Une tribune pour les luttes

Lettre IV. Plus de peur que de mal.

Article mis en ligne le mercredi 6 mai 2020

Rica à Ibben, A Smyrne.

J’ai vu le jeune Monarque. Sa vie est bien précieuse à ses sujets. Elle ne l’est pas moins à toute l’Europe, par les grands troubles que la mort pourrait produire autour des deux mers.

Chacun, dans les empires qui gouvernent le monde possède sa façon de se faire obéir. Le notre a choisi la contrainte alliée à un péril imminent pour vider les rues qui s’étaient remplies sans discontinuer depuis son avènement sur le trône. Nul n’ignore comme me le répétait le page Rancière : « La contradiction , elle est présente dans cet espace même de la rue qui est a la fois le classique lieu d’affirmation d’un peuple et le dernier espace laissé disponible pour faire communauté. » Ils sont nombreux à l’avoir oublié.
Hier encore, le peuple de Smyrne rejetait celles qui portaient un masque pour ne pas courroucer leur Dieu. Les mêmes incroyants sont devenus les zélateurs de cette protection. Et pour les mêmes raisons, vois tu : Ne pas fâcher leur souverain. Les Dieux sont souvent semblables, les peuples toujours crédules.

A Smyrne, comme le disait un petit philosophe, l’enfer c’est les autres. Chacun trouve en l’autre un enfer discutable mais toujours repoussant. On s’invente des lois que l’on ne respecte plus l’heure d’après. On est soumis aux gazettes qui trempent leur venin dans un sang tout frais.

Les écoles des Jésuites font faillite. On doit désormais y étudier selon de nouveaux principes : Nul élève ne doit saluer l’autre sans prononcer un Avé à Sainte-Nitouche. Il est formellement interdit d’entrer en classe sans passer par le bénitier hydro alcoolique. Nos Guébres, ici, rejettent cet alcool impie. Leur nombre a toujours été faible pour que l’instruction ne pénètre que les plus hautes castes. A présent on y apprend le secret. Pire le ciment de l’instruction qui figeait dans les tables de la loi l’Egalité, la Fraternité et la Liberté est tout simplement fissuré. (Pardonnez l’anachronisme)

Evacuée l’égalité car des enfants seront prioritaires sur d’autres. La liberté qui a déjà souffert sera soumise à l’absolue sécurité. Un génie vient de créer un objet fantastique pour marcher sous l’eau. Il l’a appelé le scaphandre. C’est un grand pas pour notre pays qui pourra habiller chaque élève de cet accoutrement afin qu’il soit en sécurité.
Quand à la fraternité, elle n’est plus de mise. Les habitants ne sont plus frères les uns les autres mais suspects de tous.

La grande maladie qui s’est abattue sur le pays est en voie d’extinction mais les sujets du royaume ont encore la peur au ventre. Une peur qui ne les quitte plus désormais. Il y a quelques lunes, ils craignaient que leurs enfants perdent la vue quand une épidémie d’éborgnements décapitait sa population. Un peu avant, les sbires du Roi les emprisonnaient avec des vapeurs gazeuses qui provoquaient des vomissements. A chaque époque notre souverain sait faire respecter son autorité. Il n’y a plus ni bâton ni carotte, il n’y a que la bastonnade perpétuelle pour ce peuple si avili.

J’attends de tes nouvelles. A Marseille, Le 6 de la lune Chabhan, 2020

P.-S.

Avec l’aide précieuse de Montesquieu ( Les Lettres Persanes) Les quatre précédentes sont publiées sur le site où vous séjournez...

Christophe Goby

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