Une tribune pour les luttes

Lettre V.

Article mis en ligne le mardi 12 mai 2020

D’Usbek au même.

Les parlements rassemblement aux ruines que l’on foule aux pieds mais qui rappellent toujours l’idée de quelque temple fameux par l’ancienne religion des peuples. Leur autorité est languissante comme le sera ce printemps vitrifié. Tu sais combien l’été peut être autoritaire.

Le Grand Renfermement fouette Marseille. Les archers du pauvre ont fini de remplir la Charité, cette prison sise dans Le Panier. Deux d’entre eux viennent étonnamment d’être condamnés aux galères pour avoir fait tâté du bâton à un sujet du Royaume Durrani, qui est notre ennemi.

Jamais un pouvoir n’avait subi pareil revers et n’avait utilisé de pareilles calomnies pour se maintenir. L’une remplace l’autre comme l’averse en avril succède au soleil. Le peuple n’y voit que variation saisonnière et se dit que tout cela aura une fin.

Dans notre Royaume, on se rappelle l’ordonnance du 20 septembre 1715 qui fut faite à la mort de Louis XIV : Interdiction de danser et de se divertir durant six mois « dans un temps ou chacun doit être occupé d’une vive douleur » De nos jours, la mort de chaque sujet ou sa suspicion provoque une panique contenue et des trémolos. Pour qui sonne le glas, se demande t-on ? Pour notre souverain ou pour la vérité ? Le spectacle règne en maitre et il n’est plus nécessaire qu’il y ait des preuves tangibles. Une fausse idée de la mort rode autour de vrais cadavres.

Chez les saltimbanques, ménéstrels et trapézistes exerçant dans nos cours et théâtres où l’on s’entassait au poulailler pour chahuter Marivaux et Scarron, on met bas les masques. La comedia del arte ne fait plus sourire après que les propriétaires de salles ont été contraints à condamner une place sur trois. Tu me diras qu’on peut étendre ses jambes ainsi, quand le spectacle est de piètre qualité. Sur ordre du grand chambellan, le divertissement et la critique sont, jusqu’à nouvel ordre défendus. Des tests seront pratiqués après chaque réplique prêtant à rire, au cas ou la salle passerait au rouge… de colère. Les pièces mises dans ces dispositions débuteront à 14h au lieu de 19h afin de laisser le temps qu’elles se jouent. Les acteurs devront eux aussi être multipliés afin de jouer le même rôle. Leurs cachets subiront l’effet inverse et seront divisés par trois.

Mon cher Usbek, Marseille, le Comté de Provence et le Royaume de France demeurent un mystère pour nous orientaux.

De Marseille, le 7 de la lune de Gemmadi. 2020

Rica à Usbek.

Les nouvelles que tu me donnes contrastent avec ce que nous vivons à Ispahan. La maladie, en raison de la vigueur et la jeunesse de notre peuple s’est éteinte comme chaque année. Entre Tigre et Euphrate, comme dans la vieille Assyrie, les jeunes personnes sont soit au four soit au champ, et les vendeurs de pistaches sont revenus dans les rues aux pieds de nos murailles. Il est juste de dire qu’en nos contrées nos vieux sont considérés comme des sages de leur vivant. Il est donc impensable de les mettre au rebut comme vous le faites en France. Vos vieillards sont remis dans cette position inconfortable qu’on appelle l’enfance. Tu sais bien que chez nous cette situation est impensable. Nous sommes gouvernés par une gérontocratie éclairée que nous adorons.

D’Ispahan, le 9 de la Lune de Gemmadi. 2020

P.-S.

Les Lettres précédentes ont été publiées sur MiIle BaBords.
Christophe Goby

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