Lettre III

D’Usbek à Rica. Le 30 de la lune de Japhar. Ispahan.

On m’a écrit à Ispahan que tu avais quitté la Perse et que tu étais actuellement à Paris. Pourquoi faut-il que j’apprenne de tes nouvelles par d’autres que toi ?
Les ordres du roi des Rois te retiennent dans la capitale qui reste vide depuis cette grande maladie qui a touché le Royaume. Dans La gazette de Boulgoumir que nous lisons ici, un éditorialiste raconte que les sujets de votre monarque attendent ses apparitions publiques comme les oracles.
Il écrit :
« L’autre jour, le Grand chambellan a donné les nouvelles directions du Monde. Il a pu ainsi priver de liberté les sujets du Royaume et a remis leur libération à son bon vouloir.
La guerre qui est désormais le nerf de l’argent doit placer chacun sur son Qui vive. L’ennemi qu’on repoussait sur les frontières est parmi nous. Adversaire intérieur, il se propage par la parole.
Ainsi nous ordonnons aux sujets de ne plus s’adresser la parole. Ceci dans leur intérêt. L’ennemi est à l’affut du moindre renseignement. Ne plus agiter sa langue permet de l’anéantir le plus surement.
Il paraît superflu de dire que les regards sont aussi prohibés. Leurs promesses ont quelque chose d’inatteignable qui décourage la patience. Entre époux, il paraît déraisonnable de prendre la même couche.
Nos grands astrologues et chiromanciens ont prédit qu’a la lune de Juda, une autre promesse pourrait être faite. Il importe de ne pas décourager les efforts du Royaume. Nous vaincrons la mort comme nous sommes en train de vaincre toute forme de vie. »

Mon cher Rica, il me semble que notre gazette exagère les propos du maitre de la France.
Aurais tu le même avis que notre journal ? Je te conjure de me répondre.

De Rica à Usbek.

Cher Usbek, Paris est déserte si ce n’est les voitures des grands seigneurs de la capitale et leur cortège de serviteurs sans lesquels ils ne pourraient vivre. La peur est si vive encore que tout le monde cache ce qu’il montrait autrefois. Les vérités d’avant sont mensonges d’aujourd’hui. Et l’ont doit les croire comme de toute éternité.

Le garde des lieux de relégation a, comme de juste, sorti les prisonniers pour les verser dans une prison plus grande ou nous vivons tous. Il n’y a plus de risque puisque tous, nous vivons à une lieue de notre pieu comme la chèvre que l’on veut faire tondre. Nous craignons qu’il n’y a plus d’herbe bientôt. Les prisonniers auraient propagé la peste en restant enfermés.
Dans le même instant, le Grand conseil des médecins enfermait les sujets les plus chenus et il les tua presque à coup sur. Cette politique laisse pantois le parisien. Enfermer ici, libérer là, même sa soldatesque ne sait plus quoi penser. Mais on ne lui demande pas de penser.
Les Parisiennes se sont calfeutrées quand on leur a dit puis ont aéré quand on leur a commandé. Ce grand mouvement a occasionné bien des malheurs. Ces gestes coordonnés ont provoqué des vents violents qui ont poussé la peste plus surement dans la ville. Notre grand conseil médical apparaît tous les soirs dans la grande lucarne de Notre dame de Paris. Entouré de ses sbires qui le complimentent, il exécute la même danse comme un paon et retourne contempler le désastre.
Le grand conseil autorise un jour et est démenti le lendemain. Tous ses serviteurs se contredisent et animent un spectacle permanent auquel la cour se prête de bonne grâce. C’est ainsi qu’elle est nourrie.
Donne moi te tes nouvelles.

De Paris, le 4 de la lune de Chalval. 2020

P.-S.

Christophe Goby

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